© HAMILTON/REA 06 w 22 | L’enquête De fait, en France, tout pousse les salariés hors des entreprises dès que pointe la cinquantaine. En cause, la fâcheuse politique de préretraite à 55 ans menée depuis la fin des années 1970 dans l’idée de libérer des emplois. « Cela n’a pas fait baisser le taux de chômage, constate Jean-Pierre Laffargue, c’est une erreur de penser que, dans un pays, il y a une quantité fixe d’emplois disponibles. Au contraire, plus il y a de gens qui travaillent, plus le pays produit de capital, et plus il y a de secteurs productifs et donc d’emplois. Les seniors ne prennent pas les places des jeunes… », ajoute l’économiste. Mais la spirale était lancée, et ses effets furent pervers… LE DROIT DE TRAVAILLER JUSQU’À LA RETRAITE « Si le départ à la retraite se fait à 55 ans, vous êtes jugé peu motivé et déjà « en partance » à 50 ans, remarque Anne-Marie Guillemard. Et, à 45 ans, on hésite à vous promouvoir ou à vous former », comme le prouvait un sondage Ifop de 2008 réalisé auprès des directeurs des ressources humaines. Privés de formation continue, dévalorisés, nos « jeunes seniors » subissent ainsi une violente discrimination à l’embauche : le critère de l’âge en étant le plus fort vecteur en France, devant l’origine ethnique et le handicap 4. En définitive, il n’est pas étonnant de trouver notre pays en queue de classement en ce qui concerne le taux d’emploi des 55-64 ans, avec seulement 38,9%. Quand la Finlande, modèle en la matière, est passée de 35,5 à 55,5% entre 1996 et 2009 5, suite à l’objectif fixé par l’Union européenne et grâce à un profond changement des mentalités. « L’Institut du travail finlandais a fait la démonstration aux entreprises qu’investir sur les seniors était rentable, à partir d’études sur les salariés, leur perception du travail, leurs motivations et leurs perspectives, etc., explique Anne-Marie Guillemard. Et le pays a investi sur la formation continue et a réhabilité la culture du 06 L’expérience des seniors est une richesse dont certaines entreprises ont appris à tirer parti. Cet homme à la cravate est un cadre à la retraite de 61 ans en mission d’intérim dans une usine du domaine automobile, à Bonneval. En France, l’âge est le plus fort critère de discrimination à l’embauche. droit de travailler à tout âge. » Au lieu de laisser les entreprises se fourvoyer entre négociations de départ et indemnités. « Ou encore de créer des CDD seniors – seuls 20 ont été signés depuis leur mise en place en France en 2006 ! – qui accentuent la dépréciation des cinquantenaires », note la chercheuse, puisque l’on demande quasiment aux entreprises de faire « dans l’humanitaire » en les embauchant… Repousser l’âge de la retraite et rattraper tant bien que mal celui de nos voisins européens, souvent plus élevé, n’est pas tout. « Il faut aussi mener une politique de l’emploi, s’interroger sur le bien-être au travail, comprendre pourquoi notre Aborder le vieillissement de manière transversale en faisant appel à toutes les disciplines concernées, tel est l’objectif du grand programme interdisciplinaire « Longévité et vieillissement » lancé par le CNRS en 2008. Celui-ci comporte cinq grands volets : l’étude des mécanismes moléculaires, cellulaires et physiologiques liés à la longévité et le développement de traitements CONTACTS : Anne-Marie Guillemard > anne-marie.guillemard@ehess.fr Jean-Pierre Laffargue > laffargue@pse.ens.fr Stéphanie Toutain > stephanie.toutain@parisdescartes.fr CNRS I LE JOURNAL catégorie dite senior commence si tôt – dès 45 ans en fait – et pourquoi en France on quitte de toute façon le monde du travail bien avant l’âge de la retraite », résume Anne-Marie Guillemard. REVOIR LES CYCLES DE TRAVAIL Enfin, « il faudrait davantage tenir compte de la notion de parcours, très flexible de nos jours », insiste la sociologue, puisque la rigidité du modèle classique à trois temps – formation, travail plein pot, puis courte retraite – ne marche plus. « On le voit bien dans le cas des personnes en parentalité tardive à 50 ans, bien loin de penser à la retraite par exemple », fait-elle remarquer. Selon elle, plusieurs pistes se dessinent : alléger le temps de travail à certaines périodes de l’existence pour mieux le répartir sur le cycle de vie, ou alterner période de travail, de formation ou sabbatique. Les seniors vont donc peut-être reprendre du service. Mais ils vont surtout sortir d’une injuste ségrégation silencieuse.C. Z. 1. Unité CNRS/EHESS. 2. Unité CNRS/Université Paris-Descartes/Inserm/EHESS. 3. Unité CNRS/EHESS/ENS Paris/École des Ponts ParisTech/Inra. 4. Testing réalisé en 2006 par l’Observatoire des discriminations par envoi de CV aux entreprises. 5. Objectif fixé en 2001 pour atteindre 50% en 2010. UN PROGRAMME POUR CERNER LE VIEILLISSEMENT pour certaines pathologies ; la compréhension de l’évolution des fonctions cérébrales et cognitives, et des maladies neurodégénératives liées à l’âge ; l’utilisation des nouvelles technologies pour l’aide au quotidien ou la lutte contre le handicap ; l’analyse de la construction sociale du vieillissement ; et, enfin, l’étude des problématiques économiques et sociétales. M. R. EN LIGNE. > www.cnrs.fr/prg/PIR/programmes/longevite/longevite.htm |