CNRS Le Journal n°243 avril 2010
CNRS Le Journal n°243 avril 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°243 de avril 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 5,2 Mo

  • Dans ce numéro : La révolution laser

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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16 © Ph. Groscaux/CCJ-CNRS PAROLED’EXPERT Gitans : halte aux idées reçues Le 8 avril, comme chaque année, l’Union européenne va célébrer la « Journée internationale des Roms », le Brésil a instauré un « Dia nacional do cigano » (une journée nationale des Tsiganes, dirions-nous), votre livre s’intitule Les Gitans 2 et on dit aussi les gens du voyage. Parle-t-on des mêmes personnes ? Marc Bordigoni : Selon le contexte et selon qui parle, il y a des termes différents pour désigner ces gens-là, ceux que l’on appelle les Gitans dans le français de tous les jours, d’où le choix que j’ai fait pour aborder les idées reçues les concernant. Si les instances internationales ont retenu le mot Roms qui, en romanès, signifie les hommes, c’est que le terme Tsigane est péjoratif dans de nombreux pays balkaniques ou slaves. Mais en France, en Allemagne ou au Brésil, par exemple, beaucoup de Gitans ne veulent pas d’une identité transnationale rom et revendiquent, au contraire, l’accès à la pleine citoyenneté de la nation qui leur donne leur identité légale. Quand la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) parle des « gens du voyage », elle désigne des Français qui détiennent un document administratif particulier (un titre de circulation selon la loi de 1969) et sont « sans domicile fixe ». Cela concerne environ 300000 personnes. Toutefois, ce que l’on peut appeler le monde du voyage, c’est-à-dire toutes les personnes qui se disent Gitans face au monde des Gadjé (les non-Tsiganes) comprend aussi des sédentaires, des familles qui vivent toute l’année au même endroit et qui se diront tout de même voyageurs ou voyageuses. Le journal du CNRS n°243 avril 2010 Marc Bordigoni, ingénieur de recherche CNRS à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne et comparative 1 « La quasi-totalité des Tsiganes européens sont sédentaires. » Les familles qui ont fui les pays de l’ex-Europe de l’Est pour des raisons économiques, depuis l’effondrement du bloc soviétique, ont-elles toujours été nomades ? M.B. : Non. Ces familles vivaient en maison ou en appartement depuis des générations. Elles ont découvert la caravane, comme habitat de fortune, à leur arrivée en France. Et la quasi-totalité des Tsiganes européens sont sédentaires. Pourquoi ces Roms habitent-ils souvent des campements de fortune près des autoroutes ou des décharges alors ? M.B. : Il y a un petit détail à rappeler pour comprendre leur situation. Circulant en Europe en famille, le plus souvent (il y a aussi une migration de main-d’œuvre d’hommes roms tout à fait ordinaire), ils sont identifiés comme Roms réfugiés et sont l’objet d’un repérage administratif et policier qui ne tient plus compte de leur nationalité et leur interdit de fait l’accès au marché du travail intracommunautaire. La précarité de leur statut ne leur laisse comme possibilité que de se réfugier dans les interstices urbains, et d’acquérir pour la première fois de vieilles caravanes, ce qui renforce le stéréotype du Tsigane nomade. Dans l’attente d’une très probable expulsion. Les gens du voyage, citoyens français, sont-ils eux aussi victimes de discriminations ? M.B. : La Halde a reconnu en 2009 qu’au sein de la République française, des citoyens nommés « gens du voyage » font l’objet d’une série de discriminations inscrites dans la loi 3, sans oublier toutes les autres discriminations dans la vie quotidienne, qu’elles soient le fait des autorités de police ou de gendarmerie, des services, des entreprises ou des citoyens ordinaires. En particulier, alors que la liberté de circuler est une liberté fondamentale, dans le cas des voyageurs français, elle est entravée par la difficulté croissante pour s’arrêter, trouver un espace où stationner quelques jours. La loi dite Besson de 2000 prévoit la création d’aires d’accueil. Cela peut être une solution partielle, mais nombre de familles qui en ont les moyens achètent des terrains (souvent en zone agricole) pour pouvoir se déplacer de terrains familiaux en terrains familiaux, et ainsi ne pas dépendre des institutions publiques. Les journalistes ou les travailleurs sociaux, qui ne voient bien souvent que les familles les plus précaires dépendant de l’aide publique, ne perçoivent-ils pas qu’une partie de la réalité tsigane ? M.B. : Si. La majorité des familles du monde du voyage vivent des ressources de leur travail (commerce, artisanat), beaucoup des saisons (travaux agricoles), mais aussi du travail salarié, des emplois municipaux. Ils sont alors le plus souvent invisibles en tant que Tsiganes pour les pouvoirs publics ou leurs voisins. Quelques-uns ou quelques-unes, au contraire, sont fortement visibles : les musiciens, les danseuses ou les diseuses de bonne aventure. En bons connaisseurs du monde des Gadjé, les Tsiganes peuvent être amenés à souffrir de l’image qui leur colle à la peau, mais aussi à en jouer pour faire un peu peur, pour faire rêver ou bien tour à tour l’un ou l’autre. Propos recueillis par Philippe Testard-Vaillant 1. Unité CNRS/Université Aix-Marseille-I. 2. Les Gitans, éd. Le Cavalier Bleu, coll. « Idées reçues », mars 2007, 128 p. – 9,80 €. 3. Délibération relative aux discriminations subies par les gens du voyage, n°2009-143 du 6 avril 2009 (www.halde.fr/spip.php ? page=article&id_article=12849&liens=ok) CONTACT ➔ Marc Bordigoni Idemec, Aix-en-Provence bordigoni@mmsh.univ-aix.fr
Carine Karachi L’exploratrice du cerveau Forte de sa vocation d’enfance, elle aurait pu être neurochirurgienne à part entière. Mais non. À 36 ans, Carine Karachi, chef de clinique dans le service de neurochirurgie de la Pitié-Salpêtrière à Paris, porte aussi la casquette de neurobiologiste au Centre de recherche de l’institut du cerveau et de la moelle épinière 1. Et depuis six mois, c’est à l’université Columbia de New York que vous pouvez croiser cette lauréate du prix 2009 « Jeune chercheur » de la fondation Bettencourt-Schueller. Elle y mène un postdoc auprès de l’un des pontes du cortex cérébral. Tardivement ? « Oui, je fais tout plus lentement du fait de mes allers-retours entre la médecine et la recherche que j’ai rencontrée un peu tard. » En première année de médecine, un stage au bloc opératoire lui révèle « toute la beauté » du cerveau. C’est parti pour la neurochirurgie. Mais la question des symptômes et de ce qu’ils disent du fonctionnement du cerveau la taraude. Il lui faut « comprendre, donc faire de la recherche ». 1999, interruption de l’internat pour un DEA dans le laboratoire du Pr Yves Agid, où elle exerce encore aujourd’hui. Et découverte des travaux de ses collègues anatomistes, sur le singe macaque. Les recherches sur l’animal ? « D’un point de vue éthique, j’y suis attachée car ce sont elles qui assurent une sécurité maximale à nos patients », justifie-t-elle d’un ton ferme. Quid des menaces régulières reçues par les tenants de cette position ? Moue furtive. Et d’insister plutôt sur leurs efforts pour publier avec un minimum d’animaux. Sur quel sujet exactement ? Les « ganglions de la base ». Enfouis profondément sous le cortex cérébral, ce sont eux qui gèrent l’automatisation des gestes comme par exemple ceux liés à la conduite automobile. Or la chercheuse et son équipe contribuent à démontrer, dans les années 2000, que leur activité est modulée par les émotions. Autrement dit, un automobiliste confronté à une forte émotion peut brusquement devenir incapable de poursuivre sa conduite. « Parallèlement, nous avons établi un atlas des ganglions de base du cerveau humain comprenant les zones impliquées dans la gestion des émotions. Cet outil permet aujourd’hui d’implanter des électrodes dans © S. Compoint le cerveau de façon plus précise, notamment pour essayer de traiter des maladies situées aux frontières de la neurologie et de la psychiatrie… » Quant aux travaux expérimentaux sur le singe, ils se poursuivent jusqu’en 2004. Avec, en filigrane, une question précise : et si certains troubles neurologiques venaient d’un dysfonctionnement des ganglions de base ? En première année de médecine, un stage au bloc opératoire lui révèle « toute la beauté » du cerveau. JEUNESCHERCHEURS 17 Bingo ! En modifiant leur activité – via un agent pharmacologique – Carine Karachi montre chez l’animal l’apparition de troubles du comportement gestuel proches de ceux que l’on peut observer chez les humains tels que le nettoyage compulsif des doigts. Des expériences qui apportent alors un nouvel éclairage sur certaines pathologies, comme les troubles obsessionnels compulsifs (Toc). En 2005, thèse en poche, décision est prise de réorienter ses travaux vers les troubles de la marche. Objectif : soulager certains patients souffrant de maladie de Parkinson et victimes de chutes fréquentes. Pas question de quitter ses chers ganglions de la base. Soumettant une autre zone (le noyau pédonculopontin) à la stimulation profonde 2, la jeune femme obtient des résultats plus que concluants chez le singe. De quoi franchir le pas chez l’humain, et opérer d’ores et déjà deux patients dans le cadre d’un protocole de recherche en cours. « C’est un défi important en santé publique car les chutes augmentent fortement la mortalité des personnes âgées. » La sensibilité du médecin n’est jamais loin, indispensable alliée du temps passé à expliquer aux patients le pourquoi de leur maladie ou d’une intervention. Carine apprécie l’échange, à l’instar de son équipe où cliniciens, anatomistes et comportementalistes ont su tisser « des liens étroits ». De l’énergie à revendre, de la passion. Les ingrédients essentiels sont là pour mener de front cette double carrière. Sans oublier la vie familiale avec une petite fille de 10 ans, la course à pied, le théâtre, le jazz… Bref, des connexions multiples à la vie. Patricia Chairopoulos 1. Unité CNRS/Inserm/Université Paris-VI. 2. La stimulation cérébrale profonde est utilisée comme traitement dans certains cas de maladie de Parkinson. Via une sonde munie de microélectrodes, elle consiste à stimuler électriquement des structures ciblées du cerveau. CONTACT ➔ Carine Karachi carine.karachi@gmail.com Le journal du CNRS n°243 avril 2010



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