PAR DENIS DELBECQ CNRS I LE JOURNAL w 8 | Rubrique Actualités On l’a tous entendu dire : dans un lavabo qui se vide, l’eau ne tourne pas dans le même sens dans les hémisphères Nord et Sud. En théorie, c’est un bon moyen pour observer l’effet de la force de Coriolis exercée par la rotation de la Terre sur les liquides en mouvement. En théorie… car, en pratique, les lavabos restent imprévisibles : le phénomène est tellement faible qu’il est masqué par d’autres mouvements de l’eau. À Orsay, des chercheurs du laboratoire Fluides, automatique et systèmes thermiques (Fast) 1 ont mis au point une expérience pour visualiser, sans erreur possible, cette force infime. Certes, ils ne sont pas les premiers à y parvenir, mais leur procédé, décrit cet été dans la revue Europhysics Letters 2, se révèle l’analogue le plus simple pour les fluides du célèbre pendule de Foucault. UNE DÉCOUVERTE SURPRISE Tel n’était pourtant pas leur but : initialement, l’expérience visait à étudier le mouvement des liquides ou des gaz dans le noyau, les océans ou les atmosphères des planètes. Pour cela, les scientifiques ont installé une sphère remplie d’eau sur leur plateforme Gyroflow, un manège pouvant faire tourner jusqu’à une tonne de matériel et d’instruments de mesure à la vitesse de trente tours par minute. « Dans la sphère remplie d’eau, nous avons incorporé des billes microscopiques pour mesurer les mouvements du liquide à l’aide d’une technique appelée vélo cimétrie par images de particules », raconte Pierre-Philippe Cortet, chercheur au Fast et coauteur de l’étude. Vue du manège, l’eau de l’aquarium devrait apparaître fixe à l’observateur, puisque l’on s’attend à ce que l’aquarium Physique Une expérience menée à Orsay a permis d’observer un phénomène très difficile à isoler : l’effet de la rotation terrestre sur des liquides en mouvement. Un pendule de Foucault version liquide FORCE DE CORIOLIS. Elle s’applique à des objets qui se déplacent au sein d’un milieu qui est lui-même en rotation. PENDULE DE. FOUCAULT. Sphère de plusieurs kilos suspendue à un fil métallique. La lente déviation de son plan d’oscillation met en évidence la rotation de la Terre. 01 Le pendule de Foucault, installé au Panthéon, à Paris. 02 La plateforme tournante Gyroflow, au centre de laquelle est disposée la sphère remplie d’eau qui a permis d’observer la force de Coriolis. et l’observateur tournent à la même vitesse. Pourtant, Pierre-Philippe Cortet et ses collègues ont pu constater qu’il y avait un écoulement très lent de l’eau dans la sphère. « La vitesse est infime, de l’ordre de 10 à 400 millièmes de millimètres par seconde, explique le physicien. Nous avons compris que cet écoulement était le fruit de la force de Coriolis exercée par la rotation de la Terre sur les liquides de notre expérience eux-mêmes en rotation. » AFFAIRE À SUIVRE Mieux, les chercheurs se sont aperçus que ces mouvements inattendus reproduisaient un écoulement présent dans le noyau liquide des planètes dont l’axe de rotation subit une précession, c’està-dire décrit un cône, un cycle qui 01 02 © RÉMIH s’étend sur 26 000 ans pour la Terre, par exemple. « Or certains modèles prévoient que cette précession pourrait jouer un rôle dans la génération du magnétisme de la Terre en provoquant un écoulement analogue dans son noyau liquide et conducteur qui produirait un effet dynamo », indique le chercheur. Une hypothèse testée en ce moment aux États-Unis à l’aide d’un manège qui porte une sphère de trois mètres remplie cette fois de sodium liquide, un conducteur, pour mimer ce qui se passe dans le cœur terrestre. De son côté, le manège du Fast devrait désor mais aider à comprendre comment la force de Coriolis participe à la formation des vents et des courants qui caractérisent l’atmosphère et les océans. 1. Unité CNRS/Université Paris-Sud/UPMC. 2. Europhysics Letters, juin 2012, vol. 98, n°5. CONTACT : Fluides, automatique et systèmes thermiques, Orsay Pierre-Philippe Cortet >ppcortet@fast.u-psud.fr © F. MOISY |