8 VIEDESLABOS Actualités ARCHÉOLOGIE Neuf mois de fouilles entre 2008 et 2009 auront été nécessaires à l’équipe de Sébastien Bully, du laboratoire « Archéologie, terre, histoire, sociétés » (AR- TeHIS) 1, pour sortir de terre les vestiges de l’une des églises de l’abbaye de Luxeuil-les-Bains en Franche-Comté. Quel Luxovien aurait pu s’imaginer que sous la place où il faisait son marché se cachaient près de 125 sarcophages datés entre le V e et le début du VIII e siècle ? Comment auraitil pu penser qu’il s’agissait là de l’une des plus grandes concentrations de l’Est de la France ? « Les premières tombes et les premiers squelettes ne sont qu’à quelques centimètres du sol actuel, confie Sébastien Bully. On passe presque directement du goudron de la route aux couvercles des sarcophages. » Ce bond chronologique éclair s’explique : l’ensemble des couches supérieures du sol a disparu parce qu’au XIX e siècle, la ville a abaissé le niveau de la place à deux reprises. C’est à la suite d’un sondage effectué en prévision de travaux que les archéologues ont découvert le site et engagé les fouilles programmées. « En 2005, précise l’archéologue, nous avons fait une grande tranchée sur la place parce que des sources d’archives et des plans anciens indiquaient la présence d’une église funéraire appartenant à l’abbaye de Luxeuil, l’une des abbayes les plus prestigieuses du monde occidental du haut Moyen Âge. » Cette renommée, elle la doit à son fondateur Colomban, un moine irlandais, et à ses multiples © Photos : équipe de fouille, CNRS Un monastère à fleur de bitume En Haute-Saône, des archéologues du CNRS viennent d’exhumer les vestiges de l’un des plus importants monastères d’Europe du haut Moyen Âge : environ 125 sarcophages, des murs bien conservés d’une église funéraire et une crypte. Une stèle funéraire antique sculptée forme le couvercle de ce sarcophage (V e siècle). Le journal du CNRS n°243 avril 2010 disciples. Grâce à eux, l’abbaye va devenir un lieu de formation d’abbés et d’évêques qui, à leur tour, fonderont une cinquantaine de monastères dans toute l’Europe. Luxeuil s’imposera alors, entre le VII e et le X e siècle, comme une véritable capitale monastique. Aujourd’hui, les résultats de ces fouilles remettent en question une partie de l’histoire de la ville et de la fondation de son abbaye. On pensait que saint Colomban avait édifié son monastère à la fin du VI e siècle dans une ville antique en ruine et désertée. Or, sur les 650 m 2 de fouilles, les archéologues ont constaté qu’il existait des preuves matérielles de la permanence d’une occupation. La plus ancienne, un quartier artisanal, remonte au I er siècle après Jésus-Christ. D’autres édifices se sont succédés au cours du temps dans les mêmes lieux : un habitat urbain galloromain ou domus du II e siècle, une nécropole païenne au IV e siècle ou encore une basilique paléochrétienne aux V et VI e siècles. La première mention de cette église funéraire remonte à la fin du X e siècle, dans un texte relatant l’inhumation « dans une crypte d’un travail admirable » 2, de saint Valbert, troisième abbé de Luxeuil. « Matérialiser et identifier cet espace à partir de sources écrites aussi anciennes, insiste l’archéologue, c’est rarissime. Grâce à cela, nous avons pu confronter le texte à la réalité : une salle quadrangulaire dont le décor architectural ne correspondait en rien à l’image que l’on pouvait s’en faire. » Les murs sans peintures, ni fresques, ni sculptures étaient seulement animés par des niches aveugles. Les vestiges du haut Moyen Âge mis au jour sont exceptionnels car ils restent très rares en Franche- Comté. Et leur analyse, par des études pluridisciplinaires (anthropologie, étude des céramiques, des monnaies…), apportera un riche complément aux sources historiques. Les conclusions définitives devraient être rendues en fin d’année. Depuis la fin du mois de janvier, le chantier de fouilles est terminé mais le site ne sera pas remblayé. En effet, la ville de Luxeuil envisage de préserver les lieux et de mettre en valeur ces découvertes. Pour cela, une demande de protection au titre des monuments historiques et un projet de musée sont en cours. Après restauration, les vestiges seront exposés. Des passerelles et des vitres de verre seront aménagées directement sur le site pour permettre aux visiteurs de marcher sur les traces de la ville antique de Luxovium et de son monastère. Géraldine Véron 1. Unité CNRS/Université de Bourgogne/Ministère de la culture et de la communication. 2. Récit des miracles des abbés Eustasie et Valbert, écrit par l’abbé Adson. CONTACT ➔ Sébastien Bully Archéologie, terre, histoire, sociétés (ARTeHIS), Dijon sebastien.bully@club-internet.fr |