CNRS Le Journal n°242 mars 2010
CNRS Le Journal n°242 mars 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°242 de mars 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 2,9 Mo

  • Dans ce numéro : Ce que révèlent nos tabous

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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24 > L’ENQUÊTE L’ESSOR DU NOYAU MONOGAME Un homme et une femme. En Occident, la monogamie a la dent dure. À tel point que la polygamie y est en général prohibée. Pourquoi un tel rejet, alors que de nombreuses sociétés, notamment en Afrique, pratiquent la polyginie, quand un homme épouse plusieurs femmes, et beaucoup plus rarement – au Tibet ou en Océanie par exemple – la polyandrie, quand une femme est liée à plusieurs hommes ? D’abord parce que la polygamie est jugée par beaucoup incompatible avec le principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Mais aussi – et surtout ? – pour des raisons historiques. Le poids de la tradition, en somme. Le christianisme a joué un rôle important dans l’avènement de la monogamie dans nos pays : à partir du IV e siècle après Jésus-Christ, il prône l’union d’un homme et d’une femme. Mais il ne fait que renforcer une vision du couple monogame et nucléaire, valorisée dès le II e siècle dans la Rome païenne. À cette époque, l’installation du couple marié dans sa propre maison devient à la mode. La vie sexuelle, dont l’organisation sociale constitue la base de l’espèce humaine (lire p. 19), est alors restreinte au couple. Un changement de mœurs en adéquation La polygamie est autorisée dans divers pays. Ici, un chef de village camerounais pose avec ses dix-neuf femmes. Les Mormons autorisent la polygamie. Ici un père, ses trois épouses et ses 19 enfants. avec le stoïcisme dont Rome est alors empreinte : cette philosophie met en valeur les liens familiaux, le contrôle de soi-même et de sa sexualité. Et si la valorisation du lien entre le couple, l’amour et les enfants date du II e siècle, la monogamie était déjà de rigueur depuis la République romaine par exemple. La monogamie, une histoire ancienne qui tend à se diffuser avec l’expansion des valeurs occidentales. Ainsi le modèle monogame se consolide, en particulier dans les sociétés industrielles et postindustrielles. ■ Mathieu Hautemulle 1. Unité CNRS/Collège de France/EHESS. 2. Unité CNRS/EHESS. 3. CNRS/Univ. Paris-1/Univ. de Provence/EPHE. 4. Unité CNRS/EHESS/Université de Provence. CONTACTS ➔ Laurent Barry, barry@ehess.fr ➔ Maurice Godelier, godelier@ehess.fr ➔ Martine Gross, gross@ehess.fr ➔ Christine Henry, henry.christ@orange.fr Le journal du CNRS n°242 mars 2010 © S. Gladieu/Getty Images © E. Travers/GAMMA LA FOLIE MISE AU BANC « Si le fou déroge aux convenances sociales, s’il ne sait pas gérer les distances avec les autres, alors il n’y a plus de rôle social à lui offrir et on l’enferme. » Samuel Lézé, anthropologue des politiques de santé mentale à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux – Sciences sociales, politique, santé (Iris) 1 résume ainsi le sort des personnes souffrant de graves troubles psychiatriques. Une folie qu’on cache mais qui nous est intime et familière car constituante de notre humanité. « Être confronté à un individu fou nous rappelle notre propre précarité. Et cela nous dérange », assure Samuel Lézé. Mais basculer de l’autre côté du miroir serait-il si simple ? Nos sociétés occidentales, individualistes et capitalistes, produiraient-elles davantage de fous que les autres, comme on aime à le penser ? « Non, répond le chercheur. Cette approche vient d’une thèse réactionnaire qui opposa longtemps l’idée de communautés exotiques, solidaires et thérapeutiques protégeant mieux leurs membres, à nos sociétés des individus, urbanisées et industrialisées, qui fabriqueraient des dépressifs. » En réalité, toutes les sociétés produisent de la folie. Et toutes tendent à s’appuyer sur la solidarité familiale pour la gérer, même les plus médicalisées. Tout comme certaines sociétés « exotiques » pratiquent l’exclusion vis-à-vis de leurs fous. « Le fait de vivre dans une communauté ne protège pas plus de la folie », insiste Samuel Lézé. En revanche, certains environnements, comme la rue, la prison ou encore certaines entreprises, sont plus propices que d’autres à une fragilisation, une « décompensation
L’actuelle hypermédicalisation n’y fait rien. La maladie nous prend toujours autant à la gorge. Angoisse légitime de la diminution et de la dépendance. Mais motus… le sujet est tabou dans un monde où le corps – indispensable reflet du succès personnel – ne doit en aucun cas trahir ni son âge véritable ni ses faiblesses. « Paradoxalement, si on accepte moins la souffrance, c’est parce qu’on la maîtrise mieux, avance Sylvie Fainzang, anthropologue au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (Cermes) 1. Ce n’est pas un interdit, mais plutôt une gêne à en parler librement. » Pourquoi ? « Parce que la maladie est une épreuve qui bouleverse entièrement la vie du malade, l’organisation de son quotidien, l’image qu’il a de lui et sa conception de l’existence, analyse Céline Lefève, du Laboratoire de philosophie et d’histoire des sciences 2. Dans ce contexte personnel déjà difficile, le fait de s’ouvrir aux autres sur sa maladie comporte des risques de discrimination, dans un monde social © The Bridgeman Art Library La loi du silence © Chassenet/BSIP et professionnel où prévalent des normes de performance et d’autonomie. » Et ce n’est pas une spécificité occidentale. Les vieux clichés sur les sociétés traditionnelles plus solidaires pour leurs malades ont aussi fait long feu. Qu’il s’agisse de psychiatrique » des individus même sains d’esprit. Or justement, « depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on note un retrait progressif de l’intérêt pour la folie, explique Samuel Lézé. Et on voit se développer un double mouvement de criminalisation et de précarisation de la folie sur le modèle des États-Unis et du Canada. » Depuis 30 ans leurs statistiques montrent une augmentation constante du nombre de détenus et de SDF malades mentaux. « C’est inquiétant. Car dans ce miroir sociétal outre-Atlantique se reflète généralement notre propre futur. » C.L. 1. Unité CNRS/Inserm/EHESS/Univ.Paris-XIII. Contact : Samuel Lezé, sleze@ens.fr Aliéné dans une litière en rotation. Inspiré du Traité sur l’aliénation de J. Guispain, 1826. L’ENQUÊTE 25 sociétés individualistes comme la nôtre ou de sociétés collectivistes comme les tribus africaines, l’individu souffrant est le plus souvent isolé, dépendant, exclu de son travail et parfois mis au ban de la vie normale. « Chez les Bissa du Burkina Faso, il perd même son nom, rappelle Sylvie Fainzang. On l’appelle « le malade ». Il est évincé de la société, des alliances, des relations sociales (mais pas forcément familiales), des rituels collectifs, jusqu’à sa guérison. » Dans ces communautés, la prise en charge est certes plus collective, mais elle est « surtout le fait des proches », tempère Yannick Jaffré, directeur de recherche CNRS au laboratoire Anthropologie bioculturelle 3. Et si la famille est si impliquée dans la guérison, ce n’est pas par charité, mais parce que le malade représente un fardeau et que de fortes suspicions pèsent sur l’avènement de ses symptômes au sein du clan : Considéré comme un danger pour autrui, même s’il n’est pas contagieux, le malade peut subir discriminations et isolement. punition des ancêtres ou des puissances surnaturelles ? Châtiment contre le malade lui-même ou, par ricochet, contre un membre de sa famille ? « Chez les Bissa du Burkina Faso, la maladie est perçue comme une sanction, ou comme un acte de vengeance de la part d’un tiers, décrypte Sylvie Fainzang. Du coup, il n’y a pas que le corps malade qui doit subir le rituel réparateur, mais toute sa famille. » LA CRAINTE DE L’EXCLUSION À l’inverse, dans nos sociétés occidentales, la maladie incombe moins aux familles qu’à l’hôpital public. Mais sans sorcellerie ou rituel réparateur collectif, y a-t-il une réinsertion, une rémission sociale possible dans le regard des autres ? « Même quand le risque de transmission est faible, un malade peut être considéré à tort comme potentiellement dangereux, explique Yannick Jaffré. Sa présence nous rappelle qu’on peut nous-même développer un jour des symptômes. L’horizon de notre mort est sans cesse rappelé par la maladie de l’autre. » Impossible alors de construire du lien social > Le journal du CNRS n°242 mars 2010



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