CNRS Le Journal n°246-247 juil/août 2010
CNRS Le Journal n°246-247 juil/août 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°246-247 de juil/août 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,6 Mo

  • Dans ce numéro : Qui étaient vraiment les Gaulois

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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20 > L’ENQUÊTE Si la Gaule apparaît donc comme très divisée, la multitude de peuples qui la composent ont un point commun : qu’il s’agisse de l’agriculture, de l’urbanisme, du commerce ou encore de l’art, ils partagent un savoir-faire beaucoup plus avancé que ce que l’on pourrait se figurer. Revue de détail, agrémentée des dernières découvertes archéologiques. L’AGRICULTURE L’essor de l’archéologie de terrain permet de rejeter la vision archi-désuète de Gaulois chassant le sanglier dans des forêts profondes. Les massifs forestiers des Gaules sont sans doute moins vastes que ceux de la France de 2010. Depuis au moins le III e siècle av. J.-C., les campagnes sont exploitées par un réseau dense de petites fermes et de grandes exploitations. Loin d’être archaïque, l’agriculture est l’activité économique numéro un et se caractérise par une maîtrise élevée de la culture des céréales (millet, orge, épeautre, blé…) et de l’élevage (bovidés, porcs, moutons, volailles…). Son bon niveau technique tient notamment à l’invention ou au perfectionnement d’outils agricoles (faux pour le foin, haches et serpes pour le bois…), les Gaulois excellant dans le domaine de l’extraction et de la transformation des minerais. L’ARTISANAT Hommes du métal, les Gaulois possèdent grâce à leur maîtrise de la sidérurgie une incontestable supériorité dans le domaine de l’armement et de la charronnerie (roues et caisses des voitures). À Bibracte, sur le mont Beuvray, à la limite entre les départements de la Nièvre et de la Saôneet-Loire, « un quartier d’artisans du métal est en cours de fouilles et nous permet de mieux comprendre l’organisation de ces ateliers », indique Jean-Paul Guillaumet, du laboratoire Archéologie, terres, histoire, sociétés 3. Les Gaulois sont aussi de remarquables charpentiers, menuisiers, layetiers (fabricants de coffres) et boisseliers (assembleurs de seaux et de baquets). Sous les mains de leurs potiers naissent toutes sortes de vaisselles. L’artisanat semble encore vivace dans des domaines touchant au travail des peaux et des fourrures (tannage, bourrellerie, cordonnerie…) et à celui des fibres, des écorces et des laines (corderie, tissage, vannerie…). « Les Gaulois ne savent pas souffler le verre, constate Jean-Paul Guillaumet. Ils le travaillent pâteux pour façonner des parures, des bracelets et des perles. Et ils utilisent toutes les parties de l’os pour produire des dés à jouer, des boutons, des pendentifs, des décors de coffre, des manches d’outils… » Ensemble de bijoux gaulois en verre datant du II e ou du I er siècle av. J.-C. © H. Lewandowski/RMN Le journal du CNRS n°246-247 juillet-août 2010 © A. Maillier/Bibracte © J. Schormans/RMN Cette calotte en bronze du IV e ou du III e siècle av. J.-C. a été mise au jour dans une rivière à Amfrevillesous-les-Monts (Eure). LE COMMERCE VINICOLE Les Gaulois sont de bons Archéologies et sciences vivants qui raffolent des de l’Antiquité. Pour répondre festins où le vin coule à flots, à la demande gauloise, même si leurs boissons la péninsule italiennes se met traditionnelles restent la bière à produire une quantité et l’hydromel. Ce sont les phénoménale de vin et marins commerçants grecs à construire des bateaux phocéens, qui fondent énormes pouvant transporter Marseille en 600 av. J.-C., jusqu’à 10000 amphores ! » qui leur ont fait découvrir Des millions d’hectolitres de ce nectar. Ces colons vin latin inondent la Gaule. importent et redistribuent « L’archéologie a identifié deux parcimonieusement des vins principaux axes de distribution, grecs et étrusques, mais poursuit la chercheuse. Le ils cultivent aussi sur leur premier, l’axe Aude-Garonne, territoire un vignoble, d’abord dessert depuis Narbonne pour leur consommation les territoires des Volques personnelle puis, dès le milieu (l’actuel Languedoc) et du VI e siècle av. J.-C. environ, des Rutènes (Aveyron, Tarn, pour la vente aux peuplades nord de l’Hérault). Le second voisines. Les multiples pépins alimente la Gaule centrale et la de raisins découverts dans Gaule du Nord par les vallées le sous-sol de la place du Rhône et de la Saône. Et Jules-Verne, témoignent il semble que ce soit presque de ces plantations originelles. exclusivement des vins rouges Le vin de Marseille s’empare et ordinaires que les Romains du marché gaulois de la – qui, eux, préfèrent les seconde moitié du VI e siècle blancs – exportent vers la au IV e siècle av. J.-C. À la fin Gaule. » Ainsi, le chargement du III e siècle, au II e et au de l’épave découverte au large I er siècle av. J.-C., le monopole du petit port de la Madrague grec s’effrite tandis que « la de Giens, dans le Var, à la fin côte tyrrhénienne se couvre des années 1960, contenait de vignobles, explique Fanette du vin rouge provenant de la Laubenheimer, du laboratoire région de Rome. Reconstitution d’une ferme gauloise de la fin de l’âge du fer (environ 800 à 50 av. J.-C.). L’ALIMENTATION Quant aux métiers de bouche, l’étude des ossements d’animaux trouvés récemment à Titelberg, au Luxembourg, par l’archéozoologue Patrice Méniel, du laboratoire Archéologie, terres, histoire, sociétés, a mis en évidence des lieux d’abattage assimilables à des boucheries. On trouve par conséquent en Gaule la quasi-totalité des corps des métiers de bouche, qui subsisteront jusqu’à l’ère industrielle. Enfin, les populations côtières pratiquent la navigation et la pêche en haute mer. Des fouilles conduites au centre de l’île d’Ouessant, en Bretagne, par Jean-Paul Le Bihan, directeur du Centre de recherche archéologique du Finistère, avec le concours de plusieurs chercheurs du CNRS, ont permis de mettre au jour les restes de divers poissons (lieus jaunes, daurades, bars, morues…). ROME ET LA GAULE : Keltoi, les « Celtes », c’est ainsi qu’Hérodote, l’historien grec du V e siècle av. J.-C., désigne des populations qu’il place entre le sud de la péninsule Ibérique et le Danube. Il est le premier à utiliser ce mot pour distinguer ces peuples dans la grande masse des Barbares qui vivent au-delà de son « monde civilisé » (chez les Grecs puis les Romains, le qualificatif « Barbares » s’applique à tous les peuples étrangers). C’est un peu plus tôt, autour de l’an mil av. J.-C., que les archéologues commencent à percevoir les formes de différenciation culturelle qui pourraient être à l’origine de l’individualisation des populations celtes. Entre le VIII e et le V e siècle av. J.-C. environ, ces traits culturels s’affirment et permettent d’identifier
© BNF © G. Dagli Orti/Collection Dagli Orti © A. Maillier/Bibracte Reconstruction de la porte du Rebout, l’accès à la ville de Bibracte, entourée de remparts. MILLE ANS DE REBONDISSEMENTS la civilisation de Hallstatt, une période de développement économique dont semble profiter une classe de grands aristocrates contrôlant de petites principautés. Vers le début du V e siècle av. J.-C., les territoires occupés par les Celtes sont ébranlés par des mouvements de populations importants, qui finissent par toucher aussi leurs voisins méditerranéens. Cette expansion se déploie vers le sudest de la Gaule et donne naissance à une civilisation originale celto-ligure, puis traverse les Alpes, au début du IV e siècle av. J.-C., pour se répandre dans tout le nord de l’Italie, contrôlé par les Étrusques. Les Gaulois poussent jusqu’à Rome et envahissent la ville vers – 390. Cet épisode marque les mentalités et fournit à la rhétorique romaine le thème de l’irréductible Barbare gaulois. Cependant, les Gaulois d’Italie vont finir par être soumis à la fin du III e siècle av. J.-C. Les Romains envahissent le sud de la Gaule entre – 125 et – 118. L’incorporation dans la galaxie romaine de cette Gaule transalpine, ainsi nommée pour la distinguer de la Gaule cisalpine (le nord de l’Italie), conquise plus tôt, répond à des raisons essentiellement stratégiques. « Les Romains avaient besoin de disposer d’une voie terrestre entre l’Italie et l’Espagne, qu’ils avaient annexée, et ils ont doté ce nouveau territoire de la première route à la romaine construite hors d’Italie, des Alpes aux Pyrénées (la Voie domitienne), confirme Michel Py, du laboratoire Archéologie des sociétés méditerranéennes 1. Un siècle (à partir de – 125) leur a toutefois été nécessaire pour soumettre les « indigènes » de cette région Pièces gauloises : un potin des Rèmes (à gauche) et une statère en or des Parisii. de la Gaule. Au moins dix révoltes sont attestées par les textes de l’époque. » Nombre de peuples gaulois plus au nord entretiennent des relations diplomatiques et commerciales avec Rome. Meilleur exemple, l’accord passé au II e siècle av. J.-C. entre les Éduens, qui occupent la plus grande partie de l’actuelle Bourgogne, le Morvan et débordent sur les régions limitrophes, et les Romains. 1. Unité CNRS/Université Montpellier-III/Ministère de la Culture et de la Communication/Inrap. Contact : Michel Py michel-py@orange.fr L’ENQUÊTE 21 LES MONNAIES GAULOISES L’expansion des villes, du commerce Pour lever des taxes, chaque cité et de l’artisanat stimule évidemment gauloise de quelque importance la monétarisation des sociétés individualise sa monnaie, dont gauloises. Les Celtes, recrutés la circulation ne s’effectue que dans comme mercenaires par de sa zone d’émission. Parallèlement, nombreuses cités gréco-romaines les potins (des pièces coulées dans à la suite de leur expansion vers un alliage de cuivre, d’étain et de le sud à la fin du IV e siècle av. J.-C., plomb), dont l’introduction est liée ont introduit la monnaie dans leur au développement de l’artisanat monde lors de leur retour au bercail. urbain, préfigurent les monnaies « Les premières monnaies gauloises, fiduciaires (des monnaies de faible qui datent probablement du III e siècle valeur fondées sur la confiance). avant notre ère, étaient donc pour Vers – 150, les liens économiques l’essentiel des monnaies imitant s’intensifient entre la Gaule du le statère d’or de Philippe II Centre et du Centre-Est et le monde de Macédoine ou les drachmes romain. « Pour faciliter les échanges, d’argent des comptoirs grecs qui précise Katherine Gruel, les Éduens, bordent la Méditerranée : Marseille, les Séquanes et les Lingons Emporion (Empúries) et Rhodèfrappent des pièces d’argent imitées (Roses), en Catalogne, raconte du denier romain et fondent une Katherine Gruel, directrice adjointe vaste fédération monétaire dont du laboratoire Archéologies d’Orient les limites s’étendent jusqu’aux et d’Occident et textes anciens. peuples helvètes et jusqu’au Rhin Ces pièces avaient trop de valeur (la fameuse zone du denier gaulois). pour être d’un usage courant D’autres unions monétaires voient et servaient vraisemblablement le jour, notamment dans le Centreà effectuer des achats de prestige, Ouest, et montrent que l’usage comme la première armure ou de la monnaie est bien plus présent le premier cheval d’un fils, à payer dans l’économie gauloise des une dot… » Au II e siècle av. J.-C., les II e et I er siècles avant notre ère qu’on pouvoirs émetteurs se multiplient. ne le supposait jusqu’à présent. » LES PREMIÈRES CITÉS Le caractère foncièrement rural de ces populations ne fait pas obstacle à l’éclosion et au développement des premières cités, les oppida, qui « semblent apparaître tardivement en Gaule, au milieu du II e siècle avant notre ère, encore que les fouilles montrent que certains d’entre eux ont été édifiés sur l’emplacement d’habitats plus anciens, comme à Bourges », assure Jean-Paul Guillaumet. Il existe, pour chaque peuple gaulois, un oppidum principal susceptible d’héberger plusieurs milliers d’âmes. Établi en général au centre d’un réseau de routes terrestres ou fluviales, l’oppidum ne sert pas uniquement de refuge aux populations alentours en cas de danger, comme on l’a longtemps écrit. C’est aussi un lieu qui accueille des activités commerciales, artisanales, religieuses et civiques. Bibracte est l’un des représentants les mieux connus de ces oppida. Cheflieu des Éduens, il se compose d’une vaste enceinte protégeant près de 200 hectares. À l’intérieur s’y trouvent des habitats en bois, de rares maisons en pierre construites à la romaine et même des édifices publics. > La Voie domitienne, marquée par le passage des chariots, près de l’ancien oppidum gaulois Ambrussum. Le journal du CNRS n°246-247 juillet-août 2010 © B. Strépenne/Wikimedia Commons



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