CNRS Le Journal n°243 avril 2010
CNRS Le Journal n°243 avril 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°243 de avril 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 5,2 Mo

  • Dans ce numéro : La révolution laser

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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30 © S. Caillault © Photos : L.H. Fage 9 ZOOM 10 11 9 Les scientifiques disposent souvent de peu de temps pour faire un premier relevé des peintures. Dans cette situation rien ne vaut le dessin à main levée, comme ici à Gua Tewet. 10 et 11 Les relations entre générations sont visibles dans les grottes de Bornéo, comme en témoigne cette peinture de Gua Tewet où deux mains d’adultes (à droite) sont reliées à deux mains d’enfants (à gauche). 12 Installation du bivouac dans la grotte de Gua Ham, riche en concrétions calcaires. Les conditions de vie et de travail sont souvent très rudimentaires dans ces lieux humides et très difficiles d’accès. Le journal du CNRS n°243 avril 2010 > sont exceptionnelles à plus d’un titre, commente Jean-Michel Chazine. D’ordinaire, les mains sont toujours entourées d’autres dessins, d’animaux notamment. Mais à Bornéo, certaines grottes ne contiennent que des mains, formant de magnifiques compositions. Autre particularité étonnante : l’intérieur d’un grand nombre de mains a été décoré de motifs (lignes, points, chevrons…), tous différents les uns des autres. » Des découvertes qui obligent aujourd’hui les archéologues à réinterpréter le rôle de ces représentations de mains dans les sociétés préhistoriques, vues souvent comme un simple rituel de chasse. Pour Jean-Michel Chazine, la fonction de ces empreintes est bien plus complexe. « Pour réaliser un tel dessin, il faut appliquer sa main contre la paroi de la grotte. Puis crachoter de l’ocre rouge mise dans la bouche. Comme un pochoir, la main apparaît alors en négatif. Eh bien, cette succession de gestes est exactement la même que celle des guérisseurs qui imposent leur main sur le corps d’un malade avant d’y crachoter des substances thérapeutiques. Pour moi, ce n’est pas un hasard. Ces dessins ont peut-être été exécutées au cours de rituels incantatoires où les guérisseurs venaient récupérer de l’énergie pour la LE LIVRE Bornéo, la mémoire des grottes Luc-Henri Fage et Jean-Michel Chazine, éd. Fage, 2009, 176 p. – 35 €. 12 mettre ensuite au service de leur communauté. » Quand aux ornements qui remplissent certaines mains, l’archéologue y voit la représentation symbolique d’une famille ou d’un clan. Dans certains cas, les mains tatouées sont même reliées entre elles, comme cet « arbre de vie » découvert dans la grotte de Gua Tewet où une sorte de liane va de mains en mains. « On peut imaginer que lorsqu’il y avait un problème au sein de la communauté ou entre différentes tribus, ces mêmes guérisseurs tentaient de les résoudre en tissant sur les murs des grottes des liens symboliques entre les individus. » Ainsi, les grottes de Bornéo devaient autrefois être le lieu de cérémonies aux rituels extrêmement codifiés et réservées aux seuls initiés. Un scénario conforté par le fait que les abris sont difficiles d’accès et vides de toute trace d’occupation prolongée. Malheureusement, ces sanctuaires du passé sont menacés aujourd’hui de disparition. La déforestation, qui bouleverse les conditions climatiques naturelles, accélère la dégradation des peintures due à l’humidité, aux bactéries et autres dépôts de calcaire. Alors, pour sauvegarder ce patrimoine unique au monde, les deux découvreurs tentent à présent de convaincre les autorités indonésiennes de classer la région en parc naturel. Pour que les mains de Bornéo continuent d’émouvoir encore longtemps. Julien Bourdet ➔ À lire : « Les empreintes de mains se donnent un genre », Le journal du CNRS, n°192, janvier 2006, p. 10. ➔ À voir : Traces de vies (2008, 52 min) de Catherine Michelet, produit par L’Azalaï et CNRS Images – http:Ilvideotheque.cnrs.fr/index.php ? urlaction=doc&id_doc=2001 1. Unité CNRS/Université de Provence. CONTACT ➔ Jean-Michel Chazine Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie, Marseille jmchazine@lycos.com
Gwenaëlle Aubry Philosophe – Prix Femina 2009 Une philosophe très romanesque Elle sort de quelques mois « un peu fous ». Lauréate du prix Femina en novembre dernier pour son roman Personne 1, Gwenaëlle Aubry, historienne de la philosophie au Centre Jean-Pépin du CNRS et philosophe, retrouve enfin son « régime de solitude et d’autarcie ». Des journées, remplies par ses recherches, passées à traduire les textes et à reconstituer une pensée, notamment en histoire de la philosophie antique et de la philosophie médiévale. Des soirées grignotées par la préparation des cours donnés à la Sorbonne et à l’École normale supérieure (ENS). Et bien sûr, dès qu’une nouvelle idée de roman s’imposera, la jeune femme de 39 ans à peine devra « aussi lui faire une place », tôt le matin. Écrire. Essais, traductions, romans, peu importe la forme. Dès l’enfance, elle savait qu’il lui faudrait organiser sa vie autour de cette nécessité absolue. « Il m’a toujours semblé que la vie ne s’épuisait pas dans le seul fait d’être vécue… » En classe de terminale, sa « voracité de littérature » se cogne avec la philosophie, nouvelle matière rencontrée comme un coup de foudre. « J’avais enfin l’impression de reconnaître la langue que j’avais envie et besoin d’entendre. » Entrée à l’ENS à 18 ans, elle mène de front licence de lettres et licence de philosophie, puis fait de cette dernière son « engagement exclusif ». Maîtrise, agrégation, DEA et thèse de philosophie, elle enchaîne le parcours logique, saisit les opportunités d’échanges étudiants à l’étranger, à Pise puis à Cambridge où elle obtient un master et commence une thèse. « Il y avait là-bas une grande suspicion sur la métaphysique, mon domaine d’étude », se souvient-elle. La métaphysique : le mot a été inventé dans l’Antiquité pour répertorier les écrits d’Aristote qui venaient après – méta en grec – ses leçons de physique. Au final, il désigne une branche de la philosophie dont les questions fondamentales résonnent en chacun de nous : l’existence de Dieu, le sens de la vie, etc. Mais la dialectique du philosophe pour y répondre obéit à une logique et un vocabulaire complexes. La chercheuse allume une fine cigarette d’un geste élégant et s’y essaie… © S. Haskell « Il m’a toujours semblé que la vie ne s’épuisait pas dans le seul fait d’être vécue. » « Depuis ma thèse, je travaille beaucoup sur la notion de puissance, d’Aristote à Leibniz. Plus particulièrement comment on est passé de l’en-puissance à la toute-puissance », explique-t-elle l’air sérieux. Pour suivre, il faut savoir que dans son système de pensée, Aristote, qui cherche à décrire toute chose, sépare ce qui est « en acte » (ce qui est accompli ou parfait) de ce qui est « en puissance » (capable d’un mouvement qui tend à l’acte) : par exemple un bloc de marbre recèle « en RENCONTREAVEC 31 puissance » une statue qui y serait sculptée. « Selon Aristote, Dieu est un acte sans puissance », reprend-elle, ponctuant chaque fin de phrase par un sourire séducteur. Puis, au fil des siècles, un glissement de pensée, opéré par l’entremise d’un glissement sémantique, en a fait au Moyen Âge un Dieu tout-puissant. « Mais un Dieu tout-puissant n’est soumis à aucune loi, ni morale, ni physique, ni logique. Ce qui m’intéresse, c’est comment cette figure-là s’est substituée au Dieu aristotélicien », explique la philosophe. Et le CNRS ? « J’y suis entrée en 2002, après ma thèse et trois ans en tant que maître de conférences à Nancy. J’avais besoin de plus de temps pour mes recherches et le CNRS m’a offert ce luxe inestimable. » En tirant sur les vingt-quatre heures de la journée, elle est aussi depuis devenue l’auteur de cinq romans. Mais surtout, pas de mélange des genres. « J’ai toujours évité d’écrire des romans à thèse philosophique et évité toute rhétorique littéraire en philosophie. J’ai trop de goût pour ces deux disciplines pour faire de l’une la servante de l’autre. » Seules les thématiques parfois se télescopent. Son roman Personne, hommage à « celui qui fut [son] père », brillant juriste atteint de psychose maniaco-dépressive, est ainsi le portrait d’un homme étranger à lui-même et au monde, à la recherche d’un « moi » qui sans cesse lui échappait. « Cela rejoint effectivement un autre de mes domaines d’études : l’histoire et la constitution de la notion de « moi », notamment à travers Plotin 2 que j’ai traduit », commente-t-elle la voix posée, chez elle, dans le bureau où ses deux filles de 9 et 2 ans savent qu’il ne faut pas la déranger. Son appartement parisien surplombe les quatre bâtiments en forme de livre ouvert de la Bibliothèque nationale de France. Il semble lui aussi toujours penché sur les bouquins. Charline Zeitoun 1. Personne, éd. Mercure de France, août 2009, 160 p. – 15 €. 2. Philosophe grec, 205 - 270 après J.-C. CONTACT ➔ Gwenaëlle Aubry Centre Jean Pépin, Villejuif g.aubry@vjf.cnrs.fr Le journal du CNRS n°243 avril 2010



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