CNRS Le Journal n°270 jan/fév 2013
CNRS Le Journal n°270 jan/fév 2013
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°270 de jan/fév 2013

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 8 Mo

  • Dans ce numéro : Les OGM de la discorde

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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©c.frésillon/CNRS Photothèque w 24 à long terme, de trop faibles effectifs d’animaux testés, et de l’absence de traçabilité pour les consommateurs (humains comme animaux) sur le long terme. Les agences d’évaluation ont d’ailleurs demandé des protocoles plus complets de ce point de vue. Et, le fait qu’aux États-Unis, des plantes OGM soient consommées depuis plus de dix ans ne permet selon moi aucune conclusion : certains problèmes de santé publique augmentent outre-Atlantique, mais il est impossible d’en déterminer la cause (malbouffe, absence d’exercice, pollution…). Au-delà des incertitudes sur les conséquences physiologiques, il y a des dangers qu’on peut considérer comme plus importants encore dès lors qu’on se préoccupe de l’intégration de ces manipulations génétiques dans le système agronomique et économique international. Il s’agit alors d’intégrer non seulement l’agronomie, la génétique des populations et la biodiversité, mais aussi les domaines du juridique, du politique, de la finance etc. Précisons tout d’abord que le fonctionnement actuel de l’agronomie des pays développés, qui a séparé l’activité de production de plantes pour l’agroalimentaire de l’activité de production de semences, pose deux problèmes. D’une part, | L’enquête cnrs I LE JOURNAL les agriculteurs, dépossédés de la base même de leur activité que sont les semences, deviennent totalement dépendants des semenciers. En effet, pour la majorité des variétés cultivées par les agriculteurs, réutiliser les graines qu’ils récoltent est soit interdit, soit soumis à une taxation, depuis la loi adoptée le 28 novembre 2011 par le Parlement. D’autre part, cette séparation, de plus en plus totale, est en train d’exploiter sans la renouveler l’une des ressources les plus précieuses pour l’humanité, une ressource construite progressivement par le monde paysan depuis le Néolithique : la diversité génétique des plantes cultivées.complexité Selon le choix épistémologique présenté au début, deux solutions à ce problème peuvent être proposées. On peut espérer que nos compétences en biotechnologies permettront de pallier ces carences et qu’on produira, par manipulation génétique, la diversité perdue. On peut au contraire penser que la complexité du système demande une approche beaucoup plus respectueuse de processus évolutifs, et qu’il n’est pas réaliste de penser que notre technologie est capable de remplacer la multitude d’effets sélectifs que permet la culture de milliards de plantes. On en vient alors à penser qu’il est urgent de modifier les systèmes agricoles en redonnant, dans la démarche de sélection, une part active à un grand nombre d’agriculteurs à travers des démarches participatives. De ce dernier point de vue, les OGM cultivés sont catastrophiques. En effet, l’introduction de transgènes est soumise au brevet. Cela signifie que les agriculteurs ne peuvent plus ressemer ni les graines qu’ils récoltent, ni des résultats de croisements entre des plantes différentes, dès lors qu’elles sont transgéniques. Cela signifie aussi qu’ils ne peuvent plus ressemer leurs graines quand ils cultivent des plantes non transgéniques qui ont malencontreusement été contaminées par des graines ou des pollens provenant de champs transgéniques voisins. Du fait du brevet, cette contamination dans le champ de l’agriculteur dépossède ce dernier de ses semences. Un célèbre procès au Canada a vu, au tournant des xx e et xxi e siècles, l’agriculteur Percy Schmeiser dépossédé des semences qu’il reproduisait dans ses champs. Tant que les OGM seront brevetés, ils constitueront une menace grave pour la diversité des semences, une ressource essentielle à la nourriture de l’ensemble de l’humanité. ✕ Contact : Origine, structure et évolution de la biodiversité Pierre-Henri Gouyon > gouyon@mnhn.fr Pour Yves Dessaux, Seule une recherche publique permet d’assurer des études libres et indépendantes Biologiste, écologiste microbien, Yves Dessaux est directeur de recherche au cnrs. Ancien responsable du service Interaction plantes-micro-organismes à l’Institut des sciences végétales du cnrs, il est à présent chargé de mission à l’Institut écologie et environnement (Inee). Spécialiste de l’évaluation des risques des plantes OGM pour l’environnement et de leur impact sur les micro-organismes présents dans le sol, il a copiloté une expertise collective sur les variétés végétales tolérantes aux herbicides, réalisée à la demande conjointe des ministères de l’Agriculture et de l’Écologie. Dans le controversé dossier des OGM, plusieurs questions se posent. Actuellement, c’est celle de la toxicité qui est débattue et je laisse aux spécialistes de cette discipline le soin d’argumenter. Ceci dit, je tenais à rappeler que nous consommons des végétaux génétiquement modifiés depuis bien longtemps. Par exemple, la quasi-totalité des lignées d’orge cultivées depuis soixante ans, y compris en agriculture biologique, dérivent d’une lignée obtenue par mutagenèse. Bien qu’elles soient exclues du champ d’application de la réglementation européenne de 2001, elles n’en restent pas moins, selon celle-ci, génétiquement modifiées. De même, nombre de variétés de blés, de riz, de colzas, de sojas, de bananes, de poires, de pêches, etc., ont fait l’objet d’amélioration par mutagenèse. Au cours des quatre-vingts dernières
N°270 I janvier-février 2013 L’enquête | 25 w Dispersion. Flux de gènes, soit vers la même espèce, soit vers d'autres espèces interfertiles. années, plus de 2 200 lignées mutantes couvrant environ 175 espèces végétales ont ainsi été produites, dont les trois quarts destinées à l’alimentation. Il est dès lors utile de s’interroger sur l’intérêt qu’il y aurait, au nom d’une déclinaison du principe de précaution, à exiger des analyses toxicologiques sur ces lignées-là, et à en interdire la consommation en attendant les résultats, comme le demandent certains. efficacité Pour ce qui est des risques agroenvironnementaux, la question pertinente n’est donc pas, à mon avis, la nature OGM ou non d’un végétal, mais plutôt le caractère génétique introduit dans celui-ci. L’expertise scientifique collective sur les variétés tolérantes à des herbicides 1 (VTH) que j’ai copilotée, confirme ce point de vue. Ainsi, le risque de dispersion du caractère de tolérance est le même, que le gène qui le détermine ait été introduit à partir d’une mutation spontanée (obtenue sans intervention humaine ; lignées non OGM) ou par transgenèse (lignées OGM). Par ailleurs, cette expertise a permis de constater que l’adoption planétaire rapide des VTH, dont les surfaces cultivées ont été multipliées par 90 entre 1996 et 2010, est principalement due à leur efficacité en termes de simplification de la culture et d’assurance de la qualité du désherbage. Cependant, cette culture associée à l’usage de l’herbicide ad hoc, non limitée aux cas de désherbage difficile, s’est accompagnée de phénomènes de dispersion de gènes de tolérance et d’apparitions de résistances spontanées au sein des espèces non souhaitées dans la culture, deux phénomènes bien étudiés par les laboratoires du cnrs ou de l’Inra. Ceci a globalement conduit à un accroissement du recours aux herbicides. Ainsi, pour le maïs, le coton ou le soja cultivés en Amérique, le bilan d’usage qui était initialement favorable aux VTH l’est maintenant beaucoup moins, quand il ne leur est pas défavorable. On pourrait en conclure que les VTH sont de « mauvais OGM ». La question est plus complexe car ces lignées peuvent être OGM ou non, et parce que les dérives observées ne sont que le fruit de l’usage qui est en fait. La pérennité de l’innovation est donc remise en cause en raison d’une utilisation non réfléchie au plan agroécologique, utilisation qui s’inscrit de plus dans le cadre d’une agriculture conventionnelle à forts rendements et intrants (engrais, insecticides, etc.) qui peut être questionnée. révélateurs Au-delà, constatons que la plupart des questions soulevées par les OGM végétaux ne leur sont en aucun cas spécifiques, à l’exception du franchissement de la barrière d’espèces que permet la transgenèse, ce qui peut poser des questions d’ordre éthique. Ainsi, la pollution des sols et des eaux par les pesticides (herbicides et insecticides) est très antérieure à l’usage d’OGM de type VTH. De même, les vraies questions que sont la prise de brevets sur le vivant (sur des séquences de gènes, des hormones, etc.), l’accès des pays pauvres aux technologies, le comportement de notre société face au risque, le mode d’organisation agricole, etc., sont des sujets pour lesquels les OGM végétaux n’ont servi de facto que de révélateurs. À cet égard, si les caractéristiques du végétal ou son usage justifient une attention particulière, il est indispensable de poursuivre l’évaluation des conséquences de la culture des lignées existantes et futures. D’autant plus que, probablement, ces espèces ne seront plus seulement les VTH ou lignées productrices de la protéine insecticide Bt, mais des lignées enrichies en divers constituants (vitamines, lysine, etc.) ou résistantes à des pathogènes. Encore faudrait-il que les essais menés par les instituts de recherche ne fassent pas l’objet de destructions. Le risque est en effet grand de voir se développer une caricature d’évaluation par des « groupes de recherches » aussi peu indépendants d’intérêts ou de lobbys que le sont ceux des entreprises de biotechnologie ou d’associations militantes. Seule une recherche publique permet d’assurer des études libres et indépendantes. Ainsi les travaux que mon laboratoire mène au cnrs depuis plus de quinze ans, tous financés sur fonds publics, n’ont jamais fait l’objet de quelques pressions que ce soit de la part des agences de financement, des ministères commanditaires, d’industriels, de lobbys ou de la tutelle cnrs. ✕ 1. « Les variétés végétales tolérantes aux herbicides. Effets agronomiques, environnementaux, socioéconomiques » (sous presse, parution prévue en 2013 aux éditions Quæ). www.inra.fr/l_institut/expertise/expertises_realisees/expertisevarietes_vegetales_tolerantesaux_herbicides. Contact : Institut des sciences du végétal, Gif-sur-Yvette Yves Dessaux > yves.dessaux@isv.cnrs-gif.fr ©c.frésillon/CNRS Photothèque



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