PORTRAIT GEOFFREY SYMONS Le dompteur de loco Geoffrey Symons se sentcomme un poisson dans l’eau auxmanettes de sa locomotive de convois de fret. Ce jeune Valaisan décortiqueune passion née dans l’enfance. TEXTE EUGENIO D’ALESSIO PHOTO VALENTIN FLAURAUD Gare detriage deDenges (VD) : un paysage tour àtour fascinant etinquiétant, oùrègnent des monstres d’acier en perpétuel mouvement, où résonnent des crissements de roues, où l’on imagine un Tinguely aussi extasiéqu’uneThérèse d’Avila. Au cœur de cette plaque tournante ferroviairegriffée d’une cinquantaine de voiestransitent chaquejourunmillier de wagons de fret. Calme olympien Geoffrey Symons (25 ans) évolue dans cetenvironnement depuis 2016. D’un calme olympien, aussi filiforme qu’unpersonnagedeGiacometti, le mécanicien de CFF Cargo s’apprête,endébut de soirée, àprendre les commandes de sa locomotive pour rejoindre lagare deGenève-La Praille. Leconvoi, composé de 14 wagons (dontundegazole), mesure 240mètrespouruntotal de 626tonnes. Pour le trajet retourentre la CitédeCalvin et Denges,lejeune Valaisan aux racines américaines –ilagrandi àChardonne (VD) –pilotera une procession de 30 wagons (dont und’acétylène, gaz inflammable et toxique), longue de 510 mètres pour un poids globalde890 tonnes. « Conduire une loco, c’est comme promener sa grand-mère », plaisante Geoffrey Symons. Mieux quemille explications, cette boutadeexprime àla fois la passion joyeuse et la zénitude espiègle qui animentlejeune homme.Installé dans la cabine de pilotage, les mains rivées sur les commandes de frein pneumatiques et électriques, ainsi que sur le levier de dosage delavitesse, lejeune homme dégustedes sensations qu’ilboitàgénéreuses gorgées, celles du domptage de la machine. « J’adore cette relation quasi animale àlaloco.J’aime ressentir les soubresauts delamécanique, je raffole du sentimentque procurelamaîtrise de la puissance de l’engin. » Brevet de pilote Cette passion de la machine jette ses racines dans l’enfance : tout-petit déjà, Geoffrey Symons s’intéressait auxtrains. Au fil des années, ses pôles d’intérêtsesontélargis auxavions, bateaux, motoset voitures. « Je fais partie duCorvette Club Romandie, quirassemble des amoureuxdelamarqueaméricaine, jepratique lamoto sur circuit, je navigue sur bateau àvoile, tout enpréparant un brevet de pilote d’avionléger. » Le train marchandises semble en apesanteur. Il file surles rails avec une grâceaérienne.Etrange impression que celle d’une locomotive qui progresse, lanuit, dans une quasi-obscurité, sachant queles phares de la machine serventàêtrerepérés parles autres trains et le personnel et non àéclairer les voies. On jurerait que Geoffrey Symons conduit àl’aveugle.Enfait, le guidagedeson convoi est effectué depuis les centres de contrôle des CFF, si bien que le cœur de l’activité dumécanicien consisteàgérerlavitesse,àdoser les freinages et à respecter les signaux lumineux de vitesse et d’arrêt. Choix personnel « Jeressens un sentimentdeliberté dans ma locomotive. En été, jusqu’à 23heures, je peux même admirer du coin de l’œilquelquesmerveilles de la nature », confie-t-il. Et de poursuivre : « Les horaires me permettent de profiter de mes journées, tout particulièrement l’été où j’ai l’impression d’être toutletemps en vacances. » 96 Coopération N°19 du 5mai 2020 |