32 INSITU ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE Sous les chantiers, l’histoire Face à la multiplication des travaux d’aménagement du territoire, la France tente de préserver son patrimoine. Jean-Paul Jacob 1, président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) 2, explique le rôle joué par l’archéologie préventive dans ce sauvetage et la manière dont le CNRS y participe. Depuis près de trente ans, l’archéologie préventive représente 90% des fouilles en France. Mais qu’entend-on exactement par ce terme ? Jean-Paul Jacob : Cette discipline scientifique intervient lorsque des travaux de constructions d’usines, de logements ou de tracés autoroutiers, fluviaux ou ferroviaires sont programmés sur le territoire. En effet, depuis la loi de 2001, l’État peut faire diagnostiquer (avec des sondages et des études d’archives) et si besoin fouiller, aux frais des aménageurs, les sites avant le début du chantier. La mission de l’archéologie préventive n’est pas de purger les terrains pour les rendre rapidement aux aménageurs mais de sauver de la destruction des vestiges contenus dans le soussol depuis les premières traces de présence humaine jusqu’à nos jours. En France, lorsque l’on sonde un tracé autoroutier, on trouve en moyenne au moins un site archéologique par kilomètre. Or, chaque année, 700 km 2 sont terrassés pour aménager le territoire, dont 20% environ sont sondés. Imaginez le nombre de sites découverts ! En 2009, on a mis au jour un ensemble de fermes du Néolithique sur le canal Seine-Nord Europe 3, une villa et un mausolée antique à Carcassonne… Pour ne prendre que deux exemples. Chaque année, près de 2000 sites sont diagnostiqués et environ 300 sites font l’objet de fouilles et sont ainsi sauvegardés par l’étude (photos, relevés, plans, prélèvement du mobilier archéologique…). Si l’archéologie préventive fouille, découvre des vestiges, compare et analyse, quelles différences y a-t-il avec l’archéologie « classique » ou programmée ? J.-P. J. : Financée par les aménageurs, l’archéologie préventive offre la possibilité d’explorer d’importantes surfaces en un minimum de temps. La plus grande surface jamais étudiée en Europe concerne les diagnostics du canal Seine-Nord Europe. Ce chantier de 2500 hectares a été lancé fin 2008. De plus, l’utilisation d’engins (pelles mécaniques…) ou de tamis électriques, en complément des outils traditionnels, permet à la fois de descendre jusqu’à 14 mètres de profondeur et de gagner en vitesse d’exécution. Sans jamais négliger l’exigence scientifique, les archéologues doivent être rapides et efficaces. En cela, l’archéologie préventive se distingue de Le journal du CNRS n°242 mars 2010 l’archéologie programmée, mais elle accumule, comme elle, de la documentation sur des sites, la restitue aux chercheurs et au public (séminaires, colloques, publications scientifiques et ouvrages grand public). Les deux types d’archéologie se complètent, leurs méthodes s’enrichissent mutuellement pour donner naissance à une seule science dont l’objectif est la connaissance du passé. En couplant ces deux pratiques, des pans entiers de l’histoire de la France (et des DOM) ont été réécrits. Justement, quels sont les apports de l’archéologie préventive ? J.-P. J. : Ils sont nombreux, car elle a un caractère aléatoire. Le fait d’analyser un terrain parce que des travaux d’aménagement doivent y être réalisés permet aux archéologues de déceler des sites insoupçonnés. On a ainsi pu faire des découvertes extraordinaires ! Un 1 exemple : dans les années 1990, à Hyères dans le Var, on a mis au jour des tombes romaines du III e siècle de notre ère. À l’intérieur de l’une d’elles, on a trouvé une femme enceinte dont les ossements et ceux du fœtus présentaient des déformations curieuses. Après analyses, des traces de syphilis ont été révélées alors que l’on pensait que l’apparition de la maladie en Europe remontait à 1492, la tradition voulant que les marins de Christophe Colombl’aient rapportée d’Amérique. L’archéologue ne cherche plus des chefsd’œuvre mais récolte aussi des indices tels que des coquillages microscopiques, pollens, graines, plantes, ossements ou tessons. Ces indices apporteront de précieuses réponses sur les sociétés qui ont successivement occupé le territoire français. Pourquoi la France a-t-elle mis autant de temps à s’intéresser à l’archéologie préventive alors que des pays comme l’Italie, le Royaume-Uni ou le Japon avaient pris conscience de son intérêt depuis longtemps ? J.-P. J. : Des raisons historiques peuvent expliquer ce retard. En France, depuis le XVI e siècle, les référents culturels des élites se trouvent à Rome, en Grèce et au Proche-Orient. C’est pourquoi l’essentiel des fouilles pratiquées sur le territoire national a été laissé à des archéologues amateurs qui n’avaient aucun moyen juridique pour éviter le saccage du patrimoine, et peu de moyens financiers. Les destructions se sont amplifiées pendant les Trente Glorieuses avec l’accélération de l’aménagement du territoire, la transformation des techniques de construction, et l’expansion urbaine. Ce n’est que vers la fin des années 1970 qu’une prise de conscience s’est produite. Progressivement, avec la professionnalisation de l’archéologie française, les rapports de force avec les aménageurs se sont modifiés. Sous peine d’infraction au Code pénal 4, ils ont dû accepter de participer, comme en Italie ou en Suisse, au coût des fouilles préalables aux chantiers et de les intégrer dans le calendrier © V. Bourdon/Inrap © D. Gliksman/INRAP |