CNRS Le Journal n°243 avril 2010
CNRS Le Journal n°243 avril 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°243 de avril 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 5,2 Mo

  • Dans ce numéro : La révolution laser

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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24 © J. Chatin/CNRS Photothèque > L’ENQUÊTE opaques de dimensions nanométriques et soumis à des pressions supérieures à un million d’atmosphère [pour reconstituer les conditions de l’intérieur de la terre, NDLR] », s’enthousiasme Frédéric Decremps. Armés de ce nouvel outil, les minéralogistes lèveront peut-être enfin le voile sur la composition chimique et la dynamique du noyau terrestre. REFROIDIR LES ATOMES Si les lasers femtosecondes plongent au cœur de la Terre, ils le font aussi pour les molécules. En effet, le délai de leurs impulsions est si bref qu’il devient comparable au temps typique de déplacement des atomes dans les molécules. On peut dès lors employer des impulsions femtosecondes comme des flash ultrarapides pour prendre des instantanés de la matière. Le principal intérêt de la méthode est de pouvoir assister aux étapes intermédiaires d’une réaction chimique, d’ordinaire insaisissables aux chimistes. Au Laboratoire Francis-Perrin 8, à Saclay, les chercheurs l’utilisent notamment pour étudier les mécanismes qui président au changement de couleur des molécules photochromes (sensibles à la lumière). Des travaux qui s’inscrivent, à long terme, dans la recherche de mémoires optiques, des mémoires informatiques ultrarapides traversées par un pinceau lumineux où la luminosité des photochromes (allumés ou éteints) jouerait le rôle des traditionnels 0 et 1 de l’informatique. Ultime application en sciences, la chaleur du laser sert paradoxalement à refroidir des atomes de gaz dilué. Récompensées là aussi d’un prix Nobel, celui de Claude Cohen- Tannoudji en 1997, qui avait reçu un an plus tôt la médaille d’or du CNRS, les techniques mises en jeu consistent, dans les grandes lignes, à freiner les atomes en les frappant par des tirs croisés de lumière laser. Or qui dit atomes freinés, dit agitation du milieu moindre et donc Le journal du CNRS n°243 avril 2010 Ce dispositif optique a été mis au point au Laboratoire Charles-Fabry de l’Institut d’optique pour le refroidissement laser. refroidissement. Avec ces techniques, les physiciens atteignent les températures les plus basses de l’univers, le millionième de Kelvin, voire moins. Freinés, les atomes se laissent tranquillement observer. Fruit de ce gain en temps d’observation, diverses mesures réalisées dans le domaine de la métrologie, comme celle du temps ou de la gravité, ont gagné, grâce aux atomes ultrafroids, trois ou quatre ordres de grandeur sur leur précision. Les atomes ultrafroids servent aussi de systèmes modèles pour tester les lois de la matière condensée (la discipline qui englobe l’étude des solides et des liquides). « Au Laboratoire Charles- Fabry de l’Institut d’optique 9, à Palaiseau, nous utilisons la lumière laser pour éclairer les atomes ultrafroids dans des potentiels désordonnés » décrit Alain Aspect, Médaille d’or du CNRS en 2005, tout juste auréolé du prestigieux prix Wolf pour ses travaux en information quantique. Autrement dit, en croisant des lumières laser, les scientifiques parviennent à créer des successions rapprochées de pics et de creux d’intensité lumineuse. Plongés dans ce paysage lumineux, les atomes ultrafroids se logent en des points précis et interagissent entre eux comme à l’intérieur d’un solide. « Cela permet de simuler le comportement des électrons dans des matériaux comme le silicium amorphe où les atomes sont empilés en désordre, et donc ainsi de mieux comprendre les propriétés électriques de tels matériaux », explique Alain Aspect. Mais l’application la plus spectaculaire du refroidissement atomique est la réalisation d’un état inédit de la matière, resté pendant soixante-dix ans une pure expérience de pensée : le condensat de Bose-Einstein. Sous ce nom barbare se cache un état de la matière où tous les atomes du nuage se comportent comme un seul et même atome. Outre l’intérêt fondamental qu’il présente, le condensat de Bose-Einstein est en passe de fournir la pierre angulaire du très fantasmé laser à atomes (lire l’encadré ci-contre). Impossible de dire si celui-ci est pour bientôt. « Il est difficile de faire des prévisions, surtout sur l’avenir », avertissait Niels Bohr, l’un des pères de la mécanique quantique. Les lasers à impulsions ultrabrèves, comme celui du Centre d’interaction laser-matière de Saclay, permettent de suivre en direct les réactions chimiques. Le succès du laser, que personne n’attendait, ne peut que lui donner raison. Xavier Müller 1. Unité CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur, Université de Nice/Université Paris -VI/IRD. 2. Unité CNRS/Université Paris-VI/Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. 3. Unité CNRS/Université Bordeaux-III. 4. Unité CNRS/Université de Limoges. 5. Unité CNRS/Université Aix-Marseille-II. 6. Unité CNRS/Universités Paris-VI et -VII/IPGP/IRD. 7. Unité CNRS/Université Paris-VI. 8. Unité CNRS/CEA. 9. Unité CNRS/Institut d’optique Graduate School/Université Paris-XI. CONTACTS ➔ Alain Aspect, alain.aspect@institutoptique.fr ➔ Laurent Belliard, laurent.belliard@insp.jussieu.fr ➔ Frédéric Decremps frederic.decremps@impmc.jussieu.fr ➔ Loïc Espinasse Loic.espinasse@u-bordeaux3.fr ➔ Pierre Exertier, pierre.exertier@oca.eu ➔ Sophie Godin Beekmannsophie.godin-beekmann@latmos.ipsl.fr ➔ Pierre-François Lenne lenne@ibdml.univ-mrs.fr ➔ Jean Salamero, jean.salamero@curie.fr LE LASER VENU DU FROID Un laser d’un genre totalement nouveau s’apprête à faire son entrée dans notre quotidien : le laser à atomes. Ce dispositif qui émet un jet d’atomes tous rigoureusement identiques les un des autres (de la même manière que tous les photons d’un faisceau laser sont tous semblables) existe déjà dans les laboratoires. Il est encore volumineux et difficile à mettre en place, mais les progrès sont tels qu’il pourrait bientôt devenir indispensable. À l’origine de cet instrument : les expériences de refroidissement des atomes par laser. En 1995, les physiciens refroidissent des atomes de rubidium à une température tellement basse qu’ils parviennent, pour la première fois à créer un condensat de © P.Stroppa/CEA
D’autres promesses pour demain Déjà omniprésent, le laser n’a pas fini de faire parler de lui. Car dans les laboratoires du monde entier, les chercheurs imaginent déjà de nouvelles générations toujours plus performantes. Quels seront les lasers de demain ? Tour d’horizon de la recherche actuelle. À tout seigneur, tout honneur. Star incontestée des lasers, le laser à semiconducteur (ou diode laser), qu’on trouve partout, des lecteurs CD aux caisses de supermarché pour lire les codes-barres, n’échappera pas à la vague d’innovation. Depuis les années 1980, les chercheurs n’ont eu de cesse d’améliorer ce laser dont le succès provient de sa petite taille : le matériau laser en luimême (voir illustration, p. 20) mesure quelques centaines de microns de long sur quelques microns de large. « Il est constitué d’une succession de couches ultra-minces faites d’un matériau semiconducteur (comme l’arséniure de gallium) dans lequel les électrons peuvent passer d’un niveau d’énergie à un autre en émettant de la lumière, explique Françoise Lozes du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (Laas) du CNRS à Toulouse. En contrôlant au nanomètre près l’épaisseur de ces couches et en jouant sur leur composition, on peut sélectionner très finement ces niveaux et donc la longueur d’onde émise par le laser ». Ainsi ont été mises au point différentes diodes laser, notamment rouges ou bleues pour le stockage sur les CD-Rom et les DVD. Mais les scientifiques veulent aller plus loin. Ils explorent aujourd’hui un territoire pratiquement vierge pour les lasers : la lumière Bose-Einstein. En clair, un nouvel état de la matière dans lequel les atomes ont tous exactement les mêmes propriétés. On réussit ensuite à libérer les atomes de ce condensat : le laser à atomes était né. « Il nous faut maintenant relever deux grands défis pour que ce laser sorte des laboratoires, explique Philippe Bouyer, du Laboratoire Charles- Fabry de l’Institut d’optique 1 à Palaiseau. Le miniaturiser au maximum et créer un jet d’atomes en continu. » Nul doute qu’il trouverait alors de multiples usages : « Un laser à atomes continu serait un atout © CNRS Photothèque/LCFIO Coupe d’une diode laser à cascades quantiques. Les photons sont émis par la couche faite d’arséniure d’indium et d’antimoniure d’aluminium, en rouge. © P.Grech, D. Cot, A. Baranov ; O. Cathabard/CNRS Photothèque infrarouge. « Les seuls lasers qui existent dans ce domaine sont encombrants et peu pratiques à utiliser, note Martial Ducloy, du Laboratoire de physique des lasers 1 à Villetaneuse. L’enjeu est de mettre au point des appareils compacts. » Les lasers à semi-conducteur sont les candidats tout trouvés. Ou plutôt, un type particulier d’entre eux : celui à cascade quantique. Inventé dans les années 1990, on commence tout juste à maîtriser sa conception. Pour le fabriquer, les chercheurs recréent artificiellement, en empilant un grand nombre de couches nanométriques, une sorte d’escalier à électrons. Une fois excités par un courant électrique, ces derniers sont forcés de descendre les marches les unes après les autres – d’où le nom de cascade – en émettant à chaque fois de la lumière. Grâce à cette technique, on peut couvrir un très large domaine de longueurs d’onde infrarouges, de 3 à 300 microns environ. De quoi ouvrir un vaste champ d’applications. Entre 3 et 10 microns, on trouve en effet la région des « empreintes digitales des molécules ». Les lasers à atomes émettent un jet d’atomes tous identiques, comme le sont les photons d’un faisceau laser classique. majeur dans certaines applications, par exemple les interféromètres atomiques qui autorisent des mesures extrêmement sensibles de la gravitation, importantes aussi bien en science fondamentale (comme tests de la relativité générale) que pour la détection des ressources du sous-sol », promet Alain Aspect. J.B. 1. Unité CNRS/Université Paris-XI/Institut optique graduate school. Contact : Philippe Bouyer, philippe.bouyer@institutoptique.fr L’ENQUÊTE 25 La plupart des molécules y absorbent en effet la lumière à des fréquences lumineuses bien précises. En envoyant un faisceau laser dans un échantillon, et en mesurant comment la lumière a été atténuée suivant la longueur d’onde, on peut remonter à ses différents composants, même si ceux-ci sont présents à l’état de traces. Cette spectroscopie infrarouge permet notamment de détecter des molécules polluantes dans l’air. Compact, le laser à cascade quantique pourrait se glisser partout et constituer dans le futur une sonde indispensable. UN MILLION DE LASERS EN UN D’autant qu’il pourrait bénéficier un jour d’une technique naissante qui promet de révolutionner la spectroscopie : le peigne de fréquence. Derrière ce terme se cache en réalité un laser femtoseconde, c’est-à-dire délivrant des impulsions de l’ordre du femtoseconde (10 -15 seconde), d’un type particulier : « Grâce à lui, on obtient un faisceau laser qui contient l’équivalent d’un million de lasers émettant chacun une longueur d’onde Empilement de trois plans d’îlots quantiques d’arséniure d’indium, élaborés sur un substrat d’arséniure de gallium. bien déterminée », explique Nathalie Picqué, du Laboratoire de photophysique moléculaire 2 à Orsay. Mis au point à la fin des années 1990 pour des applications en lumière visible, il pourrait s’étendre à la spectroscopie infrarouge dans le futur. « On pourra détecter plusieurs molécules simultanément en un temps excessivement court, poursuit la chercheuse. Ce qui rendra possible l’analyse en temps réel d’une chaîne de production, alimentaire ou pharmaceutique par exemple. » Reste maintenant à développer un laser infrarouge capable d’émettre de très brèves impulsions. Le laser à cascade quantique figure sur la liste des candidats possibles. Mais la prometteuse carrière de ce laser ne s’arrête pas là. Du côté des grandes longueurs d’onde, il offre aussi de séduisantes perspectives. Entre 100 et 300 microns se situe le domaine des ondes térahertz 3, qui suscitent > Le journal du CNRS n°243 avril 2010 © G. Patriarche/LPN



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