20 > L’ENQUÊTE physique, qui les stimule depuis plusieurs siècles en même temps qu’elle en recueille les fruits. Encore aujourd’hui, pour Cédric Villani, « les attentes les plus vives concernent des secteurs où les mathématiques se frottent aux autres disciplines ». Le scientifique en veut pour preuve le domaine des équations aux dérivées partielles, dans lequel des avancées importantes pourraient avoir des répercussions aussi bien en mécanique des fluides que pour les sciences du climat. De là à envisager que l’apport des mathématiques puisse devenir un recours universel, il n’y a qu’un pas. D’autant que de nombreuses disciplines scientifiques (biologie, économie, sociologie, théorie de la décision…) font de plus en plus couramment usage de techniques et de concepts mathématiques sophistiqués. Pour Jean-Pierre Bourguignon, « du fait de leur caractère abstrait, les mathématiques ont une vocation universelle. Attention, pour autant, rien de ce qui est extérieur aux mathématiques ne peut se réduire à elles ». Michel Morange, du Centre Cavaillès de l’École normale supérieure 4, à Paris, abonde dans le même sens : « Je me méfie des simplifications du genre ‘‘les maths sont l’avenir de la biologie ». Je suis convaincu que, dans plusieurs domaines, elles vont apporter beaucoup. Mais l’idée d’une mainmise des mathématiques sur les autres sciences est naïve. » UNE MATIÈRE REINE EN FRANCE Ce qui ne les empêche pas d’avoir véritablement le vent en poupe. Au point de faire des adeptes au-delà des cercles de spécialistes. C’est en tout cas le sentiment de Séverine Leidwanger, de l’Institut de mathématiques de Jussieu 5, à Paris, et coorganisatrice d’événements dans le cadre de la Fête de la science : « Il y a deux ans, le temps était exécrable. Pourtant, nous avons compté de nombreux participants à notre rallye de mathématiques. De même, nous organisons des conférences de vulgarisation qui attirent un public large. Y compris des personnes qui gardaient un mauvais souvenir des maths au lycée et qui découvrent tout à coup qu’elles peuvent y comprendre quelque chose ! » De quoi susciter des vocations chez les plus jeunes ? S’appuyant sur une tradition qui place les maths au centre de la formation de ses élites, la France reste encore aujourd’hui une terre de prédilection pour la discipline. Un chiffre en atteste : sur les 48 lauréats de l’histoire de la médaille Fields – la plus prestigieuse récompense de la discipline, remise tous les quatre ans –, douze sont issus de laboratoires français. La prochaine attribution lors du Congrès international des mathématiciens, qui aura lieu en Inde à la fin du mois d’août, viendra peut-être confirmer cette tendance. Jean-Pierre Bourguignon s’inquiète néanmoins pour l’avenir : « Les carrières de chercheurs ne sont Le journal du CNRS n°245 juin 2010 pas assez attractives en général. On observe une érosion des effectifs des étudiants en mathématiques. Si cette tendance persiste une dizaine d’années, cela peut devenir dramatique pour l’avenir de la discipline. » De son côté, Cédric Villani joue, lui, la carte de l’optimisme : « Les problèmes sont identifiés. Je reste persuadé que nous trouverons les solutions. Il faut transmettre l’idée que les mathématiques n’ont rien d’une vieille science carrée et poussiéreuse. Au contraire, elles sont aujourd’hui en pleine effervescence et demandent avant tout… de l’imagination. » Mathieu Grousson 1. Unité CNRS/Université Paris-VI. 2. D’un montant de 20 000 euros attribués par la région Midi-Pyrénées, ce prix est décerné tous les deux ans par l’Institut de mathématiques de Toulouse. 3. Unité CNRS/EHESS Paris/MNHN/Cité des sciences et de l’industrie. 4. Unité CNRS/ENS Paris/Inserm. 5. CNRS/Universités Paris-VI et -VII. © E. Isselée/Fotolia CONTACTS ➔ Jean-Pierre Bourguignon, jpb@ihes.fr ➔ Amy Dahan, dahan@damesme.cnrs.fr ➔ Séverine Leidwanger leidwang@math.jussieu.fr ➔ Michel Morange, morange@biologie.ens.fr ➔ Cédric Villani, cedric.villani@ihp.jussieu.fr Les maths peuvent aider les écologues à calculer combien de faons il y a dans une forêt. © Collection École polytechnique La biodiversité Àl’heure où la biodiversité s’érode dangereusement, les écologues disposent aujourd’hui d’un allié de poids : les mathématiques. Théorie des probabilités et des processus aléatoires en tête, elles sont en effet parvenues à intégrer dans des modèles la plupart des processus aux fondements de l’évolution. De quoi aider à quantifier la richesse biologique de notre planète et son évolution et, qui sait, à trouver des solutions pour la protéger. En commençant par s’interroger sur la notion même de biodiversité. De fait, intuitivement, plus le nombre des espèces augmente, plus elle est importante. Mais Vincent Bansaye, du Centre de mathématiques appliquées de l’École polytechnique (CMAP) 1, nuance : « Quelle est la contribution à la diversité biologique d’une part de deux espèces de fourmis, d’autre part d’une espèce de fourmis et d’une autre de hérissons ? » Cette question n’a l’air de rien, mais elle est en réalité redoutable. Comme de savoir si la biodiversité est plus mise à mal par la disparition de deux espèces de mammifères emblématiques, ou bien par celle d’un coléoptère inconnu, mais jouant un rôle important dans un écosystème. Autant d’interrogations auxquelles des mathématiques complexes peuvent aider à apporter des réponses en introduisant des outils précis dans une science traditionnellement empirique. |