24 > L’ENQUÊTE L’ESSOR DU NOYAU MONOGAME Un homme et une femme. En Occident, la monogamie a la dent dure. À tel point que la polygamie y est en général prohibée. Pourquoi un tel rejet, alors que de nombreuses sociétés, notamment en Afrique, pratiquent la polyginie, quand un homme épouse plusieurs femmes, et beaucoup plus rarement – au Tibet ou en Océanie par exemple – la polyandrie, quand une femme est liée à plusieurs hommes ? D’abord parce que la polygamie est jugée par beaucoup incompatible avec le principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Mais aussi – et surtout ? – pour des raisons historiques. Le poids de la tradition, en somme. Le christianisme a joué un rôle important dans l’avènement de la monogamie dans nos pays : à partir du IV e siècle après Jésus-Christ, il prône l’union d’un homme et d’une femme. Mais il ne fait que renforcer une vision du couple monogame et nucléaire, valorisée dès le II e siècle dans la Rome païenne. À cette époque, l’installation du couple marié dans sa propre maison devient à la mode. La vie sexuelle, dont l’organisation sociale constitue la base de l’espèce humaine (lire p. 19), est alors restreinte au couple. Un changement de mœurs en adéquation La polygamie est autorisée dans divers pays. Ici, un chef de village camerounais pose avec ses dix-neuf femmes. Les Mormons autorisent la polygamie. Ici un père, ses trois épouses et ses 19 enfants. avec le stoïcisme dont Rome est alors empreinte : cette philosophie met en valeur les liens familiaux, le contrôle de soi-même et de sa sexualité. Et si la valorisation du lien entre le couple, l’amour et les enfants date du II e siècle, la monogamie était déjà de rigueur depuis la République romaine par exemple. La monogamie, une histoire ancienne qui tend à se diffuser avec l’expansion des valeurs occidentales. Ainsi le modèle monogame se consolide, en particulier dans les sociétés industrielles et postindustrielles. ■ Mathieu Hautemulle 1. Unité CNRS/Collège de France/EHESS. 2. Unité CNRS/EHESS. 3. CNRS/Univ. Paris-1/Univ. de Provence/EPHE. 4. Unité CNRS/EHESS/Université de Provence. CONTACTS ➔ Laurent Barry, barry@ehess.fr ➔ Maurice Godelier, godelier@ehess.fr ➔ Martine Gross, gross@ehess.fr ➔ Christine Henry, henry.christ@orange.fr Le journal du CNRS n°242 mars 2010 © S. Gladieu/Getty Images © E. Travers/GAMMA LA FOLIE MISE AU BANC « Si le fou déroge aux convenances sociales, s’il ne sait pas gérer les distances avec les autres, alors il n’y a plus de rôle social à lui offrir et on l’enferme. » Samuel Lézé, anthropologue des politiques de santé mentale à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux – Sciences sociales, politique, santé (Iris) 1 résume ainsi le sort des personnes souffrant de graves troubles psychiatriques. Une folie qu’on cache mais qui nous est intime et familière car constituante de notre humanité. « Être confronté à un individu fou nous rappelle notre propre précarité. Et cela nous dérange », assure Samuel Lézé. Mais basculer de l’autre côté du miroir serait-il si simple ? Nos sociétés occidentales, individualistes et capitalistes, produiraient-elles davantage de fous que les autres, comme on aime à le penser ? « Non, répond le chercheur. Cette approche vient d’une thèse réactionnaire qui opposa longtemps l’idée de communautés exotiques, solidaires et thérapeutiques protégeant mieux leurs membres, à nos sociétés des individus, urbanisées et industrialisées, qui fabriqueraient des dépressifs. » En réalité, toutes les sociétés produisent de la folie. Et toutes tendent à s’appuyer sur la solidarité familiale pour la gérer, même les plus médicalisées. Tout comme certaines sociétés « exotiques » pratiquent l’exclusion vis-à-vis de leurs fous. « Le fait de vivre dans une communauté ne protège pas plus de la folie », insiste Samuel Lézé. En revanche, certains environnements, comme la rue, la prison ou encore certaines entreprises, sont plus propices que d’autres à une fragilisation, une « décompensation |