36 © Equinox Graphics/SPL/Cosmos INSITU Entretien COLLOQUE Quelle archéologie pour demain ? Acteur central de l’archéologie française avec plus de 300 chercheurs, le CNRS organise à Paris, du 23 au 25 juin, un grand colloque sur les mutations de la discipline. Décryptage avec Sophie Archambault de Beaune, directrice adjointe scientifique à l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS). Ces dernières décennies, le métier d’archéologue s’est profondément modifié. Toujours plus technique, plus pointu, plus précis… On est loin de l’image du chercheur de trésors du début du XX e siècle. Sophie Archambault de Beaune : L’archéologie cherche et cherchera toujours non pas des trésors, mais à reconstituer le passé de l’homme, à comprendre ses modes de vie, comment il s’est accommodé de son environnement, comment les sociétés ont évolué… Comme le disait André Leroi-Gourhan, médaille d’or du CNRS en 1973 : « L’homme du futur est incompréhensible si l’on n’a pas compris l’homme du passé 1. » Aujourd’hui, cette discipline a évolué et s’est dotée de nouvelles méthodes d’investigation. De nouvelles technologies permettent de répondre à des questions qu’un archéologue de la première moitié du XX e siècle n’aurait jamais espéré résoudre. C’est le cas pour l’étude d’Ötzi. Cet individu retrouvé dans les Alpes italo-suisses et vieux d’environ 5 300 ans a fait l’objet d’analyses poussées qui ont permis de déterminer son âge, les maux dont il souffrait, la composition de son dernier repas… Des profondeurs marines jusqu’à des déserts hostiles, des lieux de plus en plus reculés font désormais l’objet de recherches. Quelles zones reste-t-il encore à explorer ? S. A. B. : Tout d’abord, les terrains qui ne sont accessibles aux archéologues qu’après plusieurs Le journal du CNRS n°245 juin 2010 heures de piste. Par exemple, le cône sud de l’Amérique latine est encore peu exploré. Bordé, côté Pacifique, d’archipels peuplés par des populations nomades se déplaçant en canot, il est très difficile d’accès. Autre problématique, celle des territoires immenses. Ainsi, la Patagonie argentine, grande comme six ou sept fois la France, a fait l’objet de très peu de recherches proportionnellement à son étendue. Il reste également beaucoup à faire dans le domaine sous-marin, à cause du manque d’archéologues formés à cette discipline, mais aussi en raison du très grand nombre d’épaves et de vestiges littoraux immergés. Autant de lieux et de peuples qui méritent d’être étudiés. Précisons toutefois qu’il existe de nombreux sites dans lesquels on préserve une partie des couches afin de les laisser aux générations futures, qui disposeront de moyens techniques insoupçonnés pour les étudier. Abondance de sites, de vestiges, de données… Quels sont les risques pour la discipline ? S. A. B. : La diversité culturelle, aujourd’hui comme hier, est infinie, et il est donc vraisemblable que, malgré l’accroissement de la quantité de vestiges découverts, il y aura toujours des zones d’ombre dans le passé de l’humanité. Le risque majeur est surtout qu’il n’y ait plus assez d’archéologues pour les analyser ! De plus, nous assistons à une explosion du nombre de spécialités. Ce phénomène est nécessaire : la diversification de la Crânes d’un homme de Florès (à gauche) et d’un homme moderne (à droite, image de synthèse). L’histoire des hominidés est un des plus grands chantiers de l’archéologie. De nombreuses fouilles sont effectuées à l’étranger, comme ici sur un îlot rocheux du détroit de Magellan, au Chili, en janvier 2010. recherche et l’élargissement des champs d’intérêt imposent des compétences particulières. Pour ne citer qu’un exemple, l’archéozoologie cherche à reconstituer l’histoire des relations naturelles et culturelles entre l’homme et l’animal. Mais le danger serait d’aboutir à une vision parcellaire de la réalité du passé, car personne n’est en mesure de dominer toutes ces disciplines en même temps. Aussi, les archéologues travaillent-ils davantage en équipe et développent-ils des programmes de recherche pluridisciplinaires. Selon vous, quelles sont les principales lacunes à combler dans les prochaines années ? S. A. B. : Quels que soient l’époque et le lieu étudié, on s’aperçoit que notre connaissance reste fragmentaire en raison soit du manque de vestiges, soit d’intérêt, comme pour l’archéologie médiévale qui a longtemps privilégié l’étude de l’architecture urbaine au détriment du domaine rural. Autre cas : l’occupation de certains territoires est bien établie à certaines époques et très peu à d’autres. On connaît bien les périodes classiques de l’histoire de l’Égypte ou de la Grèce, assez mal leur préhistoire. De même, les vestiges concernant les premiers hominidés sont très parsemés dans le temps, et de grandes séquences chronologiques restent encore inconnues. Dans de nombreuses régions du monde, les données archéologiques commencent seulement à être assez abondantes pour permettre © E. Pellé/UMR7179-MNHN et S. Oboukhoff/Maison R. Ginouvès |