6 VIEDESLABOS Reportage ARCHÉOZOOLOGIE La nature archive les secrets des hommes Du 23 au 28 août, Paris accueille le 11 e Congrès mondial d’archéozoologie, soutenu par le CNRS. Très impliqués, les chercheurs du laboratoire Archéozoologie, archéobotanique 1 nous font découvrir leur spécialité, qui reconstitue les relations entre l’homme et son environnement. L’homme façonne la nature depuis qu’il a troqué son statut de chasseur-cueilleur nomade pour celui d’agriculteur sédentaire, il y a près de 10000 ans. Comprendre cette métamorphose radicale de mode de vie et étudier son impact sur la biodiversité sont les deux principales missions de l’archéozoologie des périodes récentes. « En abordant l’archéologie d’un point de vue biologique, nous nous efforçons de nourrir l’histoire des sociétés humaines et de leurs interactions avec la biodiversité et l’environnement », précise Jean- L’analyse des particules Denis Vigne. Directeur de recherche au CNRS, ce paléontologue fournit des informations d’os par le spectromètre dirige depuis 2002 le laboratoire sur le régime alimentaire de leurs propriétaires. Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements, installé dans un pavillon du Muséum national d’histoire naturelle. Pour commencer la visite, direction l’ostéothèque. Cette vaste salle ornée de crânes de mammifères est un lieu incontournable pour les spécialistes des ossements. La collection comporte plus de 1 200 spécimens de référence. Affairée devant sa paillasse, Stéphanie Bréhard tente justement de faire parler des restes d’animaux provenant du fossé d’une enceinte d’un village du Néolithique 2 découvert en Charente. « Sur cette mandibule de putois, les dents sont carbonisées et la mâchoire a été volontairement désarticulée comme en attestent les traces de découpe proches de l’articulation, constate la jeune archéologue. Cela indique que l’animal a été préparé avant d’être cuit et probablement consommé. » De telles observations peuvent sembler anecdotiques. Pourtant, seules l’archéozoologie et l’archéobotanique, son pendant pour le règne végétal, sont capables de fournir des éléments d’information sur le mode de vie très peu documenté des premières civilisations humaines. FAIRE PARLER LES OSSEMENTS D’ANIMAUX Certaines de ces découvertes vont même parfois jusqu’à remettre en cause des consensus scientifiques que l’on croyait établis pour des années. En étudiant les dents de chevaux retrouvées parmi les vestiges archéologiques d’un campement du peuple botai Le journal du CNRS n°246-247 juillet-août 2010 au nord du Kazakhstan, Robin Bendrey a ainsi pu établir que des cavaliers parcouraient les steppes d’Asie centrale dès 3 600 ans avant notre ère, soit un millénaire avant la période habituellement associée aux prémices de la domestication équine : « L’une des prémolaires retrouvées sur place portait des traces d’usure symétriques, se souvient le chercheur britannique, en postdoc au laboratoire. Seul le mors que les cavaliers utilisent pour diriger leur monture pouvait avoir occasionné de telles usures de l’émail de la dent. » Ainsi, l’étude de la forme et des altérations des ossements d’animaux en laboratoire, la morphométrie, demeure une part incontournable du travail d’investigation de l’archéozoologue. Toutefois, elle n’est pas la seule, comme le souligne Jean-Denis Vigne : « Notre participation aux fouilles reste indispensable pour pouvoir appréhender le contexte d’origine et la provenance des matériaux que nous allons ensuite étudier. » D’autres techniques d’analyse poussées viennent ensuite compléter la panoplie des scientifiques. C’est le cas du spectromètre de masse isotopique. Avec cet appareil qui permet de mesurer les concentrations infinitésimales des isotopes stables d’atomes emprisonnés dans les os ou dans l’émail des dents, il est désormais possible de déterminer les variations saisonnières © WAAPP La carbonisation partielle (partie sombre) d’une des dents de cette mandibule de putois indique que l’animal a très certainement été cuit avant d’être consommé. |