38 GUIDE Livres 3 questions à… Lionel Naccache Perdons-nous connaissance ? De la mythologie à la neurologie Éd. Odile Jacob, coll. « Sciences », février 2010, 256 p. – 22 € Lionel Naccache est neurologue, maître de conférence en neurophysiologie à l’université Paris-VI et membre du Centre de recherche de l’institut du cerveau et de la moelle épinière (CNRS/Université Paris-VI/Inserm). Votre essai passionnant commence par une interrogation inquiétante Perdons-nous connaissance ? pour se terminer par une exhortation à relever un défi. Que se passe-t-il entre cet étrange évanouissement sociétal et la fin du livre ? Pour la société occidentale, depuis les origines de la culture, la connaissance a une double facette : elle est, à la fois, définie comme une expérience extraordinaire et enrichissante, et comme une source potentielle de danger existentiel. C’est-àdire que, depuis trois mille ans, elle est aussi pensée comme un poison vital ! La façon la plus simple de s’en convaincre – c’est ce que j’ai fait dans la première partie de mon livre– est de se tourner vers la mythologie européenne et, notamment, vers ce Le journal du CNRS n°243 avril 2010 qu’elle nous dit du danger de la connaissance, danger qui lui est inhérent, et que nous retrouvons, par exemple, dans plusieurs mythes grecs (Icare, Œdipe, Tirésias) qui, chacun à leur façon, nous révèlent que connaître peut parfois constituer une menace. Les autres courants de notre culture convergent à l’unisson vers cette idée : Adam et Ève sont devenus mortels en consommant le fruit de l’arbre de la connaissance ; à sa manière, le mythe de Faust répète le même motif d’une damnation par la connaissance. Toutes ces sources culturelles célèbrent, par ailleurs, la richesse de l’expérience de la connaissance. Or, aujourd’hui, nous avons coupé le cordon avec ces mythes universels : avons-nous, en agissant ainsi, réussi Les vrais révolutionnaires du numérique Michel Berry, Christophe Deshayes, éd. Autrement, coll. « Frontières », mars 2010, 168 p. – 19 € Ce livre plonge le lecteur dans un monde où les révolutionnaires sont des citoyens ordinaires, de tous âges, toutes confessions, toutes origines sociales, mus par des motivations variées, inattendues, parfois loufoques, souvent peu durables, mais qui peuvent changer le monde minute après minute. Un exemple : le créateur involontaire de Facebook. Observateurs reconnus des transformations de la société, les deux auteurs montrent toutes les composantes de cette révolution numérique dans tous les domaines où elle opère « sans effusion de sang ni idéologie, mais de manière ludique et joyeuse ». En complément, un site internet aux nombreux liens (www.revolutionnairesdunumerique.com), belvédère idéal pour observer d’un peu plus haut les formes d’une inédite socialité chère à Michel Maffesoli. à libérer la connaissance des menaces qui lui étaient associées depuis la nuit des temps ou, à l’inverse, avons-nous perdu la compréhension des dangers de la connaissance ? C’est pourquoi j’ai posé cette question dans mon titre : perdons-nous connaissance ? Que nous disent les neurosciences ? Réfléchir à la connaissance est, évidemment, l’affaire des philosophes, mais c’est également un sujet pertinent pour les spécialistes de l’organe qui connaît : le cerveau. Leurs travaux nous ont fait découvrir que lorsque nous sommes conscients, nous nous racontons une histoire dont la finalité est qu’elle fasse sens à nos yeux. Être conscient consiste à produire un système de fictions interprétations croyances. À la lumière de cette conception, il est possible de donner une définition de la connaissance : c’est une expérience à travers laquelle l’identité d’un sujet court le risque de se transformer en rencontrant des informations de nature très diverse. Il saute alors aux yeux que la connaissance ne se résume pas aux informations qui en sont l’objet. C’est parce qu’aujourd’hui, nous avons tendance à confondre la connaissance avec l’information que nous sommes devenus aveugles aux dangers de la connaissance pour l’individu. À y regarder de plus près, certaines informations continuent, d’ailleurs, à nous déranger comme, par exemple, l’exploration neuroscientifique des rouages de notre subjectivité et la découverte que « je » est une fiction. Face à de telles informations, nous réagissons souvent à l’aide de défenses que je nomme des neurorésistances. Il y aurait donc comme un défi à relever avec nous-même ? Oui ! Chaque époque peut choisir quelles utopies deviendront sa réalité. Je pense que, dans la situation instable à laquelle nous sommes parvenus aujourd’hui, nous avons la possibilité de choisir de construire une société de la connaissance sur l’ossature de la société de l’information et, la première étape, sur cette voie, ne consiste-t-elle pas à reprendre conscience de ce qu’est la connaissance ? Propos recueillis par A.L. La chimie et la santé au service de l’homme Coordination Minh-Thu Dinh-Audouain, Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier, Paul Rigny, éd. EDP Sciences, coll. « L’actualité chimique », décembre 2009, 180 p. – 19 € Cet ouvrage s’adresse à un large public. Il a pour ambition de lever les fausses idées qui traînent encore aujourd’hui faisant de la chimie et de la santé d’irréductibles ennemies. Il montre comment, selon l’expression de Pierre Potier, « tout est chimie » (combinaisons) dès l’échelle moléculaire et comment fonctionne ce système. Il traite aussi de la nouvelle pharmacologie qu’initient les nouvelles technologies de diagnostic et de détection précoce, techniques qui permettront de plus en plus de « passer du souci de compréhension du vivant à une stratégie de soin et de guérison ». Bonne santé pour tous, à tout jamais ? Des réponses au rêve déraisonnable du lecteur. |