26 > © CEREMADE L’ENQUÊTE Les maths à l’écoute de la Terre Trois recherches, trois exemples où les mathématiques nous aident à mieux comprendre notre planète. La première est une question de survie pour les populations du Pacifique et de l’océan Indien, régulièrement endeuillées par les tsunamis. Comment les vagues mortelles naissent-elles et se propagent-elles dans l’océan ? Peuton anticiper les inondations qu’elles causent ? Plusieurs groupes de prévention des vagues géantes dans le monde disposent de modèles numériques d’hydrodynamique pour y répondre. Problème : ces modèles se perdent dans les calculs et deviennent muets face à des situations atypiques, comme des lignes de côtes trop déchiquetées ou un fond sous-marin trop accidenté. Le modèle numérique Volna, développé depuis 2008 par Denys Dutykh et ses collaborateurs du Laboratoire de mathématiques 1 de l’université de Savoie, ne souffre pas de ce défaut. Son secret ? « Notre modèle utilise les dernières avancées du calcul numérique qui restaient inutilisées dans ce domaine », explique le chercheur. Autre avantage, ce modèle reproduit correctement les tsunamis qui se propagent alors que le fond sous-marin est toujours actif, comme celui de Sumatra en 2004, causé par un séisme qui avait duré 10 minutes. ENTRETIEN AVEC MARIA. J. ESTEBAN, PRÉSIDENTE DE LA SMAI Quelle est l’importance des mathématiques dans les entreprises françaises ? Maria J. Esteban : Les mathématiques jouent un rôle fondamental dans de très nombreux processus industriels, même si leur présence est souvent invisible. Dans le passé, les grandes entreprises avaient des groupes importants de mathématiciens identifiés comme tels dans leurs équipes R&D. Les séismes ne sont pas les seules catastrophes naturelles à générer des tsunamis. L’équipe a étudié le cas des glissements de terrain sousmarins qui se produisent dans le fleuve Saint- Laurent, au Québec. Ces glissements soulèvent des hautes vagues qui déferlent ensuite sur les rivages, inondant les maisons. Avec leur savoirfaire, les chercheurs sont parvenus à produire des cartes d’inondation des zones concernées. Avec ses 1300 adhérents, la Société de mathématiques appliquées et industrielles (SMAI) cherche à encourager le développement des maths appliquées. Sa présidente, Maria J. Esteban, directrice de recherche au CNRS 1, nous en dit plus sur les enjeux et les actions menées avec les entreprises. Le journal du CNRS n°245 juin 2010 Carte du lit de la rivière Saint- Laurent, au Canada, utilisée par Denys Dutykh lors de l’étude des risques d’inondations liées à des glissements de terrain fluviaux. Ce n’est plus le cas ces dernières années : il y a toujours des mathématiciens, mais en plus petit nombre, et ils jouent trop souvent un rôle d’ingénieurs ou de managers. On a aperçu récemment un changement, car certaines grandes entreprises ont compris que, si elles veulent créer de l’innovation, elles ont besoin de modélisation, d’algorithmes robustes et efficaces et de calculs rapides, c’est-à-dire de mathématiques et de mathématiciens. Pouvez-vous donner des exemples du travail d’un mathématicien dans l’industrie ? M. J. E. : D’une manière générale, un mathématicien peut aider à modéliser un problème industriel que l’on veut résoudre. Il peut également adapter des algorithmes existants à des situations nouvelles pour l’entreprise Bathymétrie © R. Poncet/LRC CMLA-CEA, ENS de Cachan etL. O’Brien/University College Dublin/CNRS Photothèque et garantir que les résultats obtenus seront de vraies solutions, et non des résultats qui n’auront que peu à voir avec le problème étudié. En outre, un mathématicien s’assurera que les simulations numériques sont performantes. Quelles actions mène la SMAI pour développer les mathématiques dans l’industrie ? M. J. E. : La SMAI organise régulièrement des journées maths-industrie autour d’un thème précis, par exemple sur l’agroalimentaire, l’acoustique, l’industrie pharmaceutique, la sécurité informatique, le risque, les géosciences… Des industriels y présentent leurs problèmes et leurs besoins. Nous avons ainsi accueilli des représentants d’Areva, d’EADS, d’EDF, de Sagem, de France Télécom, etc. La SMAI organise aussi chaque été le Cemracs, une sorte d’école d’été originale qui fait interagir pendant six semaines des chercheurs et des industriels. Nous sommes par ailleurs en train de finir la préparation d’un livre blanc sur la valorisation du doctorat de mathématiques appliquées dans l’industrie française. Il y a en effet un grand besoin de docteurs dans les entreprises, mais celles-ci paient mal ces derniers, qui ont pourtant un bac + 8, et pensent prioritairement à engager des ingénieurs. Propos recueillis par Xavier Müller 1. Centre de recherches en mathématiques de la décision (Unité CNRS/Université Paris-Dauphine). Contact : Maria J. Esteban smai-president@emath.fr http:Ilsmai.emath.fr/ |