22 > ©.l Giannoni et S. Bourget L’ENQUÊTE EXPOSITION DIVINE ORGIE Là une femme pratiquant une fellation, ici un squelette se masturbant, là encore un homme sodomisant une femme-animal. Les céramiques présentées par le musée du quai Branly dans l’exposition « Sexe, mort et sacrifice dans la religion Mochica » pourraient facilement heurter notre pudeur occidentale. Mais ne nous fions pas aux apparences, il ne s’agit pas de pornographie. « L’imagerie sexuelle des Mochica – dont la civilisation s’est épanouie sur la côte nord du Pérou entre le I er et le VIII e siècle de notre ère – était en fait une vaste métaphore religieuse, explique Anne- Christine Taylor, directrice du département recherche du musée et conseillère scientifique de l’exposition. Il s’agissait d’un code figurant les échanges entre tous les habitants du cosmos, humains ou divins, et non pas d’une description du sexe que pratiquaient les Mochica au quotidien. » Pour preuve : tous ces objets ont été mis au jour dans des tombes et mettent principalement en scène des actes sexuels entre des humains et des êtres surnaturels. L’archéologue canadien SteveBourget, commissaire de l’exposition, a étudié toutes ces céramiques d’une qualité exceptionnelle et très bien conservées. Il en a fourni une interprétation détaillée. La perpétuation du pouvoir s’avérait très importante pour les Mochica. Lorsque le seigneur décédait, il entamait un voyage dans l’au-delà, ponctué de transformations que les représentations sexuelles symbolisent. D’abord un séjour dans le monde des morts, figuré par des actes non reproducteurs comme la masturbation, la fellation ou la sodomie, avec des êtres squelettes ou des êtres animaux. Puis le passage dans le monde des ancêtres, où le seigneur récupérait son pouvoir. Une régénération symbolisée par des actes sexuels procréatifs, notamment des coïts vaginaux entre des femmes et « Visage ridé », l’être surnaturel régnant sur le monde des ancêtres. Ce n’est qu’après ce cycle funéraire que le nouveau seigneur pouvait prendre le pouvoir. « Cette interprétation religieuse des céramiques a permis de les voir autrement et de les présenter au public », indique Anne-Christine Taylor. Car pendant des années, elles furent reléguées aux « enfers » des musées, là où sont stockées les pièces jugées trop scandaleuses. Reste cependant une inconnue : personne ne sait jusqu’à quel point ces actes sexuels étaient mis en pratique lors des rituels funéraires. F. D. ➔ « Sexe, mort et sacrifice dans la religion Mochica », du 16 mars au 30 mai 2010, musée du quai Branly, Paris. www.quaibranly.fr Le journal du CNRS n°242 mars 2010 Céramique mochica symbolisant le passage dans le monde des morts. © Musée du quai Branly Modèles en tout genre Sur la photo, posent le père, la mère et les enfants. Une gentille petite famille banale, comme on la connaît en Europe et dans le reste du monde occidental. Bien ancré dans nos représentations, ce modèle, dit nucléaire, n’a pourtant rien de naturel ni d’unique, comme ne cessent de le montrer les travaux des anthropologues. Les 10 000 sociétés qui peuplent la Terre ont en effet construit des structures familiales et des structures de parenté différentes, avec parfois des similitudes. « L’important, ce n’est pas le nombre de sociétés qui pratiquent tel ou tel modèle », indique Laurent Barry, ethnologue au Laboratoire d’anthropologie sociale 1, « mais que l’homme ait pu les inventer ou non ». Voici un petit tour du monde des variations sur ce thème universel, ou comment les anthropologues font éclater nos codes familiaux. En Égypte antique, le mariage entre membres de la même famille était autorisé, imitant ainsi le mythe d’Osiris et d’Isis. L’INCESTE, TABOU UNIVERSEL « L’amour que nous ne ferons jamais ensemble est le plus beau, le plus violent, le plus pur, le plus enivrant », chantaient Serge Gainsbourg et sa fille Charlotte dans Lemon incest, scandale de l’année 1985. L’inceste, relation sexuelle entre membres de la même famille, fait en effet l’objet d’un interdit quasi-universel. Les exceptions sont rares. En Iran, jusqu’au VII e siècle, on considé- |