CNRS Le Journal n°242 mars 2010
CNRS Le Journal n°242 mars 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°242 de mars 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 2,9 Mo

  • Dans ce numéro : Ce que révèlent nos tabous

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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32 INSITU ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE Sous les chantiers, l’histoire Face à la multiplication des travaux d’aménagement du territoire, la France tente de préserver son patrimoine. Jean-Paul Jacob 1, président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) 2, explique le rôle joué par l’archéologie préventive dans ce sauvetage et la manière dont le CNRS y participe. Depuis près de trente ans, l’archéologie préventive représente 90% des fouilles en France. Mais qu’entend-on exactement par ce terme ? Jean-Paul Jacob : Cette discipline scientifique intervient lorsque des travaux de constructions d’usines, de logements ou de tracés autoroutiers, fluviaux ou ferroviaires sont programmés sur le territoire. En effet, depuis la loi de 2001, l’État peut faire diagnostiquer (avec des sondages et des études d’archives) et si besoin fouiller, aux frais des aménageurs, les sites avant le début du chantier. La mission de l’archéologie préventive n’est pas de purger les terrains pour les rendre rapidement aux aménageurs mais de sauver de la destruction des vestiges contenus dans le soussol depuis les premières traces de présence humaine jusqu’à nos jours. En France, lorsque l’on sonde un tracé autoroutier, on trouve en moyenne au moins un site archéologique par kilomètre. Or, chaque année, 700 km 2 sont terrassés pour aménager le territoire, dont 20% environ sont sondés. Imaginez le nombre de sites découverts ! En 2009, on a mis au jour un ensemble de fermes du Néolithique sur le canal Seine-Nord Europe 3, une villa et un mausolée antique à Carcassonne… Pour ne prendre que deux exemples. Chaque année, près de 2000 sites sont diagnostiqués et environ 300 sites font l’objet de fouilles et sont ainsi sauvegardés par l’étude (photos, relevés, plans, prélèvement du mobilier archéologique…). Si l’archéologie préventive fouille, découvre des vestiges, compare et analyse, quelles différences y a-t-il avec l’archéologie « classique » ou programmée ? J.-P. J. : Financée par les aménageurs, l’archéologie préventive offre la possibilité d’explorer d’importantes surfaces en un minimum de temps. La plus grande surface jamais étudiée en Europe concerne les diagnostics du canal Seine-Nord Europe. Ce chantier de 2500 hectares a été lancé fin 2008. De plus, l’utilisation d’engins (pelles mécaniques…) ou de tamis électriques, en complément des outils traditionnels, permet à la fois de descendre jusqu’à 14 mètres de profondeur et de gagner en vitesse d’exécution. Sans jamais négliger l’exigence scientifique, les archéologues doivent être rapides et efficaces. En cela, l’archéologie préventive se distingue de Le journal du CNRS n°242 mars 2010 l’archéologie programmée, mais elle accumule, comme elle, de la documentation sur des sites, la restitue aux chercheurs et au public (séminaires, colloques, publications scientifiques et ouvrages grand public). Les deux types d’archéologie se complètent, leurs méthodes s’enrichissent mutuellement pour donner naissance à une seule science dont l’objectif est la connaissance du passé. En couplant ces deux pratiques, des pans entiers de l’histoire de la France (et des DOM) ont été réécrits. Justement, quels sont les apports de l’archéologie préventive ? J.-P. J. : Ils sont nombreux, car elle a un caractère aléatoire. Le fait d’analyser un terrain parce que des travaux d’aménagement doivent y être réalisés permet aux archéologues de déceler des sites insoupçonnés. On a ainsi pu faire des découvertes extraordinaires ! Un 1 exemple : dans les années 1990, à Hyères dans le Var, on a mis au jour des tombes romaines du III e siècle de notre ère. À l’intérieur de l’une d’elles, on a trouvé une femme enceinte dont les ossements et ceux du fœtus présentaient des déformations curieuses. Après analyses, des traces de syphilis ont été révélées alors que l’on pensait que l’apparition de la maladie en Europe remontait à 1492, la tradition voulant que les marins de Christophe Colombl’aient rapportée d’Amérique. L’archéologue ne cherche plus des chefsd’œuvre mais récolte aussi des indices tels que des coquillages microscopiques, pollens, graines, plantes, ossements ou tessons. Ces indices apporteront de précieuses réponses sur les sociétés qui ont successivement occupé le territoire français. Pourquoi la France a-t-elle mis autant de temps à s’intéresser à l’archéologie préventive alors que des pays comme l’Italie, le Royaume-Uni ou le Japon avaient pris conscience de son intérêt depuis longtemps ? J.-P. J. : Des raisons historiques peuvent expliquer ce retard. En France, depuis le XVI e siècle, les référents culturels des élites se trouvent à Rome, en Grèce et au Proche-Orient. C’est pourquoi l’essentiel des fouilles pratiquées sur le territoire national a été laissé à des archéologues amateurs qui n’avaient aucun moyen juridique pour éviter le saccage du patrimoine, et peu de moyens financiers. Les destructions se sont amplifiées pendant les Trente Glorieuses avec l’accélération de l’aménagement du territoire, la transformation des techniques de construction, et l’expansion urbaine. Ce n’est que vers la fin des années 1970 qu’une prise de conscience s’est produite. Progressivement, avec la professionnalisation de l’archéologie française, les rapports de force avec les aménageurs se sont modifiés. Sous peine d’infraction au Code pénal 4, ils ont dû accepter de participer, comme en Italie ou en Suisse, au coût des fouilles préalables aux chantiers et de les intégrer dans le calendrier © V. Bourdon/Inrap © D. Gliksman/INRAP
des travaux. Aujourd’hui, l’archéologie préventive française compte plus de 3 000 archéologues professionnels contre 600 au début des années 1970. Au-delà des compétences de terrain, l’archéologie requiert l’indispensable collaboration d’une myriade de spécialistes dont une grande partie vient du CNRS. Quels sont précisément les liens entre l’archéologie préventive et le CNRS ? J.-P. J. : Plus de 200 archéologues de l’Inrap font partie d’une vingtaine d’unités CNRS. Dans ce cadre, de très nombreux chercheurs du CNRS collaborent à l’exploitation pluridisciplinaire des résultats des fouilles de l’Inrap. Outre les spécialistes d’une période ou d’une région, l’Inrap travaille avec des chercheurs en sciences de la terre et de la nature comme les dendrologues, qui datent des objets en bois par l’étude des cernes des arbres, ou les spécialistes de paléoenvironnement qui étudient le climat et le couvert végétal depuis des périodes très anciennes. Ces analyses à grande échelle apportent aux chercheurs des données irremplaçables sur l’histoire de notre planète. On a ainsi pu découvrir lors du colloque « Des climats et des 2 3 © D. Gliksman/INRAP 1. Crypte du mausolée en cours de dégagement sur le site de Carcassonne. 2. Diagnostic de l’Inrap sur le site canal Seine- Nord Europe. 3. Bâtiments des sœurs carmélites en cours de fouille à Metz en Moselle. BRÈVE ©L. de Cargouët/INRAP INSITU hommes », organisé par l’Inrap, la Cité des sciences et Météo-France en novembre dernier, les résultats d’une équipe du centre d’études Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge 5 sur la fin de l’ère glaciaire dans les Alpes du Sud. Ces collaborations sont donc nombreuses, mais il faut encore les développer et multiplier les échanges de chercheurs entre le CNRS et l’Inrap. Propos recueillis par Géraldine Véron 1. Docteur d’État, conservateur général du patrimoine, membre de la commission nationale des monuments historiques, Jean-Paul Jacob a été chercheur en archéologie galloromaine au CNRS. 2. Créé en 2003 et placé sous la tutelle des ministères de la Culture et de la Recherche, l’Inrap compte 1 750 archéologues et disposait en 2009 d’un budget de 160 millions d’euros. 3. Ce grand projet a pour objectif de réaliser la liaison fluviale entre le grand Bassin parisien et le Nord-Pas-de- Calais. 4. Depuis 1995, le Code pénal (article 322-2) punit la destruction, la dégradation ou la détérioration d’une découverte archéologique faite au cours de fouilles ou fortuitement, et celle d’un terrain contenant des vestiges archéologiques. 5. Unité CNRS/UNSA. ➔ Pour plus d’informations : www.inrap.fr ➔ À lire : La Fabrique de l’archéologie en France, Jean-Paul Demoule et Christian Landes (dir.), éd. La Découverte/Inrap, Paris, 2009. L’Archéologie préventive dans le monde. Apports de l’archéologie préventive à la connaissance du passé, sous la direction de Jean- Paul Demoule, éd. La Découverte/Inrap, Paris, 2007. Mission à Haïti CONTACT ➔ Jean-Paul Jacob Institut national de recherches archéologiques préventives, Paris jean-paul.jacob@inrap.fr Après l’horreur du séisme qui a touché Haïti le 12 janvier dernier, plusieurs laboratoires français, dont certains liés au CNRS, ont mis en place la campagne océanographique Haïti-obs afin d’enregistrer les répliques qui continuent de se produire. Pour cela, 21 sismomètres ont été déployés sur le fond de la mer. Et la cartographie du prolongement en mer de la faille responsable du tremblement de terre sera également réalisée. Décidée à la suite de l’expertise de la cellule d’intervention de l’Institut national des sciences de l’Univers (Insu) du CNRS, cette mission se déroulera à bord de l’Atalante, navire océanographique de l’Ifremer. Elle aidera à mieux évaluer les risques de la région et à comprendre les mécanismes à l’origine des tremblements de terre. > www2.cnrs.fr/presse/communique/1790.htm Le journal du CNRS n°242 mars 2010 33



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