w 26 Des photos de rats, nourris avec du maïs transgénique de type NK603, boursouflés de tumeurs grosses comme des balles de ping-pong, ont fait le tour des médias depuis la publication d’une étude de l’équipe de Gilles-Éric Séralini le 19 septembre dernier. Au-delà de sa valeur scientifique, jugée non signifiante par différentes agences d’évaluation, l’affaire soulève la question de la mise en scène de l’information. « En quelques jours, il y a eu les scoops du Nouvel Observateur et du Monde, puis la sortie d’un documentaire au cinéma, un livre édité chez Flammarion, et enfin la diffusion sur France 5 d’un reportage sur les travaux du biologiste (voir frise ci-dessous), commente Jean Foyer, sociologue à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il ne fait donc aucun doute que le scientifique a cherché à faire un maximum de bruit. » Sylvestre Huet, journaliste à Libération et président de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information, va plus loin. Lors du séminaire de l’ISCC du 23 octobre 1 et à l’audition relative à l’étude sur le maïs NK603 du 19 novembre 2012 2 qui s’est tenue à l’Assemblée nationale, il dénonçait « une volonté de manipuler le grand public », opérée « en trichant avec les bonnes pratiques du journalisme scientifique ». « Nous pouvons recevoir les publications des chercheurs plusieurs jours avant leur parution dans les revues primaires, et nous nous engageons en contrepartie à respecter dessus un embargo, explique-t-il. Le but est de nous donner le temps de soumettre ces publications au regard critique d’autres scientifiques du domaine. Mais l’équipe de G.-É. Séralini n’a fourni la sienne qu’à quelques journalistes seulement, en leur faisant signer un document les engageant à ne la soumettre à personne, sous peine | L’enquête cnrs I LE JOURNAL Maïs transgénique la guerre médiatique Chronologie d'une pOLÉMique 20 septembre « Oui, les OGM sont des poisons ! », titre en couverture Le Nouvel Observateur. 19 septembre Publication de l’étude de Gilles-Éric Séralini dans Food and Chemical Toxicology, importante revue de toxicologie. Avant elle, seules deux autres études ont été consacrées aux effets à long terme des OGM. 26 septembre Sortie dans les salles de « Tous cobayes ? », film documentaire de Jean-Paul Jaud, dans lequel G.-É.Séralini évoque ses derniers résultats sur les OGM. 21 septembre Le Monde publie un article d’une page titré : « L’étude qui relance la polémique sur les OGM. Des travaux concluent à un lien entre la consommation du maïs NK 603 et l’apparition de tumeurs chez le rat. » de devoir payer l’équivalent du coût de réalisation de l’étude. » Soit une facture de 3 millions d’euros. Selon Jean Foyer, il faut s’attendre à ce que ce type de « construction d’audience, opérée par l’équipe de G.-É. Séralini » devienne de plus en plus fréquent dans les controverses scientifiques, en réponse aux stratégies des lobbys industriels. « Parce que nous sommes dans un contexte de guerre sale où règne la stratégie du doute », commente le sociologue. Des lobbys qui sèment le doute Pour les lobbys industriels, cette stratégie consiste à semer le doute dans le grand public et parmi les élus sur des faits scientifiques, à coup de conférences ou d’études contradictoires, en s’appuyant sur un petit groupe d’experts dits « indépendants » et acquis à leur cause. « Cette stratégie extrêmement cynique est devenue systématique depuis que le lobby américain du tabac en a si bien usé entre les années 1960 et 1990. Dans le cas des OGM, il s’agit d’un marché de plusieurs milliards d’euros par an, commente Jean Foyer. G-É Séralini a parfaitement conscience de ce contexte et il connaît certains précédents de chercheurs décrédibilisés suite à des révélations à contrecourant de l’ordre établi. » Le sociologue évoque le cas d’Arpad Pusztai, réduit au silence, puis suspendu en 1998 de l’Institut Rowett, en Écosse, où il menait des recherches sur des pommes de terre 29 septembre Sortie en librairie de « Tous cobayes ! OGM, pesticides, produits chimiques », de G.-É. Séralini, éd. Flammarion. 4 octobre L’Efsa conclut en première analyse que l’étude « présente des lacunes qui ne permettent pas de considérer les conclusions (…) scientifiquement valables ». transgéniques. Il venait de révéler à la télé vision des effets néfastes sur la croissance et sur le système immunitaire mesurés sur les rats de son expérimentation, à un stade encore préliminaire 3. « Certains débats, comme la question des OGM en général, sont aujourd’hui trop polarisés pour que la science prétende les arbitrer seule. Il me semble donc logique pour un chercheur de monter une stratégie médiatique afin d’anticiper des représailles dont la violence est sous-estimée par les observateurs extérieurs », insiste Jean Foyer, tout en rappelant les faiblesses de l’étude de G.-É. Séralini. Finalement, seule l’accumulation de preuves au cours du temps permettrait de sortir de ces cacophonies. Le journaliste Guillaume Malaurie, auteur du scoop paru dans Le Nouvel Observateur, se retranche derrière la même logique pour expliquer son manquement aux bonnes pratiques citées plus haut : « La presse doit aussi servir à faire sauter les non-dits », justifie-t-il. Selon lui, dans le cas présent : « Faire savoir qu'il n'existait aucune étude toxicologique sur des rats pendant leur vie entière 4 et que les études produites jusque-là par les industriels durent au mieux trois mois et ne sont jamais publiées. » « Même si la volonté d'objectivité existe, il faudrait prendre conscience du fait que la neutralité scientifique, dont se revendiquent les chercheurs en général, n’est qu’un mythe », reprend Jean Foyer. 16 octobre France 5 diffuse à 20h35 « OGM : vers une alerte mondiale ? », documentaire qui a suivi pendant deux ans les travaux de G.-É. Séralini et présente ses conclusions alarmantes. |