8 Mille trois cents étoiles réparties en 257 constellations. Sur un papier si délicat qu’il en est presque translucide, les treize panneaux s’étirent sur deux mètres de long, à la suite d’un traité de divination (servant à déterminer grâce à la forme des nuages la fortune de l’année à venir) d’égale longueur. Récemment, Jean-Marc Bonnet-Bidaud, au Laboratoire astrophysique interactions multiéchelles 1, a mené l’étude la plus complète jamais réalisée de ce rouleau chinois du VII e siècle 2. Oublié depuis des décennies dans les collections du British Museum, il s’avère être la plus ancienne carte complète connue du ciel. Pourtant, ce trésor a bien failli ne jamais nous parvenir. Emmuré vers l’an 1000 dans le monastère bouddhique des grottes de Mogao, dans l’oasis de Dunhuang, à l’ouest de la Chine, il n’a retrouvé la lumière qu’à la fin du XIX e siècle, alors qu’un moine ayant repris possession des lieux, découvrit par hasard la fausse cloison derrière laquelle il se trouvait avec 40 000 autres manuscrits ! Mais ce n’est qu’en 1907 que l’explorateur anglais © Photos : British Library VIEDESLABOS Actualités ASTRONOMIE Le trésor de la carte aux étoiles Une étude sur la plus ancienne carte aux étoiles connue vient de révéler que les astronomes chinois, au VII e siècle, maîtrisaient un savoir comparable à celui de leurs confrères européens du XVI e siècle. 10cm Aurel Stein réalise leur inestimable valeur. Et en emporte quelques milliers à Londres. Là, ils seront catalogués, puis partiellement oubliés. Ainsi, il ne sera fait mention de la carte, sans plus de commentaires, Le journal du CNRS n°242 mars 2010 Les trésors de Mogao se trouvaient derrière une fausse cloison. Ils ont été découverts par hasard à la fin du XIX e siècle. qu’en 1959, dans le monumental ouvrage consacré aux sciences chinoises par le sinologue Joseph Needham. « À la fin des années 1980, c’est en m’intéressant aux comptes rendus faits par les astronomes chinois de l’explosion de la supernova de 1054, les seuls à la documenter, que j’ai appris l’existence de la carte de Dunhuang, raconte Jean-Marc Bonnet-Bidaud. Et au fil des ans, j’ai fini par me persuader de sa possible importance. » Afin d’estimer la précision dont étaient capables les astronomes chinois, l’astrophysicien a ainsi comparé la position des étoiles représentées avec leur position réelle dans le ciel. L’ensemble est si précis que les erreurs constatées sont inférieures à un ou trois degrés selon l’importance des étoiles considérées. « Nous sommes parvenus à la conclusion qu’un tel résultat était le fruit de l’utilisation systématique de projections mathématiques permettant d’inscrire de façon rigoureuse une image de la sphère céleste sur le plan du papier, indique Jean-Marc Bonnet-Bidaud. L’une, dite projection cylindrique, pour les 12 panneaux du ciel découpés le long de l’équateur céleste 3. L’autre, dite projection azimutale, pour le treizième panneau, centré autour de l’étoile polaire. » De façon stupéfiante, ces outils mathématiques, semblables à ceux utilisés aujourd’hui en cartographie, n’ont été introduits en Europe occidentale qu’au XVI e siècle. Soit près de mille ans après l’établissement de l’atlas chinois ! L’astrophysicien ajoute : « Nous ne connaissons pas d’ouvrage chinois, contemporain ou antérieur à la carte de Dunhuang, décrivant les projections en question, ce qui pose question. » D’autant qu’après une minutieuse enquête, à partir notamment des caractères utilisés dans l’atlas, les scientifiques sont désormais certains de son âge. Conclusion : le rouleau de Dunhuang doit être désormais considéré comme la plus ancienne carte aux étoiles. Certes, des sources historiques évoquent la carte établie au II e siècle par l’astronome grec Ptolémée. Le monastère des grottes de Mogao, à l’ouest de la Chine, renfermait 40000 manuscrits datant d’avant l’an 1000. Parmi eux, cette carte aux étoiles du VII e siècle, accolée à un traité de divination, s’avère être la plus ancienne carte complète connue du ciel. Ou bien celle du savant chinois Chen Zhuo, au III e siècle. Mais aucune trace matérielle n’en subsiste. Quant au zodiaque égyptien de Dendérah, bas-relief daté de l’an – 50, ou bien le globe de Farnèse, statue grecque du II e siècle, ils ne représentent que les figures mythologiques associées aux constellations, sans indication de la position des étoiles. En dehors de la Chine, il faut attendre 986 pour que les cartes de l’astronome persan Al-Sufi représentent les étoiles au sein des constellations. Et encore, sans fournir leur position relative sur l’ensemble du ciel. Ce que documentera en Europe le manuscrit de Vienne seulement au milieu du XV e siècle ! Ainsi, pour Jean-Marc Bonnet-Bidaud, « alors qu’on a longtemps imaginé que la tradition astronomique s’était diffusée à partir de la Grèce et du monde méditerranéen, il n’est pas interdit de penser qu’en réalité, la source de ce savoir soit à chercher jusqu’en Chine, la carte de Dunhuang représentant un achèvement en matière de connaissances et de techniques. » Mathieu Grousson ➔ En savoir plus : http:Ilirfu.cea.fr/Sap/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php ? t=actu&i d_ast=2617 1. Unité CNRS/Université Paris-VII/CEA. 2. Publiée en 2009 dans la revue Journal of Astronomical History and Heritage. 3. L’équateur céleste est le cercle obtenu en projetant sur le ciel l’équateur terrestre. CONTACT ➔ Jean-Marc Bonnet-Bidaud Astrophysique interactions multi-échelles, Gif-sur-Yvette jean-marc.bonnet-bidaud@cea.fr |