CNRS Le Journal n°251 décembre 2010
CNRS Le Journal n°251 décembre 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°251 de décembre 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 6 Mo

  • Dans ce numéro : Sauver Lascaux

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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©F.vRiGNaud/CNRSPhotothèque 02 w 8 | L’événement cnrs I LE JOUrnAL Les soLides Poreux : 250 ans d’histoire « Les poreux ont été découverts en Suède, en 1756, par un homme qui avait l’amour des minéraux : Axel-Frédéric Crönstedt, raconte Gérard Férey. Il a eu l’idée de chauffer de la stiblite, un minéral naturel, et il s’est aperçu qu’à 150 °C celui-ci se couvrait de bulles. » Pour créer l’équivalent synthétique de ces étranges minéraux que Crönstedt appelle zéolithes – la pierre qui bout, en grec –, il faudra plus d’un siècle. Ce n’est qu’en 1930, avec Linus Pauling, que l’on commence à comprendre leur structure cristalline : l’assemblage des atomes dessine en effet des cages de quelques angströms 1 de diamètre, disposées régulièrement dans le solide. Et des molécules, d’eau par « À l’échelle atomique, l’ordre de la matière est magnifique. On dirait du Vasarely ! » discipline empruntée à la physique qui consiste à localiser les atomes dans l’espace et à comprendre comment ils s’assemblent. Puis, à Grenoble, Félix Bertaut l’initie au magnétisme et à la diffraction des neutrons. C’est grâce à ces outils que le chimiste va plus tard devenir un véritable architecte de la matière. Du fond de son canapé, le chercheur continue d’agacer sa cigarette, toujours éteinte. « Vous savez, confie-t-il, je n’aime pas rester plus de dix ans sur un même sujet ou dans une même fonction. Au-delà, je m’ennuie. » Ainsi, en 1988, pour rompre l’habitude, il ouvre une nouvelle page de sa carrière : il est nommé directeur adjoint du département de chimie du CNRS. Là, il découvre l’envers du décor. « J’étais chargé des financements des laboratoires, explique Gérard Férey. Au lieu de réclamer des crédits comme avant, je les accordais… Pour être équitable, j’ai dû mieux connaître mon milieu, cerner chaque branche de la chimie. J’y ai énormément gagné en culture et en modestie. » La bataiLLe Pour créer L’institut Lavoisier Mais, à la fin de son mandat, en 1992, la paillasse lui manque. Gérard Férey retourne au Mans et à sa recherche, presque en urgence, et s’attaque à un sujet qui le passionne depuis des années, mais qu’il n’a encore jamais eu l’occasion d’aborder : les solides poreux. Au départ, comme les autres chimistes, il se contente de créer de nouveaux composés. Mais il souhaite aller plus loin et savoir comment ces composés se forment. Il développe alors de nombreuses méthodes spectroscopiques in situ, complémentaires de la cristallographie, pour observer leur mécanisme de formation en temps réel. À force de exemple, s’y logent. Voilà pourquoi Crönstedt observait des bulles lors du chauffage. Industriels et chercheurs entrevoient immédiatement les applications que ces solides offrent, notamment leur capacité à absorber du gaz. Seulement voilà, ils sont souvent coûteux à fabriquer, et leurs cages sont encore trop petites pour stocker des quantités significatives. C’est là qu’intervient Gérard Férey. Il est l’un des premiers à mettre au point des solides poreux hybrides, dont le squelette est composé à la fois de parties organiques et inorganiques. Une astuce qui permet de faire varier la taille des cages sans pour autant compromettre la stabilité de l’ensemble. Les solides obtenus selon ce procédé sont par ailleurs non toxiques, biodégradables, faciles à préparer en grande quantité, et donc de moindre coût. Mais quels sont, parmi tous les arrangements atomiques possibles constituant des poreux hybrides, les plus performants ? Pour le savoir, l’équipe de l’Institut Lavoisier a créé des programmes informatiques qui sélectionnent les structures cristallographiques les mieux adaptées. C’est ainsi qu’est né le fameux MIL-101. Capable d’absorber 400 fois son volume de CO 2, il détient le record du matériau qui stocke le plus de gaz. 1.unangströmvaut0,1nanomètre, soit10 –10 mètre. persévérance, il finit par comprendre ce processus et observe l’existence de briques qui se retrouvent dans le solide final. « J’ai pu jouer avec elles, prédire leurs assemblages et explorer ainsi des centaines de possibilités de synthèses de pores sur mesure », se souvient-il. Il prend ainsi quelques années d’avance sur la concurrence et commence à imaginer la foule d’applications qu’offriront ces matériaux gruyère. En 1996, le président de l’université de Versailles, fraîchement créée, lui propose d’y mettre en place un institut de recherche en chimie et en physique des solides. Une chance énorme. À ceci près que les crédits promis tardent à venir. Le petit monde de la chimie va alors comprendre que monsieur Férey n’a pas sa langue dans sa poche et sait se battre : « Les négociations ont été longues, au point de menacer de me retirer avec fracas si je n’obtenais pas rapidement les fonds nécessaires pour recruter du personnel et acheter le matériel. C’est comme ça que j’ai gagné la bataille ! » se rappelle le chercheur. Et que l’Institut Lavoisier a vu le jour. mise au Point du FabuLeux miL-101 Grâce à son expertise des mécanismes de formation et à des outils informatiques spécifiquement conçus, Gérard Férey met au point avec sa très jeune équipe un de ses matériaux fétiches : le MIL-101 (Matériau de l’Institut Lavoisier 101). En 2005, après dix années d’efforts à « jouer aux Lego » avec les poreux, il obtient enfin le « matériau miracle » : une structure hybride dotée de cages de 4 nanomètres de diamètre 3 et donc absolument immense à l’échelle atomique. Grâce à elles, le MIL-101 peut piéger 400 fois son volume de gaz ! N’espérez pas que le chimiste
n°251 I dÉcEmbrE 2010 L’événement | 9 vous livre en détail sa recette. Les conditions de température, d’humidité requises et autres secrets de fabrication sont jalousement gardés. Toujours prudent, le chercheur a pris soin de déposer des brevets CNRS avant de rendre sa découverte publique. « Le lendemain de ma publication scientifique, j’ai reçu un coup de fil de Nissan, et d’autres industriels ont suivi », rapporte-t-il. C’est finalement BASF qui s’est lancé dans la fabrication du MIL-101. Aujourd’hui, le groupe mondial est capable d’en produire 1 tonne chaque jour en unité pilote 4. Quelle en serait l’utilisation optimale dans l’industrie ? « L’idéal, ce serait qu’une cimenterie l’achète pour piéger le CO 2 dégagé par l’usine, puis – mais là, je rêve encore ! – qu’elle utilise après transformation le CO 2 piégé comme combustible pour ses machines, et ainsi de suite… En résumé, ce que je sais faire, ce sont de grands trous sur mesure. À votre avis, à part piéger du CO 2, à quoi peuvent bien servir ces cages ? interroge le chercheur. À encapsuler des médicaments ! » En effet, injecté dans le sang, un médicament est très fragile, et seule une faible quantité des principes actifs parvient à l’organe. Et pour cause, ceux-ci ne sont pas suffisamment protégés par les nanovecteurs utilisés à l’heure actuelle. La solution : mettre le médicament à l’abri dans les cages des fameux nanoporeux de Gérard Férey. « Dès que j’ai eu cette idée, j’ai demandé à un ami biochimiste de m’indiquer les médicaments tests susceptibles de valider mon intuition, indique-t-il. Après nos essais positifs, il est resté éberlué par les résultats. » Aujourd’hui au point et brevetée, cette méthode révolutionnaire conserve intacts 75 à 100% des principes actifs et les diffuse en continu dans le sang de souris de façon ciblée, pendant deux à trois semaines. Mieux encore, ces nanovecteurs d’un genre nouveau sont visibles en imagerie médicale, ce qui permet de suivre le trajet de l’injection intraveineuse jusqu’à la cible. Cette technologie, la théragnostique, pourrait être utilisée en particulier dans les traitements de la leucémie des enfants, du cancer du sein et du Sida. « Et nous avons prouvé sa non-toxicité lors de tests in vivo », assure Gérard Férey. s’investir, encore et toujours Des royalties à la clé de cette belle invention ? « Si tel est le cas, les plus grosses parts iront au CNRS, à notre laboratoire de l’Institut Lavoisier et, bien sûr, à mon équipe, qui a fait, au jour le jour, le gros du travail. Ce sont des jeunes extrêmement brillants, et d’une élégance rare, se réjouit-il. Ils ont toute mon admiration. Les poreux, c’est désormais leur vie. » En septembre 2009, le chercheur quitte son équipe, poussé par l’obligation de prendre sa retraite. Il se promet alors, par respect pour ses collaborateurs, de ne plus remettre les pieds à l’Institut. « Et j’ai tenu parole. Quand j’étais jeune, j’ai su ce que c’était d’avoir sur le dos un vieux patron qui, inconsciemment, bride le jeune en pleine créativité. Je m’étais juré de ne pas jouer ce rôle, se souvient-il. Bien sûr, ils me manquent, l’Institut aussi, et la passion du métier m’habite toujours, mais c’est la règle du jeu. » Sans la moindre nostalgie dans le regard, Gérard Férey allume enfin sa cigarette. La retraite du médaillé d’or promet toutefois d’être active. Investi dans l’Académie des sciences, il participe aussi à la rénovation de la Société chimique de France et œuvre à la préparation de l’Année internationale de la chimie, qui se tiendra en 2011. Il découvre aussi le bonheur intellectuel d’être membre du Comité consultatif national d’éthique. « S’ennuyer, conclut-il, c’est faire preuve d’un manque d’imagination ! » 1.universitéCNRS/universitéversailles-Saint-quentin-en-yvelines. 2.Chimisteetphysicienaméricain(1901-1994). 3.unnanomètrevaut10 –9 mètre. 4.uneunitépiloteestunprototypeàéchelleréduite decequeseral’unitédeproductiondéfinitive. Celle-cidevraitproduirequelquescentaines detonnesparjour. cOntAct : Institut Lavoisier, Versailles Gérard Férey > gferey@me.com 03 02 Grâce à ses matériaux poreux, en maquette plastique devant lui, Gérard Férey a acquis une renommée mondiale. 03 À l’Institut Lavoisier, créé il y a une dizaine d’années par le lauréat 2010 de la médaille d’or, on fabrique des composés chimiques à l’atome près. ©C.FReSiLLoN/CNRSPhotothèque



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