30 © S. Caillault © Photos : L.H. Fage 9 ZOOM 10 11 9 Les scientifiques disposent souvent de peu de temps pour faire un premier relevé des peintures. Dans cette situation rien ne vaut le dessin à main levée, comme ici à Gua Tewet. 10 et 11 Les relations entre générations sont visibles dans les grottes de Bornéo, comme en témoigne cette peinture de Gua Tewet où deux mains d’adultes (à droite) sont reliées à deux mains d’enfants (à gauche). 12 Installation du bivouac dans la grotte de Gua Ham, riche en concrétions calcaires. Les conditions de vie et de travail sont souvent très rudimentaires dans ces lieux humides et très difficiles d’accès. Le journal du CNRS n°243 avril 2010 > sont exceptionnelles à plus d’un titre, commente Jean-Michel Chazine. D’ordinaire, les mains sont toujours entourées d’autres dessins, d’animaux notamment. Mais à Bornéo, certaines grottes ne contiennent que des mains, formant de magnifiques compositions. Autre particularité étonnante : l’intérieur d’un grand nombre de mains a été décoré de motifs (lignes, points, chevrons…), tous différents les uns des autres. » Des découvertes qui obligent aujourd’hui les archéologues à réinterpréter le rôle de ces représentations de mains dans les sociétés préhistoriques, vues souvent comme un simple rituel de chasse. Pour Jean-Michel Chazine, la fonction de ces empreintes est bien plus complexe. « Pour réaliser un tel dessin, il faut appliquer sa main contre la paroi de la grotte. Puis crachoter de l’ocre rouge mise dans la bouche. Comme un pochoir, la main apparaît alors en négatif. Eh bien, cette succession de gestes est exactement la même que celle des guérisseurs qui imposent leur main sur le corps d’un malade avant d’y crachoter des substances thérapeutiques. Pour moi, ce n’est pas un hasard. Ces dessins ont peut-être été exécutées au cours de rituels incantatoires où les guérisseurs venaient récupérer de l’énergie pour la LE LIVRE Bornéo, la mémoire des grottes Luc-Henri Fage et Jean-Michel Chazine, éd. Fage, 2009, 176 p. – 35 €. 12 mettre ensuite au service de leur communauté. » Quand aux ornements qui remplissent certaines mains, l’archéologue y voit la représentation symbolique d’une famille ou d’un clan. Dans certains cas, les mains tatouées sont même reliées entre elles, comme cet « arbre de vie » découvert dans la grotte de Gua Tewet où une sorte de liane va de mains en mains. « On peut imaginer que lorsqu’il y avait un problème au sein de la communauté ou entre différentes tribus, ces mêmes guérisseurs tentaient de les résoudre en tissant sur les murs des grottes des liens symboliques entre les individus. » Ainsi, les grottes de Bornéo devaient autrefois être le lieu de cérémonies aux rituels extrêmement codifiés et réservées aux seuls initiés. Un scénario conforté par le fait que les abris sont difficiles d’accès et vides de toute trace d’occupation prolongée. Malheureusement, ces sanctuaires du passé sont menacés aujourd’hui de disparition. La déforestation, qui bouleverse les conditions climatiques naturelles, accélère la dégradation des peintures due à l’humidité, aux bactéries et autres dépôts de calcaire. Alors, pour sauvegarder ce patrimoine unique au monde, les deux découvreurs tentent à présent de convaincre les autorités indonésiennes de classer la région en parc naturel. Pour que les mains de Bornéo continuent d’émouvoir encore longtemps. Julien Bourdet ➔ À lire : « Les empreintes de mains se donnent un genre », Le journal du CNRS, n°192, janvier 2006, p. 10. ➔ À voir : Traces de vies (2008, 52 min) de Catherine Michelet, produit par L’Azalaï et CNRS Images – http:Ilvideotheque.cnrs.fr/index.php ? urlaction=doc&id_doc=2001 1. Unité CNRS/Université de Provence. CONTACT ➔ Jean-Michel Chazine Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie, Marseille jmchazine@lycos.com |