20 > L’ENQUÊTE Si la Gaule apparaît donc comme très divisée, la multitude de peuples qui la composent ont un point commun : qu’il s’agisse de l’agriculture, de l’urbanisme, du commerce ou encore de l’art, ils partagent un savoir-faire beaucoup plus avancé que ce que l’on pourrait se figurer. Revue de détail, agrémentée des dernières découvertes archéologiques. L’AGRICULTURE L’essor de l’archéologie de terrain permet de rejeter la vision archi-désuète de Gaulois chassant le sanglier dans des forêts profondes. Les massifs forestiers des Gaules sont sans doute moins vastes que ceux de la France de 2010. Depuis au moins le III e siècle av. J.-C., les campagnes sont exploitées par un réseau dense de petites fermes et de grandes exploitations. Loin d’être archaïque, l’agriculture est l’activité économique numéro un et se caractérise par une maîtrise élevée de la culture des céréales (millet, orge, épeautre, blé…) et de l’élevage (bovidés, porcs, moutons, volailles…). Son bon niveau technique tient notamment à l’invention ou au perfectionnement d’outils agricoles (faux pour le foin, haches et serpes pour le bois…), les Gaulois excellant dans le domaine de l’extraction et de la transformation des minerais. L’ARTISANAT Hommes du métal, les Gaulois possèdent grâce à leur maîtrise de la sidérurgie une incontestable supériorité dans le domaine de l’armement et de la charronnerie (roues et caisses des voitures). À Bibracte, sur le mont Beuvray, à la limite entre les départements de la Nièvre et de la Saôneet-Loire, « un quartier d’artisans du métal est en cours de fouilles et nous permet de mieux comprendre l’organisation de ces ateliers », indique Jean-Paul Guillaumet, du laboratoire Archéologie, terres, histoire, sociétés 3. Les Gaulois sont aussi de remarquables charpentiers, menuisiers, layetiers (fabricants de coffres) et boisseliers (assembleurs de seaux et de baquets). Sous les mains de leurs potiers naissent toutes sortes de vaisselles. L’artisanat semble encore vivace dans des domaines touchant au travail des peaux et des fourrures (tannage, bourrellerie, cordonnerie…) et à celui des fibres, des écorces et des laines (corderie, tissage, vannerie…). « Les Gaulois ne savent pas souffler le verre, constate Jean-Paul Guillaumet. Ils le travaillent pâteux pour façonner des parures, des bracelets et des perles. Et ils utilisent toutes les parties de l’os pour produire des dés à jouer, des boutons, des pendentifs, des décors de coffre, des manches d’outils… » Ensemble de bijoux gaulois en verre datant du II e ou du I er siècle av. J.-C. © H. Lewandowski/RMN Le journal du CNRS n°246-247 juillet-août 2010 © A. Maillier/Bibracte © J. Schormans/RMN Cette calotte en bronze du IV e ou du III e siècle av. J.-C. a été mise au jour dans une rivière à Amfrevillesous-les-Monts (Eure). LE COMMERCE VINICOLE Les Gaulois sont de bons Archéologies et sciences vivants qui raffolent des de l’Antiquité. Pour répondre festins où le vin coule à flots, à la demande gauloise, même si leurs boissons la péninsule italiennes se met traditionnelles restent la bière à produire une quantité et l’hydromel. Ce sont les phénoménale de vin et marins commerçants grecs à construire des bateaux phocéens, qui fondent énormes pouvant transporter Marseille en 600 av. J.-C., jusqu’à 10000 amphores ! » qui leur ont fait découvrir Des millions d’hectolitres de ce nectar. Ces colons vin latin inondent la Gaule. importent et redistribuent « L’archéologie a identifié deux parcimonieusement des vins principaux axes de distribution, grecs et étrusques, mais poursuit la chercheuse. Le ils cultivent aussi sur leur premier, l’axe Aude-Garonne, territoire un vignoble, d’abord dessert depuis Narbonne pour leur consommation les territoires des Volques personnelle puis, dès le milieu (l’actuel Languedoc) et du VI e siècle av. J.-C. environ, des Rutènes (Aveyron, Tarn, pour la vente aux peuplades nord de l’Hérault). Le second voisines. Les multiples pépins alimente la Gaule centrale et la de raisins découverts dans Gaule du Nord par les vallées le sous-sol de la place du Rhône et de la Saône. Et Jules-Verne, témoignent il semble que ce soit presque de ces plantations originelles. exclusivement des vins rouges Le vin de Marseille s’empare et ordinaires que les Romains du marché gaulois de la – qui, eux, préfèrent les seconde moitié du VI e siècle blancs – exportent vers la au IV e siècle av. J.-C. À la fin Gaule. » Ainsi, le chargement du III e siècle, au II e et au de l’épave découverte au large I er siècle av. J.-C., le monopole du petit port de la Madrague grec s’effrite tandis que « la de Giens, dans le Var, à la fin côte tyrrhénienne se couvre des années 1960, contenait de vignobles, explique Fanette du vin rouge provenant de la Laubenheimer, du laboratoire région de Rome. Reconstitution d’une ferme gauloise de la fin de l’âge du fer (environ 800 à 50 av. J.-C.). L’ALIMENTATION Quant aux métiers de bouche, l’étude des ossements d’animaux trouvés récemment à Titelberg, au Luxembourg, par l’archéozoologue Patrice Méniel, du laboratoire Archéologie, terres, histoire, sociétés, a mis en évidence des lieux d’abattage assimilables à des boucheries. On trouve par conséquent en Gaule la quasi-totalité des corps des métiers de bouche, qui subsisteront jusqu’à l’ère industrielle. Enfin, les populations côtières pratiquent la navigation et la pêche en haute mer. Des fouilles conduites au centre de l’île d’Ouessant, en Bretagne, par Jean-Paul Le Bihan, directeur du Centre de recherche archéologique du Finistère, avec le concours de plusieurs chercheurs du CNRS, ont permis de mettre au jour les restes de divers poissons (lieus jaunes, daurades, bars, morues…). ROME ET LA GAULE : Keltoi, les « Celtes », c’est ainsi qu’Hérodote, l’historien grec du V e siècle av. J.-C., désigne des populations qu’il place entre le sud de la péninsule Ibérique et le Danube. Il est le premier à utiliser ce mot pour distinguer ces peuples dans la grande masse des Barbares qui vivent au-delà de son « monde civilisé » (chez les Grecs puis les Romains, le qualificatif « Barbares » s’applique à tous les peuples étrangers). C’est un peu plus tôt, autour de l’an mil av. J.-C., que les archéologues commencent à percevoir les formes de différenciation culturelle qui pourraient être à l’origine de l’individualisation des populations celtes. Entre le VIII e et le V e siècle av. J.-C. environ, ces traits culturels s’affirment et permettent d’identifier |