CNRS Le Journal n°244 mai 2010
CNRS Le Journal n°244 mai 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°244 de mai 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 5,9 Mo

  • Dans ce numéro : Afrique le nouvel élan

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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16 DR PAROLED’EXPERT Si les espèces vivantes sont à l’honneur en 2010, qui est l’Année internationale de la biodiversité, elles le seront particulièrement le 22 mai, puisqu’une journée mondiale leur est également consacrée. Objectif de ces initiatives : alerter l’opinion sur l’état et les conséquences du déclin de la diversité biologique. Quel constat dressent les scientifiques ? Robert Barbault : Selon le dernier décompte de l’Union internationale pour la conservation de la nature, 36% des espèces évaluées sont aujourd’hui menacées d’extinction. Mammifères, amphibiens, oiseaux, reptiles, poissons d’eau douce, plantes et invertébrés, toutes les catégories d’êtres vivants intégrées dans cette observation sont concernées par le phénomène. Le cas des vertébrés est assez parlant : alors que leur taux de disparition naturelle est d’environ une espèce tous les cent ans, près de 260 espèces ont disparu au cours du XX e siècle ! Le déclin quantitatif de certains peuplements, suivis dans le temps et dans l’espace, est également inquiétant. À titre d’exemple, l’Europe a perdu 20% de ses effectifs d’oiseaux communs en vingt ans. Quelles sont les causes de cette érosion de la biodiversité actuellement à l’œuvre ? R.B. : À la différence des cinq crises d’extinction qu’a déjà connues la Terre, l’humain est aujourd’hui le premier responsable. Démarrée dès le Paléolithique, la dynamique s’est accélérée au cours de la révolution industrielle, puis dans la seconde moitié du XX e siècle. Cinq grands facteurs, agissant de concert, sont incriminés. Tout d’abord l’altération des habitats naturels opérée par l’intensification agricole, la déforestation, l’urbanisation… Le second facteur est l’introduction de végétaux et d’animaux envahissants, de manière volontaire ou accidentelle. Troisième cause : la surcharge des sols et de l’eau en azote et Le journal du CNRS n°244 mai 2010 Robert Barbault, écologue au laboratoire « Conservation des espèces, restauration et suivi des populations » 1, directeur du département « Écologie et gestion de la biodiversité » du MNHN Préserver les espèces pour protéger l’homme phosphore issus des fertilisants agricoles et des effluents ménagers. Pêche intensive, exploitation forestière, tourisme… La surexploitation des ressources vivantes est également mise en cause. Enfin, le changement climatique joue un rôle non négligeable car il perturbe le rythme biologique de nombreuses espèces et les force à migrer vers le nord, ou en altitude. « Il est temps de passer à une vision écologique du monde car notre survie en dépend. » Quelles sont les solutions mises en œuvre pour enrayer le phénomène ? R.B. : Plusieurs initiatives sont déjà engagées. On assiste par exemple à la multiplication des espaces protégés à travers le monde, avec la volonté d’impliquer davantage les populations humaines qui en dépendent. Certains pays, comme le Brésil et l’Indonésie, affichent aussi une volonté de réduire la déforestation. Côté aménagement du territoire, le concept de trames vertes et bleues 2 fait son chemin. Dans le secteur agricole, les techniques plus respectueuses de la biodiversité se développent, tout comme les preuves de leur efficacité. Quant aux réintroductions d’animaux, elles ont surtout un caractère symbolique. Pour réussir, elles nécessitent de saisir les raisons de la disparition de l’espèce, d’analyser la capacité du milieu naturel à l’accueillir, le tout en impliquant les communautés concernées. Si ces conditions ne sont pas remplies, l’échec est souvent au rendez-vous. Toutes ces mesures suffiront-elles ? R.B. : L’ « Évaluation des écosystèmes pour le millénaire » 3 a testé différents scénarios socio-économiques pour dégager les tendances d’évolution probable au cours du XXI e siècle. Même si certains sont nettement moins pénalisants que d’autres, tous prévoient une perte continue de biodiversité à l’horizon 2050. Ainsi, l’objectif de la communauté internationale de stopper son érosion dès 2010 ne sera pas atteint. Pire, certains scientifiques estiment que le taux d’extinction des espèces au cours de la première moitié du XXI e siècle sera dix fois supérieur au taux actuel. Seul un changement radical de notre mode de vie pourrait donc inverser la tendance. Il est temps de passer à une vision écologique du monde car notre survie en dépend. Quelles seront les conséquences pour l’homme d’un appauvrissement accru de la diversité biologique ? R.B. : La biodiversité nous apporte de nombreux services dits écosystémiques répartis en quatre grandes catégories : les services de prélèvement (nourriture, eau, bois, fibres, molécules thérapeutiques…), de régulation (épuration des eaux, dégradation des déchets, prévention des inondations, stockage du carbone…), d’auto-entretien (formation des sols, photosynthèse, recyclage des nutriments…) et enfin les services culturels (récréatifs, esthétiques…). Autant de bénéfices aujourd’hui menacés. En effet, l’ « Évaluation des écosystèmes pour le millénaire » prévoit une dégradation accrue de la plupart de ces services d’ici 2050. Maintenir notre qualité de vie va donc coûter de plus en plus cher, et les pays les plus vulnérables seront les premières victimes. Ne pas préserver la biodiversité, c’est donc scier la branche sur laquelle nous sommes assis ! Propos recueillis par Jean-Philippe Braly 1. Unité CNRS/MNHN. 2. Connexions des zones de nature entre elles permettant la circulation des espèces animales et végétales. 3. Programme de travail international commandé par l’Organisation des Nations unies. ➔ En savoir plus : lire le dossier « Les secouristes de la nature », Le journal du CNRS n°240-241,pp. 18-31. CONTACT ➔ Robert Barbault Conservation des espèces, restauration et suivi des populations, Paris barbault@mnhn.fr
David Holcman Sous la bio… les maths Jean noir délavé, chemise à carreaux et cheveux en bataille. David Holcman, allure rebelle et regard fonceur, commente un tableau débordant d’équations avec un étudiant. Autour de lui, entre une table de bistrot, un canapé rouge et un bureau surplombé d’un écran d’ordinateur, des piles de livres et d’articles s’entassent sur chaque parcelle de surface disponible. La pièce et son occupant ont tout pour camper l’image du mathématicien mi-cool, mi-génial, façon Hollywood. Mathématicien ? La scène se situe pourtant à l’Institut de biologie de l’École normale supérieure 1, à Paris. Où ce directeur de recherche d’à peine 40 ans dirige le Département de recherches interdisciplinaires en biologie et mathématiques, qu’il a fondé en 2004 grâce à une chaire d’excellence, avant de le consolider par un financement du Conseil européen pour la recherche (ERC, European Research Council). Il s’en explique : « La physique théorique offre 300 ans d’outils mathématiques que l’on peut mettre à profit pour calculer et prédire quantitativement le fonctionnement cellulaire. Pourquoi s’en passer ? » Aujourd’hui, à l’heure où l’interdisciplinarité est devenue un véritable mot d’ordre, l’idée de mettre la biologie en équations, quand c’est possible, est une évidence. Mais lorsqu’au milieu des années 1990, David Holcman rêve de révéler les mystères du cerveau à grands coups d’intégrales et d’équations non linéaires, les laboratoires où mettre en pratique sa lubie ne sont pas légion. Qu’importe, le jeune normalien, également diplômé de Télécom Paris, opte pour une thèse en mathématiques pures : « J’ai voulu commencer par le plus dur, avance-t-il. La bio, je me disais que je pourrais toujours l’apprendre plus tard. » Ce qui ne l’empêche pas de passer plusieurs mois dans un Institut de neurobiologie, à Berkeley, sans même en avoir informé son directeur de thèse ! « Chez Thierry Aubin 2, à l’université Paris-VI, chacun pouvait faire ce qu’il voulait. L’important était de se prendre en main », justifie-il. Une politique qui convient parfaitement à ce jeune chercheur qui n’aime rien tant que l’indépendance et déclare s’être formé sur le tas : « J’aime comprendre les choses par moimême, au risque de refaire ce que d’autres ont fait avant moi, ce qui m’est arrivé plus d’une fois ! Mais ainsi je ne suis influencé par personne, ce qui permet d’explorer des idées neuves. » La méthode est sinueuse. Puisqu’après la soutenance de sa thèse, en 1998, elle conduit David Holcman six mois en Italie. Puis deux ans en Israël, où il partage son temps entre un séjour postdoctoral en mathématiques pures, à l’Institut Weizman, et une collaboration « J’aime comprendre les choses par moimême, au risque de refaire ce que d’autres ont fait avant moi. » JEUNESCHERCHEURS 17 informelle avec Zeev Schuss, à l’université de Tel-Aviv, spécialiste de la mathématisation des processus aléatoires et féru de biologie. Mais c’est véritablement en 2002 qu’il peut enfin se consacrer entièrement à son projet, alors qu’il reçoit un financement pour s’immerger, en tant que mathématicien, au département de neurobiologie de l’université de Californie, à San Francisco. En électron libre, le scientifique multiplie les problématiques. Il s’intéresse par exemple à la diffusion du calciumentre les neurones. Ou bien aux raisons qui, selon le contexte lumineux, font que toutes les cellules de la rétine ne sont pas capables de détecter un seul photon incident. Il publie aussi sur le fonctionnement d’une synapse, le complexe permettant à deux neurones de communiquer : « De façon intéressante, je me suis rendu compte qu’une fois mise en équation, cette question revient à se demander combien de temps il faut à une molécule ayant un mouvement aléatoire pour sortir par un petit trou ! » Bref, le mathématicien traque ce qu’il peut y avoir d’universel dans la multiplicité des phénomènes biologiques. Depuis son admission au CNRS, en 2005, il poursuit sa démarche interdisciplinaire entouré d’étudiants en maths, physique, chimie ou biologie. S’intéressant par exemple à la propagation d’un virus dans une cellule. Ou à la différenciation cellulaire au cours du développement. « L’important est d’apporter une réponse à la question que l’on pose. Peu importe la méthode », insiste-t-il. À n’en pas douter, celle de David Holcman sort des sentiers battus. Mathieu Grousson © F. Plas/CNRS Photothèque 1. Unité CNRS/ENS Paris/Inserm. 2. Mathématicien décédé en 2009, Thierry Aubin était membre de l’Académie des sciences dont il reçut le prix Servant en 1982. CONTACT ➔ David Holcman Institut de biologie de l’École normale supérieure, Paris holcman@biologie.ens.fr Le journal du CNRS n°244 mai 2010



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