w 38 Événement Henri Saint-Simon, Œuvres complètes. Textes établis, présentés et annotés par Juliette Grange, Pierre Musso, Philippe Régnier et Franck Yonnet. PUF, 4 volumes sous coffret, 3 504 p., 49 €. w Il aura fallu huit ans pour que la première édition des œuvres complètes d’Henri Saint-Simon voie le jour aux Presses universitaires de France. Huit années d’un « travail de bénédictins, à transcrire des manuscrits dispersés, à rétablir leur chronologie, à relier les idées entre elles et avec leur contexte », explique Philippe Régnier, directeur de recherche au CNRS 1, qui a mené l’entreprise avec trois autres scientifiques : Juliette Grange, professeur à l’université François-Rabelais de Tours, PierreMusso, professeur à l’université Rennes-II et à Télécom ParisTech, et Franck Yonnet, docteur en économie. « Saint-Simon a écrit de manière désordonnée et son œuvre est très fragmentée, constituée d’articles, de brochures, d’ouvrages, poursuit le chercheur. C’est la première fois qu’elle est proposée dans une version intégrale, qui comprend environ un quart de textes inédits. » Peu connu du pu- ©c.frésillon | Culture cnrs I LE JOURNAL Saint-Simon, pionnier des sciences sociales q Portrait du comte de Saint-Simon (1796), par Adélaïde Labille-Guiard. À côté, un de ses ouvrages datant de 1825. © BNF/ARSENAL blic, Henri Saint-Simon est pourtant présent en profondeur dans notre société puisqu’il est considéré à la fois comme le fondateur des sciences humaines et sociales et du socialisme. Né en 1760, Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, participe comme officier à la guerre d’indépendance des États-Unis, puis, comme spéculateur, à la Révolution française (il achète et revend les biens de l’Église). Fortune faite, il se ruine pour financer de jeunes savants et se transformer en « chercheur à temps plein en SHS », se plaît à penser Philippe Régnier. À force de fréquenter les savants, il trouve enfin sa vérité : il faut appliquer lesméthodes de la physique et de la physiologie à la politique et à l’économie, et aborder la société comme on aborde la nature et le corps. Son Mémoire sur la science de l’homme paraît en 1813. « Pour survivre, il devient « philosophe journaliste » et abonne à ses écrits des banquiers, des industriels, des négociants, qu’il appelle à se doter d’une idéologie autonome », raconte Philippe Régnier. Car Henri Saint-Simon pense que la société doit se réorganiser pour et par l’industrie au sens large du terme : les « abeilles », c’està-dire les producteurs, auraient intérêt à cesser d’entretenir les « frelons », c’est-àdire les improductifs (la famille royale, les nobles oisifs, les hauts dignitaires de l’Église, de l’armée et de l’État, les rentiers). Dans les années 1820, l’inventeur du mot « industrialisme » diffuse ses idées auprès de la jeune génération (Auguste Comte, Prosper Enfantin, Pierre Leroux…) et inspire la création après sa mort du premier « parti politique des travailleurs » : les saint-simoniens. Le succès que rencontre ce mouvement aux idées progressistes précipitera sa chute, la classe dirigeante de l’époque y voyant une menace pour la propriété et la famille. Mais, avant ce déclin, la philosophie de Saint-Simon aura eu le temps d’imprégner durablement la société civile. F. D. © BNF/ARSENAL 1. Aussi directeur du laboratoire Littérature, idéologies, représentations aux xviii e et xix e siècles (CNRS/Université Lumière-Lyon-II/Université Stendhal- Grenoble-III/ENS Lyon/Université Jean-Monnet- Saint-Étienne). |