CNRS Le Journal n°251 décembre 2010
CNRS Le Journal n°251 décembre 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°251 de décembre 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 6 Mo

  • Dans ce numéro : Sauver Lascaux

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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w 22 jusqu’au début du Paléolithique supérieur, la grotte Cosquer affiche 27 000 ans, et la grotte Chauvet, 32 000 ans. Mais Lascaux se distingue de tous les autres sites. D’abord, « bien que de longueur modeste, avec ses 230 mètres de long environ et ses espaces relativement restreints, elle contient des frises de dimensions importantes, notamment un immense aurochs de 5,5 m de long », commente Norbert Aujoulat, directeur du département d’art pariétal au Centre national de la Préhistoire 1, à Périgueux. Ensuite, « il n’existe que peu de grottes ornées de peintures sous forme d’aplats de couleurs, par opposition aux dessins définis par leurs seuls contours ». Cette maîtrise de la technique – la peinture est soufflée sur la paroi – est particulièrement troublante tant les perspectives sont magistrales, jouant souvent avec la surface bosselée d’un support peu propice. Enfin, « les animaux y sont représentés en mouvement, alors que, dans les autres grottes, la représentation est plus statique », poursuit l’expert. une ferMeture saLutaire Pour toutes ces raisons, Lascaux est unique. « Elle fut aussi le premier site à fermer au public, alors qu’elle était la grotte la plus visitée au monde, ce qui a entraîné une prise de conscience de l’importance de conserver ce type de patrimoine », soulignent Alain Rieu, chef de la conservation régionale des monuments historiques, | L’enquête cnrs I LE JOUrnAL rePère. Le Paléolithique supérieur (– 40 000 à – 10 000 ans) est caractérisé par l’arrivée de l’homme moderne en Europe, le développement de nouvelles techniques (lames, industrie osseuse…) et l’explosion de l’art préhistorique. et Muriel Mauriac, conservatrice de la grotte, tous deux à la direction régionale des affaires culturelles d’Aquitaine. « La grotte d’Altamira, en Espagne, a eu aussi des problèmes de champignons dans les années 1970, précisent-ils, mais les malheurs de Lascaux ont servi d’enseignement » : le site a fermé à temps et n’a pas subi de traitement ravageur. Alors que les autres grottes n’ont aujourd’hui à se battre que contre quelques mousses, Lascaux est donc la seule où persistent de véritables problèmes.c. Z. 1.unitéCNRS/universitébordeaux-i/Ministère delaCultureetdelaCommunication/inrap. cOntActs : norbert aujoulat > norbert.aujoulat@orange.fr Muriel Mauriac > muriel.mauriac@culture.gouv.fr alain rieu > alain.rieu@culture.gouv.fr « Un symbole de la création de la vie » wLes chevaux, les taureaux, puis les cerfs. selon norbert Aujoulat, auteur d’une thèse d’état sur l’interprétation symbolique des peintures de Lascaux, les animaux apparaissent toujours dans le même ordre. Après avoir analysé leur pelage et leur silhouette, le chercheur n’a plus de doute : chaque animal a été saisi au moment de sa période de rut. « Lascaux semble un symbole de la création 04 de la vie, explique-t-il. Je pense que ces peintures ont été réalisées par des hommes mandatés par leur tribu, mais qui ne sont jamais revenus sur les lieux. » Un sanctuaire dont seul comptait le souvenir ? « C’est ce qui paraît s’être passé dans d’autres grottes, dont les sols argileux, capables d’imprimer les empreintes de pas, n’en contiennent que très peu : preuve que ce n’étaient pas des lieux très fréquentés. » Le sol sableux de Lascaux ne permet pas d’affirmer la même chose, mais norbert Aujoulat penche fortement pour cette interprétation. ©03-04-05-06MiNiStèReDeLaCuLtuReetDeLaCoMMuNiCatioN-CNP 03 03 ce grand aurochs, situé dans le diverticule axial, est probablement l’image la plus emblématique de Lascaux. 04 Panneau de l’hémione, sorte d’âne sauvage, toujours dans le diverticule axial. sa silhouette trapue et sa ligne ventrale évoquent la fertilité. Des toutes les études microbiologiques menées à Lascaux sont formelles : la cavité fourmille de bactéries et de champignons. Invisibles à l’œil nu, ces micro-organismes ne représentent pas un réel danger pour les fresques vieilles de 18 000 ans. Excepté lorsque l’un d’entre eux se met à proliférer. Sur le front de ces contaminations, la plus préoccupante aujourd’hui concerne des champignons mélanisés. Les fauteurs de trouble sont ainsi surnommés car leur prolifération se traduit par la formation d’auréoles sombres sur les parois qu’ils investissent. Ces taches noires pourraient constituer une réaction de défense à un stimulus extérieur (source de lumière arti ficielle, traitement chimique antérieur…). Leur expansion serait facilitée par la présence de collemboles, des arthropodes de 1 millimètre de long aperçus près de ces taches. Ceux-ci,
n°251 I décEmbrE 2010 L’enquête | 23 w 05 06 07 moisissures coriaces en se nourrissant du mycélium des champignons, dissémineraient en effet ses spores et en accéléreraient la colonisation. Observées pour la première fois au printemps 2006, ces taches sont désormais localisées sur les parois du Passage, de l’Abside et de la Nef (voir plan de la grotte p. 21). Pour Claude Alabouvette, microbiologiste à l’Institut national de recherche agronomique de Dijon, chargé d’inventorier les populations microbiennes de Lascaux, ces organismes fongiques ont toujours été présents dans la cavité : « S’ils se sont mis à proliférer, c’est que les conditions environnementales leur sont devenues favorables dans certains secteurs de la cavité », assure le scientifique. Les fongicides Mis en cause Quelles furent les causes de cette soudaine prolifération ? « Les analyses effectuées sur les prélèvements des zones de contamination visibles nous ont permis d’identifier plusieurs espèces du genre Scolecobasidium », poursuit Claude Alabouvette. En parallèle, une équipe de microbiologistes japonais a montré, que ces champignons sont capables d’utiliser les détergents à base d’ammonium quaternaire comme unique source de carbone et d’azote. Or, ces produits chimiques entrent juste ment dans la composition des fongicides employés contre les moisissures blanches de Fusarium solani apparues en 2001, puis plus récemment contre les champignons mélanisés eux-mêmes. La nature ayant horreur du vide, les Scolecobasidium se seraient empressés de coloniser l’espace laissé libre par d’autres espèces plus sensibles aux traitements, parmi lesquelles figuraient très certainement les Fusarium. Les champignons mélanisés auraient de surcroît pu bénéficier d’une source de matière organique inespérée fournie par les fongicides successifs. Pour se prémunir contre d’autres retours de bâton de ce type, des scientifiques italiens ont récemment proposé une nouvelle stratégie de lutte fondée sur l’énergie électromagnétique des micro-ondes. « Contrairement aux traitements biocides, cette méthode, qui consiste à éliminer les souches fongiques en les chauffant, présente l’avantage de ne laisser aucun résidu organique potentiellement exploitable par d’autres micro-organismes », souligne La Lutte bioLogique n’est Pas La Panacée Dans un milieu naturel fragile, l’emploi du prédateur naturel d’un organisme nuisible peut sembler une stratégie judicieuse. À Lascaux, où la priorité demeure la protection des fresques, cela reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Pour éradiquer les moisissures blanches des Fusarium solani apparues au début des années 2000, les scientifiques auraient en effet pu faire appel à un autre champignon : Trichoderma. Celui-ci produit des substances capables d’interrompre la croissance des Fusarium. « Mais nous n’aurions fait que remplacer les taches blanches par des taches vertes », assure le microbiologiste Claude ©C.SaizjiMeNez/SCiC 05 06 Prélèvement d’un échantillon sur une zone de contamination pour identifier le micro-organisme à l’origine des taches noires. 07 ces collemboles, arthropodes retrouvés dans la grotte, auraient favorisé la dissémination des champignons mélanisés en les consommant. Piero Tiano, de l’Institut pour la conservation et la valorisation des biens culturels de Florence. En Toscane, le procédé a déjà permis d’éliminer des colonies de champignons recouvrant le mur décoré d’une tombe étrusque sans que cela n’altère les peintures. Cette méthode peu invasive pourrait constituer une alternative aux produits chimiques dans le traitement des contaminations fongiques de Lascaux. PriviLégier La non-intervention Devant la difficulté d’anticiper les effets collatéraux de nouveaux traitements sur la stabilité microbienne, le conseil scientifique privilégie pour l’heure une politique de non-intervention. L’idée d’un grand projet d’écologie microbienne visant à inventorier de la façon la plus exhaustive possible les populations microbiennes de Lascaux, en particulier dans les zones non contaminées, fait donc son chemin. « Il est nécessaire de déterminer les équilibres qui s’établissent entre ces populations, commente Thierry Heulin, chercheur au sein de l’unité Biologie végétale et microbiologie environnementales 1 de Cadarache et membre du conseil scientifique. La finalité d’un tel programme est d’acquérir une connaissance à la fois temporelle et spatiale de l’écosystème microbien. » Alabouvette. Lors de l’inventaire des populations microbiennes présentes dans la grotte, les biologistes ont par ailleurs découvert une bactérie plutôt discrète, du genre Collimonas, susceptible d’utiliser les champignons comme source de nourriture. En stimulant sa croissance, on aurait pu faire d’elle la solution universelle contre les contaminations fongiques successives. Cette éventualité a cependant très rapidement été écartée, car la bactérie peut également dégrader les substances minérales. De là à redouter une attaque des parois ornées, il n’y avait qu’un pas que les scientifiques ont préféré ne pas franchir.



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