CNRS Le Journal n°246-247 juil/août 2010
CNRS Le Journal n°246-247 juil/août 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°246-247 de juil/août 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,6 Mo

  • Dans ce numéro : Qui étaient vraiment les Gaulois

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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8 VIEDESLABOS Actualités PHYSIQUE L’opacité n’est plus ce qu’elle était Voir à travers une couche de peinture est désormais possible ! Des chercheurs ont mis au point un dispositif capable de reconstituer une image à partir des ondes diffusées par un milieu opaque. Avec d’étonnantes applications à la clé… C’est un peu comme si on avait réussi à percer le brouillard écossais, à l’épaisseur légendaire. Pour la première fois, des physiciens ont pu voir à travers un milieu prétendument opaque. Pas du brouillard, mais une couche de peinture suffisamment épaisse pour que toute lumière qui la traverse ne donne normalement qu’un halo lumineux. Grâce à une analyse ingénieuse de cette lumière, Sylvain Gigan et ses collègues de l’Institut Langevin 1 ont rendu cette peinture aussi transparente que du verre et ont pu observer un objet placé de l’autre côté. Pour comprendre l’avancée de nos chercheurs, il faut d’abord revenir sur l’ambiguïté du mot opaque. Le brouillard, un verre de lait, une feuille de papier sont des matières qualifiées d’opaques. Toutefois, contrairement à un mur de béton, elles laissent passer les rayons lumineux. Mais le phénomène de diffusion de la lumière, qui transforme l’image d’un objet en une vague lueur, empêche de voir à travers. En effet, quand ils traversent le milieu diffusif, les rayons ne vont plus en ligne droite, comme dans l’air ou dans le verre, mais ricochent un peu partout, telles des balles de flipper, avant de ressortir. D’où l’hypothèse émise pour reconstruire l’image d’inverser mathématiquement le processus : en établissant les trajectoires des rayons à l’intérieur du milieu, on devrait pouvoir, à partir de la lueur observée, remonter le temps et déduire l’image de départ. En fait, cette idée de reconstruire l’image en « débobinant » les rayons lumineux n’est pas nouvelle, mais elle se heurtait jusque-là à une difficulté expérimentale : la mesure de la matrice de transmission. « La matrice de transmission indique comment se transforme le champ électrique de l’onde lumineuse en traversant le milieu », explique Sylvain Gigan. Déterminez la matrice de transmission et vous saurez comment se propagent les rayons lumineux. Problème : la mesure de cette matrice, qui s’opère en éclairant le milieu avec un laser, exige d’être exhaustif. Il faut éclairer le milieu avec toutes les variantes de champ électrique possibles – il faut notamment pouvoir changer la « phase » du champ, autrement dit introduire un retard contrôlé sur l’onde lumineuse – et ce pour un grand nombre d’angles d’incidence de la lumière. Jusqu’à présent, personne n’avait pu réaliser de telles mesures, trop complexes. « Pour créer les différentes combinaisons possibles du champ électrique, nous avons utilisé un modulateur spatial de lumière, révèle le chercheur, Le journal du CNRS n°246-247 juillet-août 2010 © S. Gigan Laser Lamelle de verre avec peinture (milieu opaque) Objectifs du microscope c’est-à-dire un ensemble de cristaux liquides d’environ 1 million de pixels qui permet de contrôler, à volonté, la phase d’un laser pixel par pixel. » Le même type de modulateur, mais en plus basique, est employé dans la plupart des vidéoprojecteurs afin de former les images. Pour obtenir la matrice de transmission, Sébastien Popoff, doctorant, a envoyé la lumière issue du modulateur sur le milieu diffusif, une fine couche de peinture blanche déposée sur du verre, tandis que la lumière diffusée était recueillie par une caméra doublée d’un système dit d’interférométrie, nécessaire pour mesurer à la fois l’amplitude du champ électrique diffusé et sa phase. « Ce sont ces deux dispositifs – modulateur et système d’interférométrie – qui nous ont permis de mesurer la matrice de transmission », souligne Sylvain Gigan. Une fois la matrice de transmission en main, reconstruire une image à partir de son halo diffus est un jeu, mathématique, d’enfant. Afin de valider leur montage expérimental, les chercheurs de l’équipe se sont concentrés sur des images ultrasimples composées d’un unique point lumineux. Après reconstruction, les lueurs captées par la caméra de l’autre côté de la peinture ont bien donné l’image originale, à savoir le point lumineux. Les chercheurs sont actuellement en train de tester la méthode de reconstruction sur des images plus complexes et sont confiants dans leur réussite. Grâce à ce dispositif, on peut voir à travers une lamelle couverte de peinture. Pour l’heure, il permet de reconstituer des images simples, telles que celles d’un ou de deux points lumineux. SANTÉ Des pistes contre La maladie de Crohn est une pathologie chronique très invalidante. Touchant surtout des jeunes adultes de 15 à 40 ans, elle se caractérise par des lésions inflammatoires récurrentes du système gastro-intestinal pouvant évoluer vers un cancer colorectal. À ce jour, il n’existe aucun traitement curatif. Une lueur d’espoir vient toutefois de naître grâce à une importante étude publiée par une équipe internationale incluant des chercheurs du CNRS 1. Celle-ci démontre l’implication d’une molécule active dans le noyau des cellules : le récepteur nucléaire PPARgamma (pour Peroxisome Proliferator-Activated Receptor gamma). S’ils
© APS/S. M. Popoff et al., Phys. Rev. Lett. 104 (2010) Encore à l’état de prototype, la technique pourrait servir à améliorer la microscopie des tissus biologiques, exemples types de milieux diffusants. Avec l’appareil de l’Institut Langevin, on peut, dans l’avenir, espérer voir à l’intérieur d’échantillons de cellules comme en plein jour. « La principale limitation est la vitesse, nuance Sylvain Gigan. Il faut de quelques secondes à quelques minutes pour récupérer la matrice de transmission, et une toute petite modification du milieu rend cette matrice inutile puisqu’elle ne décrit plus le nouveau système. Or un milieu biologique bouge en quelques millisecondes. » L’équipe étudie actuellement les potentialités offertes par les MEMS, des dispositifs électromécaniques miniatures, en particulier des panneaux de micromiroirs pilotés électriquement, pour concevoir des modulateurs plus rapides. Et, si vous vous demandez si l’on peut envisager de doter les voitures de systèmes de vision antibrouillard conçus à partir de la technique, voici les conclusions de notre chercheur : « Il y a six mois, j’aurais dit que c’était de la science-fiction, mais quand je vois les progrès récents des MEMS, je commence presque à être optimiste. » Xavier Müller 1. CNRS/ESPCI ParisTech/UPMC (Paris-VI)/Université Paris-VII. CONTACT ➔ Sylvain Gigan Institut Langevin ondes et images, Paris sylvain.gigan@espci.fr la maladie de Crohn aboutissent, ces travaux pourraient mener à un traitement évitant l’inflammation de la partie terminale de l’intestin, le côlon. Et ce dans quelques années seulement. « Notre étude a mené à trois résultats importants », explique Mathias Chamaillard, chercheur au Centre d’infection et d’immunité de Lille 2. Tout d’abord, la production d’une protéine permettant de lutter contre divers micro-organismes – la β-défensine DEFB1 – se révèle anormalement basse chez les malades au niveau des lésions intestinales. « La baisse de production de cette ß-défensine serait responsable d’une prolifération de certains microbes à l’origine de la réaction Schéma du rôle du récepteur PPAR-gamma dans le traitement de la maladie de Crohn. inflammatoire nocive », précise Mathias Chamaillard. Ensuite, la fabrication de cette protéine apparaît liée à l’activation d’une autre molécule, le fameux récepteur nucléaire PPAR-gamma. Ainsi, des souris modifiées génétiquement pour ne pas exprimer ce récepteur présentent aussi une faible quantité de β-défensine dans leur côlon. MATHÉMATIQUES Une sacrée somme pour les nombres premiers Euclide a prouvé qu’il en existait une infinité voilà déjà 2300 ans. Pourtant, les nombres premiers occupent toujours les pensées des mathématiciens. La preuve, deux chercheurs de l’Institut de mathématiques de Luminy 1, Christian Mauduit et Joël Rivat, viennent d’élucider un problème concernant la somme des chiffres des nombres premiers. Concrètement, un nombre premier est un nombre qui ne peut pas être divisé autrement que par 1 ou par lui-même sans perdre son caractère entier. C’est le cas de 17 : il ne peut être divisé ni par 2, ni par 3, ni par 4…, ni par 16 sans conduire à un résultat avec des chiffres après la virgule. En 1968, le mathématicien russe Alexandre Gelfond émet une hypothèse, simple en apparence : si l’on additionne les chiffres d’un nombre premier quelconque, on a autant de chances de tomber sur un nombre pair qu’impair. Par exemple, la somme des chiffres du nombre premier 131 vaut 5 (1+3+1), qui est impaire. Celle de 1061, soit 8, est paire. Ce que Gelfond a entrevu il y a quarante-deux ans, Christian Mauduit et Joël Rivat viennent de le démontrer, après plusieurs années de travail. Ainsi, dans l’ensemble des nombres premiers, il y en a autant dont la somme des chiffres est paire qu’impaire : on parle d’équirépartition. En réalité, leur démonstration est plus générale, car elle concerne les nombres Dernier résultat, et non des moindres : l’administration de molécules – dites agonistes – capables d’activer PPAR-gamma à des souris saines permet d’augmenter la production de cette β-défensine. D’où l’idée d’une thérapie contre la maladie de Crohn fondée sur des agonistes pour activer le récepteur PPAR-gamma et rétablir la fabrication VIEDESLABOS 9 premiers écrits dans n’importe quelle base (binaire, décimale, hexadécimale, etc.). La démonstration de 55 pages publiée dans la revue Annals of Mathematics 2 a autant de valeur que la découverte, pour l’archéologue, de la momie d’un pharaon égyptien, et sa portée se révèle importante. « Par exemple, indique Joël Rivat, la cryptographie, c’est-à-dire la sécurisation des communications numériques, étant fondée sur la théorie des nombres premiers, tout résultat dans ce domaine peut avoir des conséquences en informatique. » Et, au-delà des applications, ce résultat, comme tous ceux produits en mathématiques pures, a, estime Christian Mauduit, « une valeur esthétique qu’apprécient non seulement les mathématiciens mais aussi les amateurs des nombres ». Román Ikonicoff 1. Unité CNRS/Université Aix-Marseille-II. 2. Christian Mauduit et Jöel Rivat, « Sur un problème de Gelfond : la somme des chiffres des nombres premiers », Annals of Mathematics, vol. 171, n°3, mai 2010,pp. 1591-1646. © M. Chamaillard CONTACTS Institut de mathématiques de Luminy, Marseille ➔ Christian Mauduit mauduit@iml.univ-mrs.fr ➔ Joël Rivat rivat@iml.univ-mrs.fr de DEFB1. Celle-ci pourrait arriver dans cinq ans, et non dans dix à vingt ans comme c’est courant avec ce type de recherche. Car, par chance, « on trouve déjà sur le marché pharmaceutique des agonistes de synthèse conçus pour stimuler PPAR-gamma et connus pour leurs propriétés antiinflammatoires », indique le chercheur. Reste maintenant à élaborer un moyen pour délivrer ces agonistes au niveau du côlon des patients. Kheira Bettayeb 1. Proceedings of the National Academy of Sciences du 26 avril 2010. 2. Unité CNRS/Inserm/Institut Pasteur de Lille/Universités Lille-I et -II. CONTACT ➔ Mathias Chamaillard Centre d’infection et d’immunité de Lille mathias.chamaillard@inserm.fr Le journal du CNRS n°246-247 juillet-août 2010



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