6 VIEDESLABOS Reportage TRIBOLOGIE Le sens du contact Depuis 40 ans, le Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes 1 combine le savoir-faire de l’ingénieur et la recherche fondamentale pour étudier les interactions entre les objets en mouvement. Aujourd’hui, il s’ouvre aux sciences de la vie, de l’homme et de la société. Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. » Cette phrase extraite des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, en exergue d’une œuvre d’art où apparaissent mains et visage, interpelle d’emblée le visiteur. Tout près, un tableau abstrait peint par un étudiant évoque l’usure de la matière. Un peu plus loin, une boîte couverte de messages invite à découvrir le « troisième corps », celui qui se forme à l’interface de frottement entre deux pièces mécaniques, mais qui peut aussi résulter du contact de l’art et des idées. Frottement, usure, objets en mouvement, ici se situe la raison d’être du Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes (LTDS), implanté au cœur du campus de l’École centrale de Lyon, à Écully, une banlieue cossue de Lyon. Par nature, le labo est tourné vers les mondes de l’ingénierie et l’industrie. Pour preuve, sa forte intégration dans plusieurs pôles de compétitivité et dans le projet Institut Carnot Ingénierie@Lyon. Mais la recherche fondamentale y est aussi très forte, et se nourrit de nombreuses collaborations internationales dont Elyut Lab, un laboratoire international associé avec le Japon. « Pour résumer, on va de la nanoparticule à la turbine d’avion. Le mot-clé pour nous, c’est multi-échelle, spatiale et temporelle », souligne Denis Mazuyer, directeur du LTDS. Un large spectre que balayent les trois équipes du laboratoire. TOUJOURS EN MOUVEMENT « Tribologie vient du grec tribein qui signifie frotter : c’est la science du frottement, de l’usure, de l’adhérence et de la lubrification », explique Sandrine Bec, responsable de la première équipe, baptisée « Tribologie, physicochimie et dynamique des interfaces ». L’usure et les frottements ? Des problèmes très quotidiens mais complexes, et sur lesquels « il ne faut pas avoir de préjugés. Dans un moteur de voiture, on réduit au maximum les frottements LE LABORATOIRE DE TRIBOLOGIE ET DYNAMIQUE DES SYSTEMES EN CHIFFRES 220 personnes/60 chercheurs et enseignants-chercheurs/36 ingénieurs, techniciens et administratifs/95 doctorants dont 39 Cifre/17 postdoctorants/5 millions d’euros de projets dont 40% en partenariat direct avec l’industrie/100 articles publiés chaque année dans des revues scientifiques internationales Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010 pour moins consommer. Par contre, lorsqu’on freine, il faut que ça frotte… mais pas que ça use ! ». La clé de la maîtrise de l’usure et des frottements ? Une parfaite compréhension des phénomènes qui se produisent entre les surfaces en contact. C’est aussi vrai pour la lubrification. Vous pensez à de l’huile ou de la graisse ? Ces produits ne sont pas simples. « Les huiles contiennent de nombreux additifs, antioxydants, anti-usure, modificateurs du frottement... qui se combinent de manière complexe », explique la jeune femme. Comprendre l’action des additifs est l’une des spécialités du LTDS, qui a passé un accord avec Total. Comme plusieurs autres entreprises, le groupe pétrolier finance des thèses Cifre, des postdocs et a embauché des doctorants du laboratoire. Il y trouve surtout la possibilité de mesures extrêmement fines grâce à un large éventail de matériel expérimental, dont une bonne partie est fabriquée maison et qui constitue un point fort du LTDS. Parmi les instruments les plus remarquables, on trouve un tribomètre ultraprécis dans lequel l’échantillon est déplacé avec une précision au dixième de nanomètre, qui permet de caractériser jusqu’à la monocouche moléculaire adsorbée 2 sur une surface ; un autre tribomètre sous atmosphère contrôlée qui permet un vide poussé pour des applications spatiales ; ou encore des nano-indenteurs capables de tester la résistance à l’abrasion des vernis des peintures automobiles en les rayant très finement. Mais il y a aussi d’imposants bancs d’essai qui sont le domaine de l’équipe « Dynamique, fiabilité, durabilité ». C’est le royaume de la pièce en mouvement. Pour preuve, d’imposantes machines de fretting (test d’usure par frottement), un banc d’essais de boîtes de vitesses Grâce à cet appareil, on peut appliquer un vide poussé à des échantillons pour des applications spatiales, ou injecter des gaz pour étudier les effets de l’environnement sur le frottement. |