CNRS Le Journal n°246-247 juil/août 2010
CNRS Le Journal n°246-247 juil/août 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°246-247 de juil/août 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,6 Mo

  • Dans ce numéro : Qui étaient vraiment les Gaulois

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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6 VIEDESLABOS Reportage ARCHÉOZOOLOGIE La nature archive les secrets des hommes Du 23 au 28 août, Paris accueille le 11 e Congrès mondial d’archéozoologie, soutenu par le CNRS. Très impliqués, les chercheurs du laboratoire Archéozoologie, archéobotanique 1 nous font découvrir leur spécialité, qui reconstitue les relations entre l’homme et son environnement. L’homme façonne la nature depuis qu’il a troqué son statut de chasseur-cueilleur nomade pour celui d’agriculteur sédentaire, il y a près de 10000 ans. Comprendre cette métamorphose radicale de mode de vie et étudier son impact sur la biodiversité sont les deux principales missions de l’archéozoologie des périodes récentes. « En abordant l’archéologie d’un point de vue biologique, nous nous efforçons de nourrir l’histoire des sociétés humaines et de leurs interactions avec la biodiversité et l’environnement », précise Jean- L’analyse des particules Denis Vigne. Directeur de recherche au CNRS, ce paléontologue fournit des informations d’os par le spectromètre dirige depuis 2002 le laboratoire sur le régime alimentaire de leurs propriétaires. Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements, installé dans un pavillon du Muséum national d’histoire naturelle. Pour commencer la visite, direction l’ostéothèque. Cette vaste salle ornée de crânes de mammifères est un lieu incontournable pour les spécialistes des ossements. La collection comporte plus de 1 200 spécimens de référence. Affairée devant sa paillasse, Stéphanie Bréhard tente justement de faire parler des restes d’animaux provenant du fossé d’une enceinte d’un village du Néolithique 2 découvert en Charente. « Sur cette mandibule de putois, les dents sont carbonisées et la mâchoire a été volontairement désarticulée comme en attestent les traces de découpe proches de l’articulation, constate la jeune archéologue. Cela indique que l’animal a été préparé avant d’être cuit et probablement consommé. » De telles observations peuvent sembler anecdotiques. Pourtant, seules l’archéozoologie et l’archéobotanique, son pendant pour le règne végétal, sont capables de fournir des éléments d’information sur le mode de vie très peu documenté des premières civilisations humaines. FAIRE PARLER LES OSSEMENTS D’ANIMAUX Certaines de ces découvertes vont même parfois jusqu’à remettre en cause des consensus scientifiques que l’on croyait établis pour des années. En étudiant les dents de chevaux retrouvées parmi les vestiges archéologiques d’un campement du peuple botai Le journal du CNRS n°246-247 juillet-août 2010 au nord du Kazakhstan, Robin Bendrey a ainsi pu établir que des cavaliers parcouraient les steppes d’Asie centrale dès 3 600 ans avant notre ère, soit un millénaire avant la période habituellement associée aux prémices de la domestication équine : « L’une des prémolaires retrouvées sur place portait des traces d’usure symétriques, se souvient le chercheur britannique, en postdoc au laboratoire. Seul le mors que les cavaliers utilisent pour diriger leur monture pouvait avoir occasionné de telles usures de l’émail de la dent. » Ainsi, l’étude de la forme et des altérations des ossements d’animaux en laboratoire, la morphométrie, demeure une part incontournable du travail d’investigation de l’archéozoologue. Toutefois, elle n’est pas la seule, comme le souligne Jean-Denis Vigne : « Notre participation aux fouilles reste indispensable pour pouvoir appréhender le contexte d’origine et la provenance des matériaux que nous allons ensuite étudier. » D’autres techniques d’analyse poussées viennent ensuite compléter la panoplie des scientifiques. C’est le cas du spectromètre de masse isotopique. Avec cet appareil qui permet de mesurer les concentrations infinitésimales des isotopes stables d’atomes emprisonnés dans les os ou dans l’émail des dents, il est désormais possible de déterminer les variations saisonnières © WAAPP La carbonisation partielle (partie sombre) d’une des dents de cette mandibule de putois indique que l’animal a très certainement été cuit avant d’être consommé.
Les prélèvements de poudre d’émail dentaire, ici sur une défense de cochon gaulois du II e siècle av. J.-C., serviront à établir sa composition isotopique en carbone et en oxygène. À la différence de l’humérus intact de tortue marine actuelle (en haut), celui d’un individu tué sur la côte est du Nicaragua il y a 2 500 ans présente des traces très nettes de découpe bouchère. Sur l’île d’Attu, au cœur de l’archipel des Aléoutiennes, dans le Pacifique nord, des chercheurs fouillent une habitation dans un village de chasseurs. © Photos : H. Raguet/CNRS Photothèque du régime alimentaire des animaux qui ont accompagné les premiers éleveurs du Néolithique. ÉTUDIER LES MODES ALIMENTAIRES C’est d’ailleurs à l’aide de cette méthode d’analyse que Marie Balasse et Anne Tresset, archéozoologues spécialistes de l’élevage préhistorique, sont parvenues à démontrer que certains moutons d’Écosse se nourrissaient d’algues il y a plus de 5000 ans : « Un tel régime alimentaire implique une modification physiologique importante du système digestif de l’animal, commente la première. Avant cette découverte, nous pensions qu’il était apparu bien plus tard dans l’histoire de l’élevage ovin, certains écrits faisant remonter la pratique au haut Moyen Âge 3. » Pour bousculer ce dogme, la chercheuse a passé au crible du spectromètre de masse isotopique les échantillons d’émail de dents de moutons retrouvés sur un îlot des Orcades, un archipel localisé tout au nord de l’Écosse. Leur teneur relative en carbone 13, synonyme d’un régime alimentaire d’origine marine lorsqu’elle est très élevée, a pu être mesurée à intervalles réguliers sur une période d’un an et demi correspondant à la croissance complète d’une dent d’ovin. « En superposant ces valeurs avec celles obtenues pour la composition en isotopes stables de l’oxygène qui permet de déterminer la saisonnalité, indique Marie Balasse, nous avons pu montrer qu’un régime alimentaire de type marin apparaissait en hiver lorsque les pâtures ne permettaient plus de subvenir à l’alimentation du troupeau. » Cela ne peut signifier qu’une chose : au cours de la période hivernale, les moutons se nourrissaient d’algues, l’unique aliment végétal d’origine marine disponible sur les rivages de cet îlot isolé. Reste maintenant à savoir si ces animaux les ont consommées spontanément en période de disette ou si les hommes les y ont incités. « Pour l’heure c’est difficile à dire, avoue la chercheuse, les algues marines ne laissant aucun vestige dans les contextes archéologiques. » Ce qui n’est heureusement pas le cas de tous les représentants du règne végétal, pour le plus grand bonheur des archéobotanistes comme Alexa Dufraisse. Cette biologiste qui a rejoint l’équipe de Jean-Denis Vigne au printemps 2009 s’est spécialisée dans l’identification des charbons de bois provenant de foyers préhistoriques : « La carbonisation n’altérant en rien l’agencement des cellules végétales, il est possible d’identifier l’espèce d’un arbre brûlé il y a des milliers d’années », assure la scientifique. ÉVALUER L’IMPACT DES ACTIVITÉS HUMAINES Les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de déterminer l’âge ou les conditions de croissance d’un arbre dont la vie s’est achevée en feu de joie. Pour cela, les archéobotanistes ont besoin d’une section complète du tronc, seul moyen de compter de manière exhaustive les anneaux de croissance de l’arbre. Or un tel cas de figure ne se présente jamais avec les fragments de © Biosphoto/J.-F. Hellio et N. Van Ingen VIEDESLABOS 7 Tout comme leurs ancêtres des Orcades, les moutons de la race North Ronaldsay se nourrissent d’algues. charbon de bois. Pour contourner cette difficulté, Alexa Dufraisse souhaite s’inspirer des méthodes de morphométrie mises au point par ses collègues archéozoologues : « En comparant la forme de sections partielles de troncs anciens carbonisés avec celles complètes d’arbres actuels de la même espèce, nous essayons de reconstituer les parties disparues reflétant l’histoire de l’arbre. » Si la technique s’avère concluante, elle devrait permettre d’affiner les connaissances sur l’exploitation sélective des forêts (choix de l’arbre en fonction de l’espèce et de l’âge, distance par rapport au village, gestion de l’espace forestier…) par nos ancêtres du Néolithique. Situées à la croisée de disciplines qui n’étaient pas forcément destinées à coopérer, l’archéobotanique et l’archéozoologie sont aussi totalement en phase avec les préoccupations scientifiques actuelles. « Parce que notre travail consiste à comprendre et à mesurer l’impact des activités humaines sur les espèces animales et végétales, rappelle Jean-Denis Vigne, nous avons acquis une certaine légitimité sur des questions qui touchent à la conservation de la biodiversité. » Et, si la preuve est faite que la néolithisation et son cortège d’espèces domestiques (chèvres, vaches, poules) modifiaient déjà les équilibres écologiques de l’Europe préhistorique, son impact reste sans commune mesure avec les bouleversements provoqués par le basculement de notre espèce dans l’ère industrielle. Selon une étude menée au sein du laboratoire, cette dernière aurait cent fois plus contribué à l’apparition d’espèces invasives en Europe que toute la période du Néolithique. Grégory Fléchet ➔ En savoir plus : Les Origines de Chypre (2009, 52 min), de Jean Guilaine, réalisé par Marc Azéma et produit par Passé simple et CNRS Images, http:Ilvideotheque.cnrs.fr/index.php ? urlaction=doc&id_doc=2026 1. Unité CNRS/MNHN. 2. Le Néolithique est apparu à des périodes différentes selon les régions du globe : il y a environ 11 000 ans au Proche-Orient et autour de – 5500 avant J.-C. en Europe. 3. Il s’agit de la première partie de cette époque historique comprise entre 500 et l’an 1000 de notre ère. 4. http:Ilinpn.mnhn.fr/isb/index.jsp CONTACTS Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements, Paris ➔ Marie Balasse, balasse@mnhn.fr ➔ Robin Bendrey, bendrey@mnhn.fr ➔ Stéphanie Bréhard, brehard@mnhn.fr ➔ Alexa Dufraisse, dufraisse@mnhn.fr ➔ Anne Tresset, atresset@mnhn.fr ➔ Jean-Denis Vigne, vigne@mnhn.fr Le journal du CNRS n°246-247 juillet-août 2010



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