CNRS Le Journal n°242 mars 2010
CNRS Le Journal n°242 mars 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°242 de mars 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 2,9 Mo

  • Dans ce numéro : Ce que révèlent nos tabous

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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8 Mille trois cents étoiles réparties en 257 constellations. Sur un papier si délicat qu’il en est presque translucide, les treize panneaux s’étirent sur deux mètres de long, à la suite d’un traité de divination (servant à déterminer grâce à la forme des nuages la fortune de l’année à venir) d’égale longueur. Récemment, Jean-Marc Bonnet-Bidaud, au Laboratoire astrophysique interactions multiéchelles 1, a mené l’étude la plus complète jamais réalisée de ce rouleau chinois du VII e siècle 2. Oublié depuis des décennies dans les collections du British Museum, il s’avère être la plus ancienne carte complète connue du ciel. Pourtant, ce trésor a bien failli ne jamais nous parvenir. Emmuré vers l’an 1000 dans le monastère bouddhique des grottes de Mogao, dans l’oasis de Dunhuang, à l’ouest de la Chine, il n’a retrouvé la lumière qu’à la fin du XIX e siècle, alors qu’un moine ayant repris possession des lieux, découvrit par hasard la fausse cloison derrière laquelle il se trouvait avec 40 000 autres manuscrits ! Mais ce n’est qu’en 1907 que l’explorateur anglais © Photos : British Library VIEDESLABOS Actualités ASTRONOMIE Le trésor de la carte aux étoiles Une étude sur la plus ancienne carte aux étoiles connue vient de révéler que les astronomes chinois, au VII e siècle, maîtrisaient un savoir comparable à celui de leurs confrères européens du XVI e siècle. 10cm Aurel Stein réalise leur inestimable valeur. Et en emporte quelques milliers à Londres. Là, ils seront catalogués, puis partiellement oubliés. Ainsi, il ne sera fait mention de la carte, sans plus de commentaires, Le journal du CNRS n°242 mars 2010 Les trésors de Mogao se trouvaient derrière une fausse cloison. Ils ont été découverts par hasard à la fin du XIX e siècle. qu’en 1959, dans le monumental ouvrage consacré aux sciences chinoises par le sinologue Joseph Needham. « À la fin des années 1980, c’est en m’intéressant aux comptes rendus faits par les astronomes chinois de l’explosion de la supernova de 1054, les seuls à la documenter, que j’ai appris l’existence de la carte de Dunhuang, raconte Jean-Marc Bonnet-Bidaud. Et au fil des ans, j’ai fini par me persuader de sa possible importance. » Afin d’estimer la précision dont étaient capables les astronomes chinois, l’astrophysicien a ainsi comparé la position des étoiles représentées avec leur position réelle dans le ciel. L’ensemble est si précis que les erreurs constatées sont inférieures à un ou trois degrés selon l’importance des étoiles considérées. « Nous sommes parvenus à la conclusion qu’un tel résultat était le fruit de l’utilisation systématique de projections mathématiques permettant d’inscrire de façon rigoureuse une image de la sphère céleste sur le plan du papier, indique Jean-Marc Bonnet-Bidaud. L’une, dite projection cylindrique, pour les 12 panneaux du ciel découpés le long de l’équateur céleste 3. L’autre, dite projection azimutale, pour le treizième panneau, centré autour de l’étoile polaire. » De façon stupéfiante, ces outils mathématiques, semblables à ceux utilisés aujourd’hui en cartographie, n’ont été introduits en Europe occidentale qu’au XVI e siècle. Soit près de mille ans après l’établissement de l’atlas chinois ! L’astrophysicien ajoute : « Nous ne connaissons pas d’ouvrage chinois, contemporain ou antérieur à la carte de Dunhuang, décrivant les projections en question, ce qui pose question. » D’autant qu’après une minutieuse enquête, à partir notamment des caractères utilisés dans l’atlas, les scientifiques sont désormais certains de son âge. Conclusion : le rouleau de Dunhuang doit être désormais considéré comme la plus ancienne carte aux étoiles. Certes, des sources historiques évoquent la carte établie au II e siècle par l’astronome grec Ptolémée. Le monastère des grottes de Mogao, à l’ouest de la Chine, renfermait 40000 manuscrits datant d’avant l’an 1000. Parmi eux, cette carte aux étoiles du VII e siècle, accolée à un traité de divination, s’avère être la plus ancienne carte complète connue du ciel. Ou bien celle du savant chinois Chen Zhuo, au III e siècle. Mais aucune trace matérielle n’en subsiste. Quant au zodiaque égyptien de Dendérah, bas-relief daté de l’an – 50, ou bien le globe de Farnèse, statue grecque du II e siècle, ils ne représentent que les figures mythologiques associées aux constellations, sans indication de la position des étoiles. En dehors de la Chine, il faut attendre 986 pour que les cartes de l’astronome persan Al-Sufi représentent les étoiles au sein des constellations. Et encore, sans fournir leur position relative sur l’ensemble du ciel. Ce que documentera en Europe le manuscrit de Vienne seulement au milieu du XV e siècle ! Ainsi, pour Jean-Marc Bonnet-Bidaud, « alors qu’on a longtemps imaginé que la tradition astronomique s’était diffusée à partir de la Grèce et du monde méditerranéen, il n’est pas interdit de penser qu’en réalité, la source de ce savoir soit à chercher jusqu’en Chine, la carte de Dunhuang représentant un achèvement en matière de connaissances et de techniques. » Mathieu Grousson ➔ En savoir plus : http:Ilirfu.cea.fr/Sap/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php ? t=actu&i d_ast=2617 1. Unité CNRS/Université Paris-VII/CEA. 2. Publiée en 2009 dans la revue Journal of Astronomical History and Heritage. 3. L’équateur céleste est le cercle obtenu en projetant sur le ciel l’équateur terrestre. CONTACT ➔ Jean-Marc Bonnet-Bidaud Astrophysique interactions multi-échelles, Gif-sur-Yvette jean-marc.bonnet-bidaud@cea.fr
CHIMIE Le catalyseur est à l’intérieur Sur le papier, la chimie n’a pas de limite : on mélange des réactifs, on touille et on obtient un produit ! Mais à condition d’utiliser le bon catalyseur, une espèce chimique sans laquelle le milieu réactionnel reste souvent inerte. Or il n’est pas toujours évident d’extraire ce tiers une fois la synthèse réalisée. C’est le cas du palladium, un catalyseur classique de la chimie pharmaceutique. Pour simplifier la vie des chimistes, une équipe de l’Institut Charles-Gerhardt 1, à Montpellier, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut de chimie de Rennes 2, vient de proposer un nouveau procédé. « Celui-ci permet de séparer le catalyseur des produits de la réaction aussi facilement que l’on retire un sachet de thé d’une tasse », commente André Vioux. MÉDECINE La recette de ces chimistes tient dans l’élaboration de matériaux hybrides appelés ionogels. Ceux-ci consistent en un squelette de silice extrêmement aéré, évoquant une éponge nanométrique, dans lequel les chercheurs ont inséré un liquide dit ionique contenant lui-même du palladium. « Un ionogel a l’apparence d’une pastille de silice solide, explique le scientifique. Pourtant, il contient deux tiers de liquide au sein d’un réseau connecté de pores de 10 à 20 nanomètres. » Conséquences : dans un milieu réactif, les espèces chimiques pénètrent l’ionogel, la réaction se produit à leur contact avec les atomes de palladium piégés en son sein, avant que les produits n’en ressortent. Ceux-ci sont alors vierges de toute trace du catalyseur resté enchâssé dans la pastille. Mieux : la réaction est aussi efficace que lorsque le catalyseur est directement incorporé aux réactifs ! Malgré ce résultat prometteur, André Vioux reste très prudent : « Pour l’heure, nous n’avons appliqué notre procédé qu’à une seule réaction chimique. Par ailleurs, cette réaction a comme sous-produit un sel d’ammonium qui s’agrège dans l’ionogel. Certes, notre procédé permet d’extraire ce sous-produit indésirable. Mais du coup, chaque pastille ne peut être utilisée qu’une seule fois. » Cela dit, outre la catalyse, les ionogels des chimistes français, qui ont fait l’objet d’un dépôt de brevet international par le CNRS, promettent aussi d’autres applications. Ainsi, les chercheurs ont montré qu’il était possible d’y introduire un électrolyte Nouveau progrès contre la mucoviscidose Dans le long combat contre la mucoviscidose, maladie génétique affectant les voies respiratoires qui touche plus de 70 000 personnes dans le monde (6 000 en France), toute avancée, même fondamentale, est importante. C’est le cas du résultat obtenu par Isabelle Callebaut et Jean-Paul Mornon, chercheurs à l’Institut de minéralogie et de physique des milieux condensés 1, en collaboration avec Pierre Lehn de l’institut Sciences et ingénierie en biologie santé (ScinBioS) 2, à Brest et avec le soutien de l’association Vaincre la mucoviscidose : ils présentent un modèle en trois dimensions de la protéine CFTR (Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), l’une des principales responsables de la mucoviscidose 3. De fait, il suffit que cette protéine siégeant dans la membrane des cellules ait un petit défaut de structure, une micro-erreur de pliage, pour que les cellules pulmonaires ne puissent plus fluidifier correctement Détail du modèle de la protéine CFTR. C’est une mutation du gène qui code un de ses acides aminés (F508 ici au centre) qui est à l’origine de 70% des cas de mucoviscidose. le mucus des voies aériennes. Les poumons se chargent alors de sécrétions épaisses et finissent par s’obstruer. Concrètement, CFTR joue un rôle similaire à un robinet : elle contrôle l’échange d’ions chlorure entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule, lesquels ions interviennent dans le transport de l’eau et donc dans la fluidification du mucus. Cela, on le savait déjà. Mais ce qu’il y a de nouveau dans le modèle présenté par les chercheurs, c’est qu’il met en scène la protéine en situation sur la membrane d’une cellule : il montre comment l’erreur de pliage © I. Callebaut/IMPMC de CFTR met hors d’usage la fonction de robinet à chlore. « Notre modèle permet de comprendre le fonctionnement de CFTR à l’échelle moléculaire, ce qu’on ignorait jusqu’ici, explique Isabelle Callebaut. Ce résultat est le fruit d’années de travail. » En effet, pour construire leur modèle, le premier pas a consisté à trouver une sorte de moule : pour cela, il leur a fallu sélectionner des protéines bactériennes dont la structure, déjà connue, était proche de celle de CFTR. « À partir de là, nous avons pu déduire une structure tridimensionnelle générale de CFTR, VIEDESLABOS 9 liquide, tel ceux utilisés dans les piles et batteries. Ce qui pourrait résoudre le désagréable problème des batteries qui coulent. Ou bien un anti-inflammatoire, afin de le délivrer de façon contrôlée. Une chose est sûre, les ionogels commencent seulement à faire parler d’eux. L’avenir dira si leur domaine d’application est sans limite ! Mathieu Grousson 1. Unité CNRS/Université de Montpellier- II/ENSCM. 2. Unité CNRS/Université de Rennes-I/École nationale supérieure de chimie de Rennes. CONTACT ➔ André Vioux Institut Charles-Gerhardt, Montpellier vioux@univ-montp2.fr que nous avons affinée et validée en y intégrant les données expérimentales provenant notamment des patients atteints de mucoviscidose. » Un espoir supplémentaire pour le traitement contre cette pathologie ? « Un tel modèle permettrait notamment de fabriquer des molécules capables d’aider la protéine à reprendre la bonne forme. Mais, tient à préciser Isabelle Callebaut, il y a encore plusieurs étapes à franchir pour pouvoir passer d’un tel résultat à la mise au point d’un traitement effectif… » Román Ikonicoff 1. Unité CNRS/Universités Paris-VI et VII/IPG PARIS/IRD. 2. Unité CNRS/Université de Brest/Inserm/Ifremer/Eni Brest/CHU Brest/ENST Bretagne. 3. Travaux parus dans Cellular and Molecular Life Sciences. CONTACT ➔ Isabelle Callebaut Institut de minéralogie et de physique des milieux condensés (IMPMC), Parisisabelle.callebaut@impmc.jussieu.fr Le journal du CNRS n°242 mars 2010



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