CNRS Le Journal n°251 décembre 2010
CNRS Le Journal n°251 décembre 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°251 de décembre 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 6 Mo

  • Dans ce numéro : Sauver Lascaux

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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©11DR ; 12MiNiStèReDeLaCuLtuReetDeLaCoMMuNiCatioN–DRaCD’aquitaiNe ; 13M.LaRivièRe–aRChiveSLavaL 11 12 w 26 « Avec le recul, on est atterré par l’accumulation des erreurs commises (…) qui mirent gravement en danger des peintures qui avaient survécu aux atteintes du temps pendant près de 20 000 ans 1 », résume le préhistorien Jean Clottes, spécialiste des grottes ornées. Mais, « à l’époque, on ne savait pas… », commentent aujourd’hui la plupart des observateurs, comme les conservateurs Alain Rieu et Muriel Mauriac. Selon cette dernière, la plus grosse erreur fut sans doute d’avoir ouvert la grotte à un si grand nombre de visiteurs à partir de juillet 1948, le chaos de la Seconde Guerre mondiale une fois dissipé, sept ans et demi après la découverte de la cavité. Pour l’offrir au public et faciliter sa progression vers les salles ornées, « des travaux d’aménagement inconsidérés ont été réalisés », observe le préhistorien Norbert Aujoulat. Le sol a été évidé pour l’abaisser de 1 mètre dans la zone du Passage. Différents éléments de maçonnerie ont été construits, dont des escaliers à l’entrée de la Salle des Taureaux. Et on a creusé une ouverture monumentale en guise d’entrée avec une porte « digne d’un | L’enquête cnrs I LE JOUrnAL Les erreurs dupassé 13 11 Entrée de la grotte en 1940. Le petit trou, de 20 centimètres à l’origine, est ici déjà élargi. 12 L’entrée, après les travaux de 1947, est devenue monumentale… 13 Prémices des travaux pour abaisser le sol de la salle des taureaux, en 1940. Assis devant, Jacques marsal (de profil) et marcel ravidat (de face), deux des quatre découvreurs de la grotte. temple égyptien, ajoute le chercheur, alors qu’à sa découverte l’ouverture consistait en un petit trou d’à peine 20 centimètres de large… » La grotte, son volume, sa communication avec l’extérieur et ses échanges thermiques s’en sont trouvés profondément modifiés. L’équilibre entre les micro-organismes en tout genre qui régnait jusque-là dans la cavité n’attendait plus qu’un souffle pour vaciller… une ventiLation inadaPtée Ce souffle viendra du système de ventilation installé sous l’escalier d’entrée en 1957. Le but de l’énorme machine, utilisée généralement dans les sous-marins, est d’extraire le gaz carbonique (CO 2) présent en excès du fait de l’affluence de visiteurs et qui provoque parfois des malaises. Elle doit aussi augmenter la température, de 12,7 °C jusqu’à 14 °C, toujours pour le confort du public. « Ce fut le début des ennuis, souligne Norbert Aujoulat. À partir de 1960, des taches vertes se sont développées sur les parois. » Il s’agit d’une algue qui a proliféré au voisinage des vasques de lumière durant l’hiver 1962-1963. Cette maladie verte, sans doute introduite durant les travaux de terrassement ou par le va-et-vient des visiteurs, a été disséminée par la machine de ventilation. L’éclairage artificiel installé dans la grotte, la température trop élevée et l’humidité ambiante auraient ensuite fait le reste en favorisant la croissance de l’algue. Dans le même temps est apparue une maladie blanche. Des voiles de calcite 2 blanche se sont déposés sur les parois à cause d’un cocktail d’infiltration et de condensation d’eau. Certains ont recouvert les peintures. On s’inquiète alors de voir les voiles s’opacifier, en partie du fait de la présence de CO 2. « On aurait pu décider de stopper les visites dès 1962 », analyse Muriel Mauriac. Et ne pas atteindre cette année-là le chiffre mirobolant de 100 000 visiteurs, avec des pics de fréquentation à 1 800 par jour durant l’été. « Mais il faut rappeler qu’il s’agit à l’époque d’une propriété privée, celle de M. de la Rochefoucauld, exploitée par une société qui fait travailler une douzaine de personnes », poursuit Alain Rieu. En avril 1963, André Malraux, ministre des Affaires culturelles, impose au propriétaire de fermer au public.
n°251 I décEmbrE 2010 L’enquête | 27 w Face à la maladie verte, une commission de scientifiques créée par André Malraux prend une décision radicale : pulvériser les surfaces avec des antibiotiques et une solution de formol, puissant désinfectant. Victoire : en quelques mois, les taches vertes disparaissent. Et, entre 1965 et 1967, la coupable machine de ventilation est démontée au profit d’un nouveau système de climatisation, dit statique, qui ne force pas de déplacement d’air. À cette période critique, le ministre reste ferme : il n’y aura plus de visiteurs, ou seulement exceptionnels, comme des chercheurs ou des journalistes. Finalement, en janvier 1972, le propriétaire fait don de la grotte à l’État, avec, en contrepartie, la garantie d’exclusivité de la gestion d’un fac-similé, Lascaux II (lire l’encadré ci-dessous), qui ouvrira en 1983. Dans la grotte originale, la situation restera sable pendant trente ans. 14 ces moisissures blanchâtres ont envahi l’entrée de la salle des taureaux l’été 2001. Il s’agit de Fusarium solani, un champignon qui a prospéré, profitant du vide bactérien provoqué par les traitements chimiques appliqués sur les parois dans les années 1960. Les effets secondaires des traiteMents Mais, en 1999, les pompes et les joints de la machine de climatisation lâchent les uns après les autres. Il faut à nouveau changer le système. « Quelques mois à peine après les travaux d’installation, le sol et les banquettes (les bas des parois) de l’entrée de la Salle des Taureaux se sont tapissés en quelques jours d’une moisissure blanche », raconte Alain Rieu. Nous sommes en juillet 2001 et le coupable est Fusarium solani, un champignon bien connu des agriculteurs. D’où vient-il ? Peut-être a-t-il été apporté par le ruissellement d’eau dans la grotte, particulièrement abondant en ce pluvieux printemps 2001. « Les va-et-vient lors du chantier pour installer la machine y sont sans doute aussi pour quelque chose », commente Alain Rieu. En revanche, tout le monde s’accorde aujourd’hui sur un point : la catastrophique influence des traitements chimiques lors de la crise des années 1960. L’utilisation d’antibiotiques et de formol a en effet détruit une bonne partie de la biodiversité microbienne, créant une sorte de vide bactérien. Seul micro-organisme résistant aux traitements, Fusarium prospère, s’adapte et mute en des souches propres à la terre de Lascaux. « Songez qu’à l’époque, pour éviter toute contamination depuis l’extérieur, on trempait même les chaussures dans un bac de solution de formol, apportant quelques gouttes dans le sol à chaque pas ! » s’exclame Muriel Mauriac, alors qu’aujourd’hui on porte des sur-chaussons, des combinaisons intégrales et des charlottes pour les cheveux. « Le bac à formol était présent dans toutes les grottes à protéger, mais Lascaux, la plus fréquentée, fut la seule à tant en pâtir, victime de son succès… », ajoutet-elle. En automne 2001, une couverture de chaux et un fongicide ont été appliqués. Le duvet de mycélium a disparu, 14 malgré quelques repousses ponctuelles qui seront enlevées manuellement. Mais entre-temps, d’autres micro-organismes en ont profité pour se réveiller, comme les fameuses taches noires… À présent, ne rien faire semble une solution possible, et on cherche plutôt du côté des causes. Reste un lourd passif : une grotte dont l’équilibre en microfaune et en microflore a été profondément bouleversé lors des deux grandes crises passées, 15 ©MiNiStèReDeLaCuLtuReetDeLaCoMMuNiCatioN-CNP De l’avis général, rouvrir Lascaux ne serait pas raisonnable. La volonté est même plutôt de sanctuariser la zone. Sous l’impulsion du ministère de la Culture, la direction régionale des affaires culturelles d’Aquitaine devrait donc bientôt fermer une des deux routes qui déverse actuellement un flot de voitures et de bus de touristes sur le site de Lascaux II, fac-similé partiel réalisé dans une cavité à 350 mètres à peine du précieux original. « On projette d’assurer le transfert des 250 000 visiteurs par an avec des navettes électriques, afin de réduire les dégagements de CO 2 dans cette zone », signale le conservateur Alain Rieu. Le ministère est aussi en train d’acquérir les terrains autour de la grotte. « Le but est de maîtriser les eaux de ruissellement souterraines qui entrent dans la cavité par le bassin-versant », ajoute Muriel Mauriac, quand on s’imaginait faire une chambre stérile d’un milieu aussi complexe. En réalité, à chaque nouveau traitement, on préparait le terrain pour la conquête d’autres micro-organismes tapis dans l’ombre, à l’affût de la moindre variation du taux d’humidité ou de température. Peut-être l’équilibre se serait-il rétabli tout seul lors des premières crises. Mais « ne rien faire semblait inenvisageable… », résume Muriel Mauriac.c. Z. 1. Lascaux, patrimoine de l’humanité, Les Dossiers d’archéologie,hors-sérien°15,juin2008. 2.Minéralàbasedecalcium. coPier Lascaux Pour La Préserver ©SeMitouRPeRiGoRD 15 Entrée de Lascaux II, fac-similé partiel de la grotte. Il attire tant de visiteurs que les dégagements de cO 2 de leurs véhicules menaceraient les peintures de la grotte originale, située à 350 mètres de là. conservatrice de la grotte. L’intérêt : prévenir la pénétration d’éventuels pesticides utilisés sur les terrains agricoles alentours. Pour que le public ait toujours accès à l’art pariétal, on accentue donc la création de fac-similés. Ainsi, Lascaux III, dit Lascaux révélé, est une reproduction de scènes de la Nef absentes de la précédente copie. Réalisés en 2003 à l’initiative du conseil général de la Dordogne, ces grands panneaux démontables ont déjà été présentés au public lors de différentes expositions en France et sont destinés à voyager dans le monde entier. Deux autres projets ont été décidés cet automne : Lascaux IV, dont le support reste à définir, sera un fac-similé complet des fresques, installé au pied de la colline qui abrite l’originale ; tandis que Lascaux V proposera le DVD d’un film en 3D de l’intérieur de la grotte.



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