36 INSITU HISTOIRE Les manuscrits renaissent de leurs cendres Restaurer des manuscrits du Moyen Âge abîmés lors de la Seconde Guerre mondiale, telle est la délicate et capitale mission des scientifiques du projet Chartres. Chartres, 1944 : un bombardement allié frappe par erreur la bibliothèque municipale et ses 2 000 manuscrits. La moitié de ce fonds inestimable, allant des temps carolingiens à l’époque moderne, part en fumée et ce qui reste devient presque inutilisable pour les chercheurs. Comme le détaille Dominique Poirel, de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) du CNRS à Paris, « les manuscrits sauvés des flammes ont vu leur reliure détruite, ce qui a favorisé le désordre des feuillets. Beaucoup ont été partiellement détruits, surtout dans les marges où étaient tracés les numéros de feuillet. Enfin, l’action successive du feu et de l’eau des lances à incendie a engendré un processus de vitrification des parchemins, les rendant cassants et difficiles à manipuler. » Jusqu’à aujourd’hui. En effet, sur les 960 manuscrits qui avaient pu être Fragment d’un registre nécrologique de l’abbaye de Saint- Père de Chartres sauvés des flammes, le projet Chartres, financé par le très grand équipement (TGE) Adonis du CNRS, s’est donné pour objectif de restituer à la communauté scientifique les 450 spécimens datant du Moyen Âge. Pour ce faire, un programme en quatre étapes a été défini par l’IRHT, en collaboration avec le TGE Adonis, la Bibliothèque nationale de France, la bibliothèque municipale de Chartres et le ministère de la Culture et de la Communication. Tout d’abord, restaurer les manuscrits qui le nécessitent. « Il s’agit de leur redonner leur souplesse d’origine par un séjour dans une chambre d’humidification, pour les détendre et rendre accessibles des informations cachées sous les plis », explique le scientifique. Les feuillets sont ensuite photographiés à très haute résolution, pour que, dans une troisième étape, des chercheurs spécialisés les remettent en ordre et les identifient. Enfin, l’ensemble, images et données scientifiques, sera dans les prochains mois mis en ligne gratuitement dans une bibliothèque virtuelle. À ce jour, 40 manuscrits ont été numérisés et 29 autres le seront d’ici un an. « Nous avons par exemple remis la main sur un recueil du XIII e siècle, renfermant un texte rarissime d’Odon de Tournai, important pour la querelle des universaux 1, se réjouit Dominique Poirel. Ou bien sur un ouvrage unique écrit de la main même de Thierry de Chartres, qui décrit l’enseignement des arts libéraux 2 dans les écoles de Chartres. C’est là un des ouvrages les plus importants de l’histoire intellectuelle du XII e siècle ! » C’est donc avec bonheur que les médiévistes voient aujourd’hui renaître de ses cendres un fonds classé avant la guerre comme le septième en importance parmi les bibliothèques de province. « Sans compter que, ajoute le chercheur, nous espérons que le protocole de sauvegarde et de BRÈVE Ouvrage du XIII e siècle lié à la querelle des universaux et conservé à Chartres. mise à disposition d’informations élaboré dans le cadre du projet Chartres servira pour d’autres projets analogues ». Mathieu Grousson 1. Du XII e au XIV e siècle, elle opposa les philosophes : ceux pour qui les universaux ou concepts, tels la circularité ou la chevalinité (par opposition aux particuliers, tel cercle ou tel cheval), sont de pures conceptions de l’esprit, à ceux pour qui ils avaient une existence propre. 2. Les arts libéraux sont composés du trivium qui comprend la grammaire, la dialectique et la rhétorique, et du quadrivium qui comprend l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie. Accord majeur avec la Russie CONTACT ➔ Dominique Poirel Institut de recherche et d’histoire des textes, Paris dominique.poirel@irht.cnrs.fr Le CNRS vient de consolider ses liens avec la Russie grâce aux conventions signées le 21 décembre dernier à Moscou. Il s’agit de la création de six nouvelles actions structurantes ainsi que de la prolongation de quatre actions entre des équipes du CNRS et leurs partenaires en Russie pour les quatre années à venir. Pour l’Institut de chimie du CNRS, il s’agit en particulier de la création du Groupement de recherche international « Séparation nucléaire à l’avenir », qui se concentrera sur des aspects de radiochimie liés à la production d’énergie nucléaire basée sur le développement de nouvelles techniques. © Photos : CNRS- IRHT |