CNRS Le Journal n°269 nov/déc 2012
CNRS Le Journal n°269 nov/déc 2012
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°269 de nov/déc 2012

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 8,5 Mo

  • Dans ce numéro : La déferlante des octets

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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Rousseau, il assiste au cours d’anthropologie de l’économie de Maurice Godelier, qui le convainc de choisir ce métier. Finalement, le brillant étudiant mène de front un double cursus, obtenant sa licence d’ethnologie (Paris-X, 1972), puis son Capes de philosophie (1974), jusqu’à son sujet de thèse sur l’Amazonie qu’il propose à… Claude Lévi-Strauss. « Contrairement aux sociétés africaines que l’on décryptait bien, l’Amazonie m’attirait par son mystère : il était impossible de saisir ce qui faisait société chez ces Amérindiens vivant en petits groupes dispersés, sans chef, sans histoire apparente, et toujours en guerre. » Grâce à des crédits de mission du CNRS, le jeune homme fait son terrain chez les Achuar de 1976 à 1978 avec son épouse, Anne-Christine Taylor, elle-même anthropologue 3. « Ce qui m’importait, poursuit le chercheur, c’était de saisir le rapport à la « nature » de ces peuples, perçus en Europe tantôt comme de « bons sauvages », tantôt comme des brutes. » La rencontre des achuar Il conduit un minutieux travail ethnographique sur les Achuar. Incantations aux esprits, usage qu’ils font de leur jardin… il étudie de façon systématique les techniques et les représentations grâce auxquelles ce peuple s’insère dans son environnement. Et ses conclusions 8 contrecarrent les interprétations qui prévalent à l’époque, notamment aux États-Unis, dans les études sur l’Amazonie. Selon ces théories, la culture de ces populations était entièrement déterminée par les facteurs environnementaux, comme la quantité et répartition du gibier, par exemple. « Or, en travaillant sur le schème de la prédation chez les Achuar, après avoir observé leurs pratiques de chasse, j’ai établi le contraire : ils considèrent les animaux comme des parents par alliance, à la manière des autres groupes humains potentiellement ennemis. De même, ils se représentent les plantes cultivées comme des consanguins qu’ils choient. Les Achuar entretiennent des relations avec les non-humains, plantes et animaux, dotés d’une âme, avec lesquels ils conversent dans les rêves ou par des incantations », détaille le médaillé. Il déroule ses explications sous le regard approbateur (et la mâchoire menaçante !) d’une figure d’ours en bois : « Un « esprit des animaux », dont le rôle est de veiller à ce qu’on ne leur nuise pas. » Ces résultats sont majeurs : ils remettent en cause l’opposition même entre « nature » et « culture », communément admise en Occident : « Les Achuar y voient plutôt une continuité. » © P.DESCOLA | L’événement cnrs I LE JOUrnAL 02 02 Les travaux menés par Philippe Descola auprès des Indiens Jivaros Achuar ont révolutionné les études sur l’Amazonie. Ils ont d’autant plus d’influence qu’ils sont rapidement publiés (La Nature domestique), puis traduits en anglais. De retour en France, l’anthropologue pose son sac pour commencer à enseigner à l’EHESS où il est recruté comme maître assistant en 1984. « C’est une activité formidable qui permet d’avancer dans ses recherches d’une autre manière que le terrain », affirmet-il. Et il poursuit : « Le terrain vous transforme, car le détour par des façons si différentes de vivre et de penser la condition humaine vous apporte une distance critique par rapport à la vôtre : on est comme suspendu entre des mondes. » les frontières de l’hoMMe De cet effet de perspective naissent aussi des questions qui orientent ses futures recherches. « J’avais compris que notre division du monde entre phénomènes « naturels » et conventions culturelles n’était pas, et de loin, la façon la plus commune de percevoir les continuités et discontinuités entre humains et non-humains. » Son travail ethnographique, associé à sa pratique d’un enseignement « libre » à l’EHESS, le mène « à une réflexion comparatiste ». Il s’interroge : quelle forme de rapports les peuples entretiennent-ils avec leur environnement, d’abord en Amazonie, puis partout ailleurs ? Au fil de ses recherches, il développe sa réflexion sur les manières dont les hommes conçoivent ces relations. Dans Par-delà nature et culture 4, il distingue ainsi les différentes cultures selon la manière dont les hommes envisagent les rapports entre humains et non-humains. C’est dans cet ouvrage qu’il définit ses quatre « ontologies », quatre manières d’envisager la limite entre soi et autrui caractéristiques des sociétés humaines : l’animisme, le totémisme, l’analogisme, le naturalisme. Il élabore aussi les « cosmologies » (représentations de l’organisation du monde) qui en découlent. Aujourd’hui, tout en dirigeant le Laboratoire d’anthropologie sociale, Philippe Descola poursuit ses recherches. Il coordonne l’équipe « Les raisons de la pratique : invariants, universaux, diversité », un « lieu d’échanges avec mes collègues sur les cultures des cinq continents ». En parallèle, il est plongé dans la rédaction d’un ouvrage sur les images, « qui, avant même les énoncés, manifestent les manières de concevoir les relations et les contrastes entre les hommes et les autres éléments de leur environnement 5 ». Enfin, il ne néglige pas l’enseignement. Dans son cycle de cours au Collège de France sur « les formes du paysage », il montre que oui, ce que l’on entend en Occident par « paysage » existe bel et bien ailleurs sous d’autres formes. Une belle leçon pour vivre… en meilleure intelligence avec le monde. 1. Unité CNRS/Collège de France/EHESS. 2.L’ethnologue André Leroi-Gourhan a aussi reçu la médaille d’or en 1973. 3.Aujourd’hui directrice de l’enseignement et de la recherche au musée du quai Branly. 4.Il est l’auteur de nombreux livres, dont Les Lances du crépuscule. 5.Il a organisé l’exposition « La Fabrique des images », auquai-Branly. ConTActs : Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris Philippe Descola > descola@ehess.fr
N°269 I Novembre-décembre 2012 Par Sarah adIda Actualités | Biologie Des scientifiques sont parvenus à maîtriser en temps réel, à l’aide d’un ordinateur, l’expression des gènes dans des cellules de levure. Des cellules qui obéissent au doigt et à l’œil q Cellules de levure exprimant une protéine fluorescente. L’ordinateur mesure l’intensité de cette fluorescence, puis stimule la cellule afin d’infléchir l’expression des gènes. C’est une première mondiale : des chercheurs ont réussi à contrôler en temps réel l’expression d’un gène dans une cellule, c’est-à-dire la production de la protéine associée à ce gène. Réalisée par les scientifiques du laboratoire de Matière et systèmes complexes (MSC) 1 et l’équipe Contraintes de l’Inria Paris-Rocquencourt, cette découverte vient d’être publiée dans la revue PNAS 2. « Jusqu’ici, des chercheurs avaient seulement réussi à maintenir une valeur constante de l’expression génique des cellules de levure, précise Pascal Hersen, chercheur au laboratoire MSC. Pour la première fois, nous avons réussi à forcer ces cellules à exprimer un gène avec des variations dans le temps sur plus de quinze heures. Pour cela, nous avons dû surmonter plusieurs difficultés, dont des problèmes d’effet toxique de la lumière sur les cellules qui limitaient le nombre et la qualité des observations. » Pour parvenir à commander les gènes des cellules et à faire varier, à la hausse ou à la baisse, la production de protéines, l’équipe de recherche s’est servie d’une boucle de rétroaction, pilotée par ordinateur. On commence par stresser la cellule de levure en la soumettant à un court choc « osmotique » : un sel ou un sucre est injecté dans son environnement, entraînant une perte en eau. En réponse à ce stress, la cellule produit alors du glycérol, élément essentiel lui permettant de rétablir son volume d’eau et de survivre au stress. Parallèlement à cette réaction, de nombreux gènes de la cellule s’expriment, afin de permettre son adaptation à la stimulation. Différentes protéines sont alors produites : protéines de la paroi cellulaire, protéines métaboliques, etc. À cette étape, l’ordinateur, lié à un microscope, repère, l’expression des gènes et l’infléchit dans le sens prescrit par l’opérateur. « Nous avons modifié l’un des gènes concernés pour qu’il code une protéine fluorescente ; il est ainsi devenu possible d’observer au microscope l’expression de f luorescence », explique Pascal 9 w Hersen. En mesurant l’intensité de f luorescence produite par les protéines, l’ordinateur peut alors suivre l’évolution de l’expression du gène marqué. Selon les instructions qu’il a reçues, il procède alors à une nouvelle stimulation, entraînant à son tour la production de protéines fluorescentes, et ainsi de suite. Cette avancée promet de nombreuses applications dans le domaine de la biologie synthétique : notamment, la production de molécules stratégiques comme des biocarburants. En attendant, le groupe de chercheurs projette d’explorer ce mode de contrôle de l’expression génique sur des cellules de bactéries et de mammifères. 1. Unité CNRS/Université Paris-Diderot 2. PNAS, 28 août 2012, vol. 109, n°35,pp. 14 271- 14 276. Contact : Matière et systèmes complexes, Paris Pascal Hersen > pascal.hersen@univ-paris-diderot.fr Les levures : futurs gisements d’hydrocarbures ? wLa levure est au centre de bien des promesses. Outre les travaux décrits ci-dessus, les scientifiques du Laboratoire de biogénèse membranaire 1 ont fait, eux, une découverte qui pourrait conduire à la production de biocarburant, grâce à une levure génétiquement modifiée. Comment ? Ils ont tout d’abord répondu à une question : comment font les plantes pour synthétiser leur cuticule ? Cette pellicule (qui les protège de la sécheresse et des parasites) est en effet, en grande partie, composée d’alcanes, des molécules hydrocarbures. Pour lever ce mystère, ils se sont intéressés à une plante mutée, incapable de produire correctement ses alcanes. « Nous connaissions déjà, grâce à cette plante, l’implication de la protéine CER1 dans la production d’alcanes. Nous avons démontré qu’elle s’associe à deux partenaires : la protéine CER3 et le cytochrome B5 », explique René Lessire, directeur du laboratoire. En introduisant les gènes de ces protéines dans une levure modifiée, les chercheurs sont alors parvenus à lui faire synthétiser des alcanes constitués de 27 à 31 atomes de carbone. Ces travaux 2, pourraient ouvrir la voie à de nouveaux biocarburants produits, non par des plantes, mais © P.HERSEN par des levures. L’avantage ? Ne plus prendre la place de terres cultivables destinées à l’alimentation. « Ces travaux se situent pour l’instant très en amont de ces questions, et il reste de nombreux verrous à lever avant de penser à cela, tempère René Lessire. Par exemple, nous devons parvenir à synthétiser des alcanes plus courts, ayant huit à dix atomes de carbone. Il reste aussi à savoir si la productivité des levures sera intéressante. » S. E. 1. Unité CNRS/Université Bordeaux-Segalen. 2. The Plant Cell, 6 juillet 2012, vol. 24, n°7,pp. 3106-3118. Contact : René Lessire > rene.lessire@biomemb.u-bordeaux2.fr



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