CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°240-241 de jan/fév 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,4 Mo

  • Dans ce numéro : Les secouristes de la nature

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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28 > L’ENQUÊTE Réinventer l’agriculture Née il y a dix millions d’années, l’agriculture a permis un accroissement vertigineux de la population. Mais elle est peut-être, des activités humaines, la plus ravageuse de biodiversité. Le diagnostic est pourtant différent selon les régions. Dans les pays du Sud, c’est la déforestation, pour gagner des terres arables, qui est en cause. Chaque année, 0,5 à 1% de la forêt amazonienne est ainsi détruite pour produire du bétail, à destination des marchés européen et asiatique ou, depuis peu, des biocarburants. Dans les pays du Nord, où la déforestation massive est ancienne, les dégâts de l’agriculture sont plutôt liés à son intensification, c’est-à-dire à un plus grand investissement humain et financier par unité de surface. Celleci a d’abord eu pour conséquence l’abandon d’une agriculture traditionnelle dite extensive (élevage de plein-air ou même itinérant, culture sans produit chimique, etc.) qui garantissait le maintien de la biodiversité. Il y a, par exemple, de moins en moins de mares en France du fait de l’abandon du pâturage. Or ces milieux hébergent des espèces d’insectes et d’amphibiens devenus rares. Pour compléter le tableau, sur les terres qui restent vouées à l’agriculture, les intrants – engrais et pesticides – sont massivement utilisés, tandis que les refuges de biodiversité, tels les haies, se font rares. ÉVALUER L’IMPACT DE L’AGRICULTURE « En 20 ans, le nombre d’espèces d’oiseaux liées au milieu agricole traditionnel dans l’Hexagone a baissé de 20% ! C’est beaucoup plus que dans les autres habitats », confirme Denis Couvet, directeur de l’unité « Conservation des espèces, restauration et suivi des populations » 1, et correspondant de l’académie de l’Agriculture. Un chiffre obtenu grâce au programme Stoc (Suivi temporel des oiseaux communs) effectué dans le cadre L’agriculture est une des grandes causes de la déforestation, comme ici dans l'État amazonien du Mato Grosso. Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010 du réseau Vigie Nature 2. « Nous développons actuellement d’autres suivis pour identifier, à travers un dispositif de biovigilance, l’impact des différentes pratiques agricoles sur la biodiversité. » Et il y a urgence : dans 50 ans, nous serons deux milliards de plus sur Terre. Si la tendance se poursuit, la surface des terres agricoles aura augmenté de 20%, provoquant la disparition d’un tiers des forêts tropicales, et le triplement de la quantité globale d’intrants utilisés ! « Pour sortir de l’impasse, estime Denis Couvet, il faudra d’abord demander moins à l’agriculture, en réduisant la part carnée de notre alimentation. » Rappelons qu’il faut l’équivalent de 7 à 9 grammes de protéines végétales pour produire un gramme de protéines animales… Le monde agricole devra aussi faire sa « révolution ». « En agriculture, le modèle de modernité consiste, encore aujourd’hui, à rechercher la meilleure variété et à étendre son élevage, sa culture à la planète entière. Cela permet des économies d’échelle, mais a un coût exorbitant en biodiversité et en ressources naturelles. Puisque l’eau se fait rare, que les sols s’épuisent, il faut passer à une agriculture écologiquement intensive. » Autrement dit, mieux utiliser la biodiversité pour produire mieux, à moindre coût environnemental. ASSOCIER LES ESPÈCES Il s’agit, par exemple, d’exploiter les complémentarités entre plantes cultivées, à travers des associations végétales ou des rotations de cultures, qui permettent de limiter l’action des ravageurs… et donc l’utilisation d’intrants. En Chine par exemple, l’alternance de plusieurs variétés de riz dans une même parcelle a limité la propagation d’un champignon ravageur. Les quantités de pesticides utilisées ont ainsi pu être diminuées de moitié, pour un rendement accru de 20% et un revenu des paysans multiplié par deux ! De même, on peut favoriser la présence des « contrôleurs » de maladies ou de parasites. Il a été démontré, par exemple, qu’empêcher les chauves-souris et les oiseaux, qui contrôlent les populations d’insectes, d’accéder aux vergers, double l’impact des ravageurs. « Il ne s’agit pas d’abandonner les acquis de l’agriculture moderne, mais, au contraire, de la rendre plus sophistiquée », reprend le chercheur. Mélanger les cultures, cela n’a rien de simple. Il faut trouver les bonnes associations, mais aussi les moyens de récolter, au même endroit, deux plantes différentes qui, parfois, n’arrivent pas à maturité à la même saison. La métabolomique, qui étudie des métabolites, substances chimiques produites par les organismes vivants, pourrait apporter sa pierre à cette nouvelle agriculture. « Elle permet notamment d’étudier les molécules impliquées dans les relations entre un organisme et son environnement », détaille Gilles Comte, chercheur au laboratoire Écologie microbienne 3. Donc de mieux comprendre comment une espèce végétale peut éloigner un pathogène, ou encore d’apprécier finement l’état physiologique d’une plante, pour lui apporter la quantité d’engrais dont elle a besoin et, ainsi, éviter d’en relarguer dans l’environnement. Les agriculteurs de demain suivront-ils ? Denis Couvet se veut optimiste : « Si cela est compatible avec leur activité, que ça la rend plus durable voire socialement mieux acceptée, pourquoi refuseraient-ils de changer leurs pratiques ? » Marie Lescroart © E. Martino/Panos-REA En France, il y a aujourd’hui 20% en moins d’espèces d’oiseaux liées au milieu agricole qu’il y a vingt ans. 1. Unité CNRS/MNHN. 2. Vigie Nature est un dispositif de suivi de l’état de santé de la nature à travers les observations de groupes indicateurs de biodiversité (oiseaux, papillons, chauvesouris, et bientôt plantes et amphibiens), par des naturalistes volontaires. Il est coordonné au niveau national par l’unité « Conservation des espèces, restauration et suivi des populations ». 3. Unité CNRS/Inra/ENV Lyon/Université Lyon-I. CONTACTS ➔ Denis Couvet, couvet@mnhn.fr ➔ Gilles Comte, gilles.comte@univ-lyon.fr © O. Dehorter
La vie cachée des villes Quel est le point commun entre un pigeon, un renard, un faucon, un goéland, un pissenlit, un saumon et une perruche à collier ? Vous donnez votre langue au chat ? Et bien ces espèces et beaucoup d’autres encore partagent le même habitat : la ville ! Mais cette biodiversité urbaine, aujourd’hui relativement riche, ne peut se résumer à une liste d’espèces comme le constatent les chercheurs du programme Ecorurb (impliquant plusieurs organismes dont le CNRS) qui mènent une expérience novatrice et pluridisciplinaire à Rennes et Angers depuis 2003. « Géographes, climatologues, écologues urbains, sociologues classent la biodiversité des habitats urbains selon la densité du bâti, la climatologie et l’histoire du citadin dans son appréciation des espèces, explique Philippe Clergeau, écologue au laboratoire Conservation des espèces, suivi et restauration des populations 1 et animateur du programme. Avec près de 8% du territoire français, le milieu urbain n’est plus marginal et doit s’inscrire dans les préoccupations générales de conservation de la nature. Car en un siècle, il est devenu un écosystème à part entière avec une faune et une flore adaptées à des températures plus élevées, à des sols déstructurés et à une luminosité quasi permanente. » ADAPTATION AUX CONDITIONS Mais comment étudie-t-on tout ce petit monde, si fragile ? « On recense les espèces présentes dans les villes puis on les compare à celles qui vivent dans les campagnes », explique Nathalie Machon, professeur d’écologie dans le même laboratoire. Il est encore trop tôt pour livrer des résultats définitifs. Mais deux grandes tendances se sont vite dessinées. Tout d’abord, les chercheurs ont noté que sous la pression des citadins, la ville se dote d’espaces verts de plus en plus naturels, offrant un espace de vie favorable à une foule d’espèces animales et végétales. Deuxième tendance, ces dernières colonisent ce milieu en modifiant leur comportement et leur morphologie. Ainsi, le faucon crécerelle qui, en campagne, chasse des campagnols en vol stationnaire, en ville mange plutôt des moineaux qu’il capture en utilisant l’observation depuis un perchoir. Les goélands et les renards se sont mis aux ordures ménagères, les hérissons aux croquettes pour chien. ©P. Clergeau/CERSP Chez les plantes des villes, les chercheurs remarquent des capacités reproductrices accrues, une bonne tolérance à des perturbations comme le piétinement ou au taux d’azote élevé dans le sol du fait des gaz d’échappement des voitures ou des déjections canines. « Nous avons aussi analysé la composition des peuplements animaux et végétaux selon la densité du tissu urbain le long des gradients d’urbanisation, ajoute Nathalie Machon. D’une manière générale, le nombre d’espèces décroît au fur et à mesure que l’on pénètre dans la ville. » Les espèces volantes (oiseaux, papillons), qui peuvent s’affranchir des obstacles, sont les plus nombreuses. Tandis que les mammifères terrestres et les batraciens ont plus de mal à atteindre ces zones et à s’installer. L’ENQUÊTE 29 Des corridors écologiques pourraient permettre de préserver la biodiversité en milieu urbain. De nombreuses espèces s’invitent en ville… comme le crépis de Nîmes. COUDE À COUDE POUR L’ESPACE Une fois parvenues au cœur des villes, ces espèces, sauvages, se frottent à d’autres, plus exotiques, échappées de leur cage ou libérées volontairement par leur maître comme la tortue de Floride ou la perruche à collier (20 000 à Londres et 1100 à Paris). Ces espèces deviennent parfois compétitrices ou prédatrices dans les espaces agricoles ou naturels de la campagne environnante qu’elles envahissent ensuite. Ainsi, les écureuils gris du Canada introduits en Angleterre limitent désormais la population d’écureuils roux autochtones en ville comme en campagne, et les myriophylles, plantes d’aquarium rejetées dans les étangs en France, modifient l’écosystème aquatique. « Pourtant, certaines espèces potentiellement invasives ou posant des problèmes sanitaires, écologiques ou économiques, sont bien accueillies par le citadin », note Nathalie Blanc, directrice de recherche au Laboratoire dynamiques sociales et recomposition des espaces 2 et géographe urbaine. Comme l’écureuil de Sibérie, bien implanté dans les forêts de l’Essonne, et vecteur de la maladie de Lyme touchant l’humain. « Désormais, l’urgence pour les chercheurs, c’est de prévenir ces risques tout en maintenant la biodiversité au sein des villes, explique Philippe Clergeau. Par exemple, en donnant la possibilité aux espèces de cheminer dans l’espace construit, grâce à des bois, des haies, et des corridors écologiques entre les différents parcs, et entre ces parcs et les forêts périurbaines. » Pour l’heure, leur efficacité, démontrée en zone rurale, n’a pas encore été bien établie en zone urbaine, où les pressions humaines et le bâti jouent énormément sur la dispersion des végétaux et des animaux. Mais pas moins de 35 chercheurs planchent sur cette épineuse question via le programme de l’ANR sur les trames vertes 3 qui a débuté cette année avec onze laboratoires, dont cinq impliquant le CNRS. Camille Lamotte 1. Unité CNRS/MNHN/Université Paris-VI. 2. Unité CNRS/Universités Paris-I, -VII, -VIII et -X. 3. www.trameverteurbaine.com CONTACTS ➔ Nathalie Blanc, nathali.blanc@wanadoo.fr ➔ Philippe Clergeau, clergeau@mnhn.fr ➔ Nathalie Machon, machon@mnhn.fr Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010 © F. Beilhe/CNRS Photothèque >



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