24 © J. Chatin/CNRS Photothèque > L’ENQUÊTE opaques de dimensions nanométriques et soumis à des pressions supérieures à un million d’atmosphère [pour reconstituer les conditions de l’intérieur de la terre, NDLR] », s’enthousiasme Frédéric Decremps. Armés de ce nouvel outil, les minéralogistes lèveront peut-être enfin le voile sur la composition chimique et la dynamique du noyau terrestre. REFROIDIR LES ATOMES Si les lasers femtosecondes plongent au cœur de la Terre, ils le font aussi pour les molécules. En effet, le délai de leurs impulsions est si bref qu’il devient comparable au temps typique de déplacement des atomes dans les molécules. On peut dès lors employer des impulsions femtosecondes comme des flash ultrarapides pour prendre des instantanés de la matière. Le principal intérêt de la méthode est de pouvoir assister aux étapes intermédiaires d’une réaction chimique, d’ordinaire insaisissables aux chimistes. Au Laboratoire Francis-Perrin 8, à Saclay, les chercheurs l’utilisent notamment pour étudier les mécanismes qui président au changement de couleur des molécules photochromes (sensibles à la lumière). Des travaux qui s’inscrivent, à long terme, dans la recherche de mémoires optiques, des mémoires informatiques ultrarapides traversées par un pinceau lumineux où la luminosité des photochromes (allumés ou éteints) jouerait le rôle des traditionnels 0 et 1 de l’informatique. Ultime application en sciences, la chaleur du laser sert paradoxalement à refroidir des atomes de gaz dilué. Récompensées là aussi d’un prix Nobel, celui de Claude Cohen- Tannoudji en 1997, qui avait reçu un an plus tôt la médaille d’or du CNRS, les techniques mises en jeu consistent, dans les grandes lignes, à freiner les atomes en les frappant par des tirs croisés de lumière laser. Or qui dit atomes freinés, dit agitation du milieu moindre et donc Le journal du CNRS n°243 avril 2010 Ce dispositif optique a été mis au point au Laboratoire Charles-Fabry de l’Institut d’optique pour le refroidissement laser. refroidissement. Avec ces techniques, les physiciens atteignent les températures les plus basses de l’univers, le millionième de Kelvin, voire moins. Freinés, les atomes se laissent tranquillement observer. Fruit de ce gain en temps d’observation, diverses mesures réalisées dans le domaine de la métrologie, comme celle du temps ou de la gravité, ont gagné, grâce aux atomes ultrafroids, trois ou quatre ordres de grandeur sur leur précision. Les atomes ultrafroids servent aussi de systèmes modèles pour tester les lois de la matière condensée (la discipline qui englobe l’étude des solides et des liquides). « Au Laboratoire Charles- Fabry de l’Institut d’optique 9, à Palaiseau, nous utilisons la lumière laser pour éclairer les atomes ultrafroids dans des potentiels désordonnés » décrit Alain Aspect, Médaille d’or du CNRS en 2005, tout juste auréolé du prestigieux prix Wolf pour ses travaux en information quantique. Autrement dit, en croisant des lumières laser, les scientifiques parviennent à créer des successions rapprochées de pics et de creux d’intensité lumineuse. Plongés dans ce paysage lumineux, les atomes ultrafroids se logent en des points précis et interagissent entre eux comme à l’intérieur d’un solide. « Cela permet de simuler le comportement des électrons dans des matériaux comme le silicium amorphe où les atomes sont empilés en désordre, et donc ainsi de mieux comprendre les propriétés électriques de tels matériaux », explique Alain Aspect. Mais l’application la plus spectaculaire du refroidissement atomique est la réalisation d’un état inédit de la matière, resté pendant soixante-dix ans une pure expérience de pensée : le condensat de Bose-Einstein. Sous ce nom barbare se cache un état de la matière où tous les atomes du nuage se comportent comme un seul et même atome. Outre l’intérêt fondamental qu’il présente, le condensat de Bose-Einstein est en passe de fournir la pierre angulaire du très fantasmé laser à atomes (lire l’encadré ci-contre). Impossible de dire si celui-ci est pour bientôt. « Il est difficile de faire des prévisions, surtout sur l’avenir », avertissait Niels Bohr, l’un des pères de la mécanique quantique. Les lasers à impulsions ultrabrèves, comme celui du Centre d’interaction laser-matière de Saclay, permettent de suivre en direct les réactions chimiques. Le succès du laser, que personne n’attendait, ne peut que lui donner raison. Xavier Müller 1. Unité CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur, Université de Nice/Université Paris -VI/IRD. 2. Unité CNRS/Université Paris-VI/Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. 3. Unité CNRS/Université Bordeaux-III. 4. Unité CNRS/Université de Limoges. 5. Unité CNRS/Université Aix-Marseille-II. 6. Unité CNRS/Universités Paris-VI et -VII/IPGP/IRD. 7. Unité CNRS/Université Paris-VI. 8. Unité CNRS/CEA. 9. Unité CNRS/Institut d’optique Graduate School/Université Paris-XI. CONTACTS ➔ Alain Aspect, alain.aspect@institutoptique.fr ➔ Laurent Belliard, laurent.belliard@insp.jussieu.fr ➔ Frédéric Decremps frederic.decremps@impmc.jussieu.fr ➔ Loïc Espinasse Loic.espinasse@u-bordeaux3.fr ➔ Pierre Exertier, pierre.exertier@oca.eu ➔ Sophie Godin Beekmannsophie.godin-beekmann@latmos.ipsl.fr ➔ Pierre-François Lenne lenne@ibdml.univ-mrs.fr ➔ Jean Salamero, jean.salamero@curie.fr LE LASER VENU DU FROID Un laser d’un genre totalement nouveau s’apprête à faire son entrée dans notre quotidien : le laser à atomes. Ce dispositif qui émet un jet d’atomes tous rigoureusement identiques les un des autres (de la même manière que tous les photons d’un faisceau laser sont tous semblables) existe déjà dans les laboratoires. Il est encore volumineux et difficile à mettre en place, mais les progrès sont tels qu’il pourrait bientôt devenir indispensable. À l’origine de cet instrument : les expériences de refroidissement des atomes par laser. En 1995, les physiciens refroidissent des atomes de rubidium à une température tellement basse qu’ils parviennent, pour la première fois à créer un condensat de © P.Stroppa/CEA |