CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°240-241 de jan/fév 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,4 Mo

  • Dans ce numéro : Les secouristes de la nature

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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22 > © Photos : A. Pave L’ENQUÊTE Amazonie : les chercheurs en première ligne Guyane française, base scientifique du CNRS, station des Nouragues, au cœur de la forêt amazonienne. Depuis plus de cinq ans, une cinquantaine de chercheurs de nombreuses disciplines participent ici à l’ambitieux programme Amazonie 1. Objectif : décrypter cette forêt, la plus riche, la plus extravagante du monde, qui recouvre quelques 4 millions de kilomètres carrés répartis sur neuf pays, soit près de la moitié des forêts équatoriales. Un théâtre où 1,5 à 1,8 millions d’espèces vivantes s’étripent, s’associent, se parasitent ou s’ignorent poliment, formant un indescriptible et bruyant tohu-bohu, auquel il faut ajouter les 20 millions d’êtres humains qui habitent aussi ce vaste bassin. Cet écosystème baroque rassemble à lui tout seul près de 10% des espèces de notre planète. Et ce alors que seulement 200 000 espèces locales (environ) ont déjà été décrites scientifiquement. En secouant assez fort un arbre pris au hasard, un entomologiste pourrait en Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010 faire tomber une belle moisson d’insectes inconnus ! Mais postés sur ce terrain fascinant, les chercheurs du CNRS se posent bien d’autres questions fondamentales. Dont celle-ci, cruciale : pourquoi tant de diversité dans cette forêt ? « Notre but, explique Jérôme Chave, chercheur du laboratoire Évolution et diversité biologique 2 et habitué des Nouragues, est de comprendre pourquoi autant d’espèces différentes coexistent localement. » Alors que cela va exactement dans le sens contraire de la théorie darwinienne classique et de son impitoyable compétition entre espèces qui aboutit à la sélection des plus aptes. 1 5 En Amazonie, la diversité des espèces est exceptionnelle. On y trouve par exemple le crapaud de Leschenault (1), les fourmis dites Allomerus decemarticulatus qui vivent toujours dans la même plante (2), des papillons du genre Héliconius (3), des arbres tropicaux de type Pachira aquatica dont on voit ici la fleur (4), des combrétacées, plantes que l’on retrouve dans la pharmacopée Ce ballon gonflé à l’hélium a été utilisé pour transporter un chercheur au-dessus de la canopée. LE HASARD MÈNE LA DANSE En effet, si la compétition était la seule force en œuvre, une poignée d’espèces aurait éliminé toutes les autres. Et ce n’est pas du tout ce que les chercheurs observent en pratique. Il leur faut donc imaginer de nouvelles théories qu’ils nourrissent de leurs précieuses observations de terrain. « Nous reconstruisons un cadre théorique et des modèles mathématiques qui reproduisent la distribution et l’abondance des espèces », reprend Jérôme Chave. Une théorie de la biodiversité se construit ainsi pas à pas. Son fondement ? La théorie dite « neutraliste » de l’évolution. 2 3 4 6 7 © Photos : C. Delhaye/CNRS Photothèque Un des trois pylônes de 45 mètres de hauteur du système Copas. Une nacelle se déplace le long des câbles qui les relient, permettant aux scientifiques de prendre de la hauteur pour étudier le sommet de la forêt. traditionnelle locale (5), la mygale de Leblond (6) qui doit son nom à son découvreur, des fourmis Atta (7) coupeuses de feuilles et, enfin, une fourmi du genre Ponerinae à mandibules fermées (8). Dans ce modèle, la compétition entre espèces n’a finalement qu’un faible impact sur l’aspect de la forêt. Et la grande force gouvernant cet écosystème, c’est… le hasard. Selon Alain Pavé, directeur du programme Amazonie, ce fameux hasard est bénéfique et nécessaire car il mène à la multiplication des espèces : « La biodiversité est une assurance pour la vie. Si vous avez beaucoup de diversité, vous avez des organismes potentiellement adaptés à des environnements différents et une perturbation majeure n’aura pas de conséquences irrémédiables. Si la vie ne s’était pas vite diversifiée grâce au hasard, elle aurait très tôt disparu de la planète. » Le directeur du programme Amazonie pousse la réflexion plus loin. Ces questionnements sur l’évolution peuvent en effet déboucher sur des problèmes plus concrets, liés à la protection de la forêt. « Connaître la dynamique naturelle de ces écosystèmes devrait permettre de concevoir un aménagement des grands espaces amazoniens tout en limitant l’impact de l’homme sur la biodiversité », affirme Alain Pavé. Le temps où l’Amazonie était un enfer vert inexpugnable est révolu.
8 L’heure est à l’aménagement du territoire et au développement durable, auxquels les chercheurs peuvent apporter leur expertise. « La mise sous cloche de la forêt est techniquement impossible et socialement peu correcte. » De nombreuses personnes vivent en effet des ressources de la forêt et du sous-sol. « En revanche, on peut très bien utiliser les ressources de façon intelligente et raisonnée pour préserver l’essentiel tout en satisfaisant les besoins des populations. C’est là l’une des finalités de nos recherches. » PROTÉGER EN VALORISANT Valoriser la biodiversité est peut-être le meilleur moyen de la protéger, comme le sait bien le laboratoire Écologie des forêts de Guyane 3. Ses chercheurs sondent constamment la forêt pour y trouver des molécules qui pourraient nous être utiles. Pour cela, ils ont une stratégie : la bioinspiration. « Nous nous demandons d’abord quelle est la fonction d’une molécule dans l’environnement, puis ensuite, à quoi elle pourrait nous servir », explique Didier Stien, chimiste de ce labo. Un bel exemple de cette approche, qui trouve des applications en pharmacologie, en cosmétique ou même dans le bâtiment, concerne le bois de construction. « Si certains arbres résistent aussi bien à l’attaque des L’ENQUÊTE 23 L’amarante est un arbre que l’on trouve en Guyane. Son bois vire au violet après la coupe. termites et des champignons, c’est parce qu’ils produisent des molécules aux propriétés fongicides ou insecticides. En appliquant ces produits sur des constructions en bois, nous avons réussi à augmenter significativement leur résistance. » Voilà qui va intéresser bien des charpentiers. Et ce n’est pas tout : certaines molécules fongicides du bois empêchent tout aussi bien le développement des champignons de la peau, les mycoses… et voilà qui va intéresser les dermatologues ! Les chercheurs d’Ecofog ont par ailleurs créé, avec un industriel guyanais, une entreprise pour valoriser certains produits de la forêt. Leur premier projet : commercialiser les huiles essentielles extraites du bois d’une famille d’arbres tropicaux : les lauracées. L’odeur puissante et épicée de ces huiles devrait notamment intéresser les parfumeurs. Il existe une bonne centaine d’espèces au sein de cette famille, dont certaines sont encore très mal connues. Les propriétés antifongiques, antibactériennes et insecticides des huiles essentielles qu’ils contiennent sont Ici, les scientifiques tentent d’identifier les espèces d’arbres depuis le sol. également en cours d’étude. > ©C. Delhaye/CNRS Photothèque © D. Stien Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010



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