CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°240-241 de jan/fév 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,4 Mo

  • Dans ce numéro : Les secouristes de la nature

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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30 > DR © M. Gunther/Biosphoto L’ENQUÊTE « Estimer la valeur de la nature » Le rapport auquel vous avez participé a été commandé au Centre d’analyse stratégique, organisme rattaché au Premier ministre, suite au Grenelle de l’environnement. Il propose de donner une valeur économique à la biodiversité. Qu’est-ce qui justifie une telle approche, choquante de prime abord ? Jean-Michel Salles : Attention, il n’est pas question de donner une valeur marchande à la nature dans l’idée de la vendre à qui que ce soit. Il s’agit d’estimer sa valeur économique : c’est-à-dire sa capacité à contribuer au bien-être des gens parce qu’elle est utile et rare. La démarche est de l’évaluer pour éclairer les décisions publiques, comme la construction d’une autoroute par exemple. Ces projets de constructions peuvent bien évidemment occasionner la destruction d’espaces naturels. D’un autre côté, les autoroutes présentent des avantages, notamment celui de sauver des vies car elles sont statistiquement plus sûres que les petites routes. Afin de savoir ce qui a la plus grande valeur pour la société, il faut pouvoir comparer les avantages et inconvénients de chaque option. Afin de tout ramener à une même unité, on utilise une évaluation monétaire. C’est ça le calcul économique public. Cela peut paraître surprenant mais dans ce type de calcul, un mort évité sur la route est estimé à environ 2,5 millions d’euros. D’autres enjeux envi- Le travail de pollinisation des abeilles, victimes d’une hécatombe mondiale à cause des pesticides, est évalué à 153 milliards d’euros. Car sans elles, adieu fleurs et fruits… La TEEB (The Economy of Ecosystem and Biodiversity), initiative mondiale dirigée par l’économiste indien Pavan Sukhdev, a décidé de faire un calcul pour le monde entier. Elle vise en effet à obtenir une évaluation globale de l’ensemble des services rendus par la biodiversité dans le monde ou, plutôt, Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010 L’approche économique peut-elle aider à protéger la biodiversité ? Le rapport français dirigé par Bernard Chevassus-au-Louis qui aborde cette question est sorti au printemps dernier. Vice-président du groupe de travail auteur du rapport, Jean-Michel Salles, chercheur CNRS au Laboratoire montpelliérain d’économie théorique et appliquée (Lameta) 1, nous en explique les propositions. LA PLANÈTE QUI VALAIT 14000 MILLIARDS ronnementaux sont déjà intégrés dans le calcul économique public, comme le bruit ou la qualité de l’air. L’idée est maintenant d’évaluer aussi la biodiversité et les services liés aux écosystèmes. Attribuer ainsi des valeurs monétaires à la vie des gens ou à la nature semble horrible… J.-M. S. : Ce qui semble horrible serait plutôt de prendre des décisions en se laissant uniquement guider par des raisons démagogiques ou circonstancielles, comme la survenue d’un accident de la route spécialement médiatique. La construction d’un hôpital, d’une voie ferrée, etc., tous les projets vont de toute façon causer directement ou indirectement des dégradations de l’environnement et parfois des décès. Mais l’absence de projet en causerait peut-être plus encore. Il faut donc pouvoir comparer. Et le calcul économique public permet d’aider les décideurs à le faire. Mais vous savez, on utilise déjà des prix pour la nature, dans les procès en particulier, afin de calculer une indemnisation versée en réparation de dommages écologiques, comme après une marée noire ou le rejet de produits toxiques. Quelles sont les conclusions du rapport sur la fameuse valeur économique de la biodiversité ? J.-M. S. : Notre mission était de proposer des valeurs de référence pour des hectares d’écosystèmes détruits ou dégradés. Pour cela, nous avons décidé de distinguer, d’une part, ce que nous avons appelé la biodiversité générale et, d’autre part, la biodiversité exceptionnelle ou remarquable. Cette dernière se distingue soit parce qu’elle abrite une espèce protégée, soit parce qu’elle fait l’objet d’un statut juridique de protection pour d’autres raisons. Nous avons ce qui risque d’être perdu d’ici l’an 2050 compte tenu de scénarios prédictifs sur les tendances futures. Cette gigantesque addition prend aussi bien en compte le travail de pollinisation des abeilles (estimé à 153 milliards d’euros par l’équipe de Jean-Michel Salles), que le service culturel apporté aux gens par la simple existence de la forêt guyanaise. « Pour cela, il est demandé par questionnaire à un panel de personnes si elles seraient par exemple prêtes à accorder tel pourcentage de leurs impôts pour protéger tel endroit, même s’ils décidé de l’écarter de notre travail parce que lui fixer des valeurs de référence n’avait aucun sens : ce serait comme fixer le prix au mètre carré de la Joconde de Léonard de Vinci. Et ensuite, comment avez-vous évalué cette biodiversité dite générale ? J.-M. S. : Nous avons pris en compte le fait que la nature nous rend de multiples services comme stocker le carbone ou offrir des espaces récréatifs. Il existe déjà de nombreuses évaluations de ces services dans les articles économiques habitent à l’autre bout du monde », explique l’économiste français. Le résultat total ? Près de 14000 milliards de dollars. Cette approche, audacieuse et beaucoup plus risquée en terme de fiabilité selon Jean-Michel Salles, aura certainement pour premier effet de marquer les esprits.C.Z. © CDC Biodiversité
Plan de réaménagement du site de Cossure (Bouches-du-Rhône). Une filiale de la Caisse des dépôts « renature » cet ancien verger industriel afin de compenser des pertes de biodiversité. Déboisement près de Pau, en 2008, avant construction d’une autoroute qui a divisé élus et associations. Estimer la valeur économique de la nature pourrait aider à arbitrer ce type de décision. depuis une trentaine d’années. Nous les avons collectées de manière aussi raisonnée que possible et nous les avons additionnées par type de service. Par exemple, pour la forêt, il s’agit de la quantité de bois produite, la quantité de CO 2 stockée, les autres produits de cueillette (champignons, fruits…), etc. Chacun de ces postes a un prix, par exemple la valeur de la tonne de CO 2 stockée est évaluée aujourd’hui à 32 euros 2. Au final, le rapport ne propose que deux estimations : la valeur économique des services rendus par un hectare de forêt ordinaire est d’environ 1000 euros par an, et elle est de l’ordre de 600 euros pour des prairies naturelles en bon état. Mais il s’agit de valeurs minimales, car le rapport précise que certains services n’ont pas pu être évalués faute de données suffisamment fiables. Comment prend-on ensuite ces chiffres en compte dans les décisions ? J.-M. S. : La perte d’un hectare de forêt mature © J.-P. Muller/AFP PHOTO risque d’être définitive à l’échelle humaine. Il faut donc prendre en compte une estimation de cette perte sur un temps très long. En économie, il existe une technique qui permet de transformer les pertes futures en valeurs actuelles : c’est l’actualisation. Au final, nous avons déterminé que la valeur actualisée revenait à environ quarante fois la valeur annuelle. Pour les services rendus par un hectare de forêt, on obtient donc environ 40000 euros. Or un hectare de forêt banale vaut aujourd’hui 4000 à 5 000 euros. Le fait d’intégrer les services rendus par la nature au calcul multiplie donc par dix la valeur à prendre en compte lorsqu’un projet de construction public est envisagé. Cela devrait donc avoir plutôt tendance à freiner les destructions de la biodiversité ? J.-M. S. : On peut espérer que oui. Il est vrai qu’on ne peut pas répertorier et évaluer de manière exacte tout ce que représente la nature. Mais plutôt que de compter la nature pour zéro, comme c’est implicitement le cas aujourd’hui, il vaut souvent mieux en donner une évaluation, même partielle. Bien entendu, cette approche ne peut pas conduire à négliger les réglementations existantes, pour les zones bénéficiant de statuts de protection notamment. Une telle remise en cause impliquerait une tout autre procédure qu’un simple calcul de rentabilité. Mais freiner les destructions n’est pas suffisant au regard de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (ou Millenium ecosystem assessment), n’est-ce pas ? J.-M. S. : En effet, ce programme international commandé par l’Onu et effectué de 2001 à 2005, a conclu qu’il fallait stopper les pertes nettes de biodiversité à partir de 2010. Cela signifie donc que si on en détruit quelque part, il faut en recréer ailleurs. D’ailleurs, l’obligation de compenser les impacts sur les écosystèmes est inscrite depuis 1976 dans la loi française. Mais elle n’a pas été appliquée de manière satisfaisante jusqu’ici et elle n’occasionnait en général que l’achat et la protection d’autres hectares de forêts, ailleurs. Cela ne fait que maintenir de l’existant et ne compense donc pas les pertes. Il faut aller plus loin et, par exemple, « re-naturer » des friches industrielles ou agricoles. C’est ce que propose de faire la CDC Biodiversité, société de L’ENQUÊTE 31 services, filiale de la Caisse des dépôts, lancée en février 2008 3. Si cette démarche fonctionne, elle conduira à intégrer dans les faits le coût de la compensation dans l’évaluation des projets. Mais pour tout cela, il faudra sans doute créer une autorité indépendante chargée de valider les évaluations, afin d’éviter de laisser l’État, qui est parfois juge et partie dans ces affaires, en décider seul. Propos recueillis par Charline Zeitoun 1. Laboratoire CNRS/Inra/Ensa Montpellier/Université Montpellier-I. 2. Selon le rapport du Centre d’analyse stratégique, chargé en 2008 de proposer une valeur tutélaire du carbone. 3. Le CNRS est partenaire d’une de ses opérations de restauration, dans les Bouches-du-Rhône. Lire « Un écosystème reprend ses droits », Le Journal du CNRS n°237, octobre 2009, p. 35. CONTACT ➔ Jean-Michel Salles Lameta, Montpellier sallesjm@supagro.inra.fr POUR EN SAVOIR PLUS À LIRE > Écologie et biodiversité, des populations aux socioécosystèmes, Denis Couvet et Anne Teyssèdre, éd. Belin, mars 2010. > Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes, contribution à la décision publique. Rapport du Centre d’analyse stratégique, à télécharger sur : www.strategie.gouv.fr/article.php3 ? id_ar ticle=980 EN LIGNE Dossier sagasciences Biodiversité ! www.cnrs.fr/biodiv À VOIR > Un album photos à découvrir à la une de la photothèque du CNRS : http:Ilphototheque.cnrs.fr Une sélection de vidéos en une du catalogue films : http:Ilvideotheque.cnrs.fr > EfferveSciences/Comment préserver la biodiversité (2009, 29 minutes) de Didier Deleskiewicz, produit par CNRS Images http:Ilvideotheque.cnrs.fr/index.php ? urlac tion=doc&id_doc=2060 Contact : Véronique Goret (Ventes), CNRS Images – vidéothèque Tél. : 0145075969 – videotheque.vente@cnrs-bellevue.fr Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010



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