20 © Moodboard/Corbis > L’ENQUÊTE jusque récemment, la pudeur est là. C’est pourquoi, même si le sexe était montré, suprême obscénité à nos yeux d’occidentaux, la manière de s’asseoir, de se présenter devant autrui, faisait de toute façon toujours l’objet d’une extrême attention. Secundo : nous ne nous accouplons pas ordinairement en public, comme les chiens, en pleine rue et sans états d’âme ; ou pour un oui, pour un non, avec le ou la première venue, comme les singes bonobos à la vie sexuelle aussi intense que débridée. DE L’INSTINCT AU DÉSIR Pourquoi les humains ont-ils eu ainsi besoin de contrôler et d’organiser leur sexualité ? « Parce que quelque chose a transformé radicalement notre rapport au sexe comparé aux autres espèces », reprend Marie-Élisabeth Handman, « c’est la perte de l’œstrus chez la femme », à un moment de l’évolution qui n’est pas daté par les paléontologues. L’œstrus, c’est cette période dite de chaleurs, durant laquelle une femelle mammifère est fécondable et recherche clairement l’accouplement en vue de la reproduction. Qu’elle Le journal du CNRS n°242 mars 2010 Chez les Inuit, la tradition autorise l’époux à prêter sa femme à un hôte de passage. © K. Su/CORBIS creuse son dos, comme chez les félins, ou que ses fesses rougissent, comme chez les singes, c’est donc madame qui En Chine, les femmes Na accueillent tous les hommes qu’elles souhaitent durant la nuit. © The Bridgeman Art Library Détail du Jardin des délices, peint par Jérôme Bosch entre 1503 et 1504. donne le signal à monsieur, pas libidineux pour deux sous, mais plutôt tout entier guidé par son instinct de mâle reproducteur. Et chez nous ? Tout se complique. En l’absence de période de rut et des signaux clairs qui l’accompagnent, la sexualité n’est plus soumise aux rythmes saisonniers de la nature. Et les femmes deviennent « disponibles » en permanence. Ajoutons à cela une vertigineuse augmentation du volume du cortex cérébral comparé à nos ancêtres poilus, et voilà que, grâce au « centre du langage et de l’expression des sentiments, une partie de l’instinct se change en désir », poursuit l’anthropologue qui travaille depuis vingt-cinq ans sur les rapports sociaux de sexe. Une troublante scission apparaît alors entre la sexualité-désir et la sexualité-reproduction. « Comme l’a montré Maurice Godelier 2, dont les travaux font référence, les risques d’affrontements et de désunions qu’entraînent le désir et la poursuite des satisfactions sexuelles ont alors mis en péril la coopération entre les sexes, invention humaine qui s’est développée avec la domestication du feu et la division du travail », poursuit Marie-Élisabeth Handman. Comment assurer la reproduction de la société dans un contexte aussi tendu ? C’est pour enrayer cette menace que l’humanité est devenue la seule espèce de primates à avoir entrepris de gérer socialement sa sexualité. Ensuite, bien entendu, à chaque société ses rites, qu’il s’agisse de prêter sa femme à un hôte de passage, comme chez les Inuit du Groenland, ou bien qu’une femme reçoive tous les hommes qui lui chanteront 3 et lui rendront une visite furtive, la nuit, comme chez les Na de Chine. Mais dans tous les cas, affirment les anthropologues, l’encadrement de la sexualité – et donc de ses représentations – constitue la base de la condition humaine. À cela, les religions sont également venues ajouter leur grain de sel. Dans la Genèse de l’Ancien Testament, figure la célèbre injonction « croissez et multipliez ». « Mais si, pour y répondre, faire l’amour est selon le judaïsme un acte qui plaît à Dieu |