CNRS Le Journal n°254 mars 2011
CNRS Le Journal n°254 mars 2011
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°254 de mars 2011

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 2,9 Mo

  • Dans ce numéro : Faire face au vieillissement

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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© HAMILTON/REA 06 w 22 | L’enquête De fait, en France, tout pousse les salariés hors des entreprises dès que pointe la cinquantaine. En cause, la fâcheuse politique de préretraite à 55 ans menée depuis la fin des années 1970 dans l’idée de libérer des emplois. « Cela n’a pas fait baisser le taux de chômage, constate Jean-Pierre Laffargue, c’est une erreur de penser que, dans un pays, il y a une quantité fixe d’emplois disponibles. Au contraire, plus il y a de gens qui travaillent, plus le pays produit de capital, et plus il y a de secteurs productifs et donc d’emplois. Les seniors ne prennent pas les places des jeunes… », ajoute l’économiste. Mais la spirale était lancée, et ses effets furent pervers… LE DROIT DE TRAVAILLER JUSQU’À LA RETRAITE « Si le départ à la retraite se fait à 55 ans, vous êtes jugé peu motivé et déjà « en partance » à 50 ans, remarque Anne-Marie Guillemard. Et, à 45 ans, on hésite à vous promouvoir ou à vous former », comme le prouvait un sondage Ifop de 2008 réalisé auprès des directeurs des ressources humaines. Privés de formation continue, dévalorisés, nos « jeunes seniors » subissent ainsi une violente discrimination à l’embauche : le critère de l’âge en étant le plus fort vecteur en France, devant l’origine ethnique et le handicap 4. En définitive, il n’est pas étonnant de trouver notre pays en queue de classement en ce qui concerne le taux d’emploi des 55-64 ans, avec seulement 38,9%. Quand la Finlande, modèle en la matière, est passée de 35,5 à 55,5% entre 1996 et 2009 5, suite à l’objectif fixé par l’Union européenne et grâce à un profond changement des mentalités. « L’Institut du travail finlandais a fait la démonstration aux entreprises qu’investir sur les seniors était rentable, à partir d’études sur les salariés, leur perception du travail, leurs motivations et leurs perspectives, etc., explique Anne-Marie Guillemard. Et le pays a investi sur la formation continue et a réhabilité la culture du 06 L’expérience des seniors est une richesse dont certaines entreprises ont appris à tirer parti. Cet homme à la cravate est un cadre à la retraite de 61 ans en mission d’intérim dans une usine du domaine automobile, à Bonneval. En France, l’âge est le plus fort critère de discrimination à l’embauche. droit de travailler à tout âge. » Au lieu de laisser les entreprises se fourvoyer entre négociations de départ et indemnités. « Ou encore de créer des CDD seniors – seuls 20 ont été signés depuis leur mise en place en France en 2006 ! – qui accentuent la dépréciation des cinquantenaires », note la chercheuse, puisque l’on demande quasiment aux entreprises de faire « dans l’humanitaire » en les embauchant… Repousser l’âge de la retraite et rattraper tant bien que mal celui de nos voisins européens, souvent plus élevé, n’est pas tout. « Il faut aussi mener une politique de l’emploi, s’interroger sur le bien-être au travail, comprendre pourquoi notre Aborder le vieillissement de manière transversale en faisant appel à toutes les disciplines concernées, tel est l’objectif du grand programme interdisciplinaire « Longévité et vieillissement » lancé par le CNRS en 2008. Celui-ci comporte cinq grands volets : l’étude des mécanismes moléculaires, cellulaires et physiologiques liés à la longévité et le développement de traitements CONTACTS : Anne-Marie Guillemard > anne-marie.guillemard@ehess.fr Jean-Pierre Laffargue > laffargue@pse.ens.fr Stéphanie Toutain > stephanie.toutain@parisdescartes.fr CNRS I LE JOURNAL catégorie dite senior commence si tôt – dès 45 ans en fait – et pourquoi en France on quitte de toute façon le monde du travail bien avant l’âge de la retraite », résume Anne-Marie Guillemard. REVOIR LES CYCLES DE TRAVAIL Enfin, « il faudrait davantage tenir compte de la notion de parcours, très flexible de nos jours », insiste la sociologue, puisque la rigidité du modèle classique à trois temps – formation, travail plein pot, puis courte retraite – ne marche plus. « On le voit bien dans le cas des personnes en parentalité tardive à 50 ans, bien loin de penser à la retraite par exemple », fait-elle remarquer. Selon elle, plusieurs pistes se dessinent : alléger le temps de travail à certaines périodes de l’existence pour mieux le répartir sur le cycle de vie, ou alterner période de travail, de formation ou sabbatique. Les seniors vont donc peut-être reprendre du service. Mais ils vont surtout sortir d’une injuste ségrégation silencieuse.C. Z. 1. Unité CNRS/EHESS. 2. Unité CNRS/Université Paris-Descartes/Inserm/EHESS. 3. Unité CNRS/EHESS/ENS Paris/École des Ponts ParisTech/Inra. 4. Testing réalisé en 2006 par l’Observatoire des discriminations par envoi de CV aux entreprises. 5. Objectif fixé en 2001 pour atteindre 50% en 2010. UN PROGRAMME POUR CERNER LE VIEILLISSEMENT pour certaines pathologies ; la compréhension de l’évolution des fonctions cérébrales et cognitives, et des maladies neurodégénératives liées à l’âge ; l’utilisation des nouvelles technologies pour l’aide au quotidien ou la lutte contre le handicap ; l’analyse de la construction sociale du vieillissement ; et, enfin, l’étude des problématiques économiques et sociétales. M. R. EN LIGNE. > www.cnrs.fr/prg/PIR/programmes/longevite/longevite.htm
N°254 I MARS 2011 L’enquête | 23 La subtile mécanique du vieillissement Bien loin des mythiques fontaines de jouvence et des prétendus produits miracles aux vertus anti-âge, les chercheurs avancent à grands pas dans la compréhension du vieillissement. En ligne de mire : la possibilité de faire reculer l’apparition de nombreuses pathologies liées à l’âge. Voire de les supprimer… Le vieillissement, « c’est le déclin des performances et l’accroissement des déficits pour la plupart des grandes fonctions physiologiques », définit Jean Mariani, directeur du laboratoire Neurobiologie des processus adaptatifs 1, à Paris, et porteur scientifique de l’Institut de la longévité et du vieillissement (lire l’encadré p. 26). Avec l’âge, l’organisme a ainsi de plus en plus de mal à faire face aux agressions, qu’elles proviennent de l’environnement ou de ses propres cellules. Et de nombreuses pathologies se déclarent : cancers, ostéoporose, maladies neurodégénératives telles que l’Alzheimer… La liste est longue hélas. Comme le rappelle Florence Solari, du Centre de recherche en cancérologie de Lyon 2, « en moyenne, une personne de 80 ans souffre de huit pathologies », même si toutes n’ont pas la gravité de celles citées précédemment. UN PROCESSUS QUI AGIT À TOUS LES NIVEAUX Cellules, tissus, organes, c’est à tous les niveaux qu’agit le processus. Pour en décrire les causes et les mécanismes, plus de 300 théories ont déjà été proposées. Même si aucune ne l’explique dans sa totalité, l’une d’elle a connu un beau succès auprès du grand public : celle qui met en cause les radicaux libres, ou plus généralement les espèces réactives de l’oxygène (ROS). Ces molécules produites lors de la respiration cellulaire ou sous l’action des rayons UV ont un haut pouvoir oxydant leur permettant d’arracher des électrons. Résultat, elles peuvent endommager l’ADN, les protéines et les lipides des membranes cellulaires. Dès lors, on a voulu les rendre responsables du vieillissement. Mais attention à ne pas se bourrer d’antioxydants afin de neutraliser ces ROS ! Elles ont un rôle bien précis « de messagers et participent à la régulation de nombreuses fonctions cellulaires », explique Corinne Dupuy, chercheuse au laboratoire Stabilité génétique et oncogenèse 3, à Villejuif. En oxydant sélectivement certaines protéines, elles les activent ou les inactivent selon les besoins de la cellule. D’ailleurs « nous avons récemment découvert une famille d’enzymes, les NADPH oxydases, dont la fonction principale dans la cellule est de produire des ROS », révèle Corinne Dupuy. Indispensables donc, mais dangereuses au-delà d’un certain seuil, c’est surtout le dosage des ROS qui compte. Or, lorsque la vieillesse arrive, cette fine machinerie peut se dérégler. « Les ROS ont en effet un lien notable avec de nombreuses maladies qui apparaissent avec l’âge, comme le cancer de la thyroïde, où l’on observe une augmentation des enzymes qui ©C. FRÉSILLON/CNRS PHOTOTHÈQUE © P.LANSDORP/VISUALS UNLIMITED/CORBIS les produisent », poursuit la chercheuse. Mieux comprendre quand et comment se produisent les déséquilibres dans la production des ROS devrait permettre de nous protéger de leurs effets délétères. LES CHROMOSOMES EN CAUSE Autres suspects auxquels on a souvent attribué notre sort d’êtres mortels : les télomères, localisés à l’extrémité de nos chromosomes. Lors des divisions cellulaires, l’ADN, principal constituant de nos chromosomes, se duplique… mais jamais jusqu’au bout. Ce n’est que grâce au sacrifice d’un morceau de télomère que le patrimoine génétique du chromosome reste 07 08 w intact. Mais que se passe-t-il lorsque, après 50 ou 80 divisions, les télomères deviennent trop courts pour remplir ce rôle ? « Ils envoient un signal que la cellule interprète comme un dommage porté sur son ADN. Elle cesse immédiatement de se diviser et, soit elle déclenche le mécanisme d’apoptose, le suicide cellulaire, soit elle entre en sénescence », détaille Éric Gilson, chercheur au Laboratoire de biologie et pathologie des génomes de Nice 4. La cellule sénescente change alors de forme, ne produit plus les mêmes protéines et émet des signaux qui favorisent son élimination par le système immunitaire. Au fur et à mesure qu’une plus grande part de ses cellules entre en sénescence, l’organisme vieillissant a plus de difficultés à régénérer ses tissus. > Suite page 26 07 Cette coupe permet d’observer dans un cancer de la thyroïde (à droite) l’expression d’une NADPH oxydase (en marron), responsable de la production de radicaux libres. 08 À l’extrémité des chromosomes, les télomères (en jaune) raccourcissent à chaque division cellulaire.



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