34 INSITU SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES Des chercheurs sous protection Fin 2009, le Fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS a remis à la direction de l’organisme une étude sur les liens entre la défense et les sciences humaines et sociales. Une relation complexe aux enjeux multiples et souvent méconnus. Géopolitique internationale, réseaux maffieux, cybercriminalité, guerre de l’information et mécanismes d’influence de l’opinion, intégrisme religieux, psychologie des individus, des foules, des terroristes… : autant de sujets à forte teneur politicomilitaire qui, s’ils intéressent au premier chef le monde de la défense, alimentent aussi les réflexions et les travaux de chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS). D’où le compagnonnage de plus en plus étroit qui unit ces deux domaines, comme l’atteste, par exemple, la collaboration nouée entre la Direction générale de l’armement (DGA) et le CNRS, la première finançant à 100% ou cofinançant bon nombre de thèses sur le thème de la défense et de la sécurité intérieure. En 2009, « sur environ 400 thésards financés par la DGA, une trentaine travaillait sur un sujet relevant spécifiquement des sciences humaines, indique Joseph Illand, Fonctionnaire de sécurité de défense (FSD) du CNRS depuis 2003 et auteur du rapport Sciences humaines et sociales et protection du patrimoine scientifique rédigé fin 2009 à l’attention de la direction du CNRS et de l’Institut des sciences humaines et sociales. Par ailleurs, on retrouve des chercheurs en SHS dans les comités d’orientation d’organismes dépendant du ministère de la Défense ou de l’Intérieur (Institut des hautes études de défense nationale, Centre des hautes études de l’armement, etc.). Qu’ils soient politologues, sociologues, criminologues… ces scientifiques exercent aussi leur expertise auprès d’organisations privées, de grands groupes industriels, de réseaux d’influence…, sans oublier les consultances occasionnelles ou régulières demandées par des gouvernements étrangers, en raison de leur connaissance du terrain ». Le journal du CNRS n°242 mars 2010 © Nabil al-Jurani/AP/SIPA Autre facette du couple SHS-Défense : les menaces auxquelles peuvent être exposés les chercheurs du CNRS comme ceux d’autres organismes de recherche, que ces atteintes soient liées directement à leur sujet d’études, à la vulnérabilité des systèmes d’information qu’ils utilisent ou aux pays dans lesquels ils se rendent en mission. Exemple : l’affaire survenue fin 2009 et impliquant un chercheur en sciences sociales travaillant sur la criminalité, la police, la justice et le pouvoir d’un pays… complexe en la matière. Cet agent « s’est fait voler, dans ce pays, son ordinateur portable qui contenait la totalité des données qu’il avait recueillies depuis plusieurs années, sa boîte mail et de multiples informations à caractère personnel et familial, ainsi que d’autres pièces compromettantes (agenda, carnet d’adresses, notes de terrain…), explique Joseph Illand. Cette perte a mis dramatiquement en péril sa sécurité personnelle et celle de ses contacts, ce qu’aurait pu déjà limiter un chiffrement solide de son portable, par exemple ». Parfois négligents vis-à-vis des contraintes de sécurité, nos chercheurs en SHS ? « Trop souvent même », répond le même expert. Contrairement à leurs collègues des sciences dures, « ils sont en général peu sensibles aux notions de sécurité, même lorsqu’ils travaillent eux-mêmes sur les menaces ! Ils sous-estiment en particulier l’impact de l’utilisation mal maîtrisée de l’outil informatique, les risques de volatilité et de compromission de données sensibles, leur devoir de protection de ces données, sans oublier l’effet Internet qui fait fi du débat privé et où le droit à l’oubli n’existe pas ». Et de citer l’exemple du mail « coup de gueule » expédié en 2007 par un agent du CNRS en poste dans un pays où les intérêts de la France peuvent être sujets à remise en cause. Ce libelle incendiaire pourfendant la « dictature » du régime en question et transmis en La Ziggurat d’Ur, un édifice construit il y a 4000 ans et situé à 300 km de Bagdad (Irak). Les missions dans certains pays exigent d’importantes précautions. |