16 © Ph. Groscaux/CCJ-CNRS PAROLED’EXPERT Gitans : halte aux idées reçues Le 8 avril, comme chaque année, l’Union européenne va célébrer la « Journée internationale des Roms », le Brésil a instauré un « Dia nacional do cigano » (une journée nationale des Tsiganes, dirions-nous), votre livre s’intitule Les Gitans 2 et on dit aussi les gens du voyage. Parle-t-on des mêmes personnes ? Marc Bordigoni : Selon le contexte et selon qui parle, il y a des termes différents pour désigner ces gens-là, ceux que l’on appelle les Gitans dans le français de tous les jours, d’où le choix que j’ai fait pour aborder les idées reçues les concernant. Si les instances internationales ont retenu le mot Roms qui, en romanès, signifie les hommes, c’est que le terme Tsigane est péjoratif dans de nombreux pays balkaniques ou slaves. Mais en France, en Allemagne ou au Brésil, par exemple, beaucoup de Gitans ne veulent pas d’une identité transnationale rom et revendiquent, au contraire, l’accès à la pleine citoyenneté de la nation qui leur donne leur identité légale. Quand la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) parle des « gens du voyage », elle désigne des Français qui détiennent un document administratif particulier (un titre de circulation selon la loi de 1969) et sont « sans domicile fixe ». Cela concerne environ 300000 personnes. Toutefois, ce que l’on peut appeler le monde du voyage, c’est-à-dire toutes les personnes qui se disent Gitans face au monde des Gadjé (les non-Tsiganes) comprend aussi des sédentaires, des familles qui vivent toute l’année au même endroit et qui se diront tout de même voyageurs ou voyageuses. Le journal du CNRS n°243 avril 2010 Marc Bordigoni, ingénieur de recherche CNRS à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne et comparative 1 « La quasi-totalité des Tsiganes européens sont sédentaires. » Les familles qui ont fui les pays de l’ex-Europe de l’Est pour des raisons économiques, depuis l’effondrement du bloc soviétique, ont-elles toujours été nomades ? M.B. : Non. Ces familles vivaient en maison ou en appartement depuis des générations. Elles ont découvert la caravane, comme habitat de fortune, à leur arrivée en France. Et la quasi-totalité des Tsiganes européens sont sédentaires. Pourquoi ces Roms habitent-ils souvent des campements de fortune près des autoroutes ou des décharges alors ? M.B. : Il y a un petit détail à rappeler pour comprendre leur situation. Circulant en Europe en famille, le plus souvent (il y a aussi une migration de main-d’œuvre d’hommes roms tout à fait ordinaire), ils sont identifiés comme Roms réfugiés et sont l’objet d’un repérage administratif et policier qui ne tient plus compte de leur nationalité et leur interdit de fait l’accès au marché du travail intracommunautaire. La précarité de leur statut ne leur laisse comme possibilité que de se réfugier dans les interstices urbains, et d’acquérir pour la première fois de vieilles caravanes, ce qui renforce le stéréotype du Tsigane nomade. Dans l’attente d’une très probable expulsion. Les gens du voyage, citoyens français, sont-ils eux aussi victimes de discriminations ? M.B. : La Halde a reconnu en 2009 qu’au sein de la République française, des citoyens nommés « gens du voyage » font l’objet d’une série de discriminations inscrites dans la loi 3, sans oublier toutes les autres discriminations dans la vie quotidienne, qu’elles soient le fait des autorités de police ou de gendarmerie, des services, des entreprises ou des citoyens ordinaires. En particulier, alors que la liberté de circuler est une liberté fondamentale, dans le cas des voyageurs français, elle est entravée par la difficulté croissante pour s’arrêter, trouver un espace où stationner quelques jours. La loi dite Besson de 2000 prévoit la création d’aires d’accueil. Cela peut être une solution partielle, mais nombre de familles qui en ont les moyens achètent des terrains (souvent en zone agricole) pour pouvoir se déplacer de terrains familiaux en terrains familiaux, et ainsi ne pas dépendre des institutions publiques. Les journalistes ou les travailleurs sociaux, qui ne voient bien souvent que les familles les plus précaires dépendant de l’aide publique, ne perçoivent-ils pas qu’une partie de la réalité tsigane ? M.B. : Si. La majorité des familles du monde du voyage vivent des ressources de leur travail (commerce, artisanat), beaucoup des saisons (travaux agricoles), mais aussi du travail salarié, des emplois municipaux. Ils sont alors le plus souvent invisibles en tant que Tsiganes pour les pouvoirs publics ou leurs voisins. Quelques-uns ou quelques-unes, au contraire, sont fortement visibles : les musiciens, les danseuses ou les diseuses de bonne aventure. En bons connaisseurs du monde des Gadjé, les Tsiganes peuvent être amenés à souffrir de l’image qui leur colle à la peau, mais aussi à en jouer pour faire un peu peur, pour faire rêver ou bien tour à tour l’un ou l’autre. Propos recueillis par Philippe Testard-Vaillant 1. Unité CNRS/Université Aix-Marseille-I. 2. Les Gitans, éd. Le Cavalier Bleu, coll. « Idées reçues », mars 2007, 128 p. – 9,80 €. 3. Délibération relative aux discriminations subies par les gens du voyage, n°2009-143 du 6 avril 2009 (www.halde.fr/spip.php ? page=article&id_article=12849&liens=ok) CONTACT ➔ Marc Bordigoni Idemec, Aix-en-Provence bordigoni@mmsh.univ-aix.fr |