CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°240-241 de jan/fév 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,4 Mo

  • Dans ce numéro : Les secouristes de la nature

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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16 DR PAROLED’EXPERT Du 28 au 31 janvier, Angoulême accueille le 37 e Festival international de la bande dessinée (BD). Chaque année, environ 200000 visiteurs se pressent pour rencontrer les grands auteurs et découvrir les œuvres présentées. Comment expliquer cet attrait pour le neuvième art ? Éric Dacheux : En France, l’attrait pour la BD a toujours été très fort. Mais il s’est accentué dans les années 1960, lorsqu’elle est devenue un mode d’expression reconnu, destiné autant aux enfants qu’aux adultes. Grâce aux magazines comme Hara Kiri, Pilote ou Le journal de Tintin, elle a pénétré toutes les couches de la société. Petit à petit, cette reconnaissance à la fois esthétique (reconnue comme art à part entière), intellectuelle et culturelle lui a conféré sa légitimité. Aujourd’hui, la bande dessinée est présente partout comme en témoignent la place importante qui lui est réservée dans les librairies et les bibliothèques, ou l’utilisation qui en est faite par les associations dans des domaines aussi variés que la lutte antinucléaire ou la prévention des abus sexuels. Autres signes de cette évolution : l’entrée de la bande dessinée au musée du Louvre avec une exposition en 2009 ou encore l’accueil enthousiaste et unanime réservé au film Persepolis, tiré des quatre albums autobiographiques de Marjane Satrapi. Tintin, Astérix, Gaston ou Spirou sont un peu notre madeleine de Proust. Ce succès de la bande dessinée ne rime-t-il pas surtout avec souvenir de jeunesse ? É.D. : Derrière cet amour de la BD remonte, sans aucun doute, une part d’enfance. Mais lire Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010 Éric Dacheux, chercheur au laboratoire « Communication et politique » du CNRS, professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université Blaise-Pascal La bande dessinée, un art à part « La BD est un objet de création qui pousse le lecteur à être lui-même inventif. » de la bande dessinée, c’est avant tout un plaisir. Elle est un objet de création qui pousse le lecteur à être lui-même inventif. Si l’histoire racontée met en images un monde suffisamment présent, elle conserve des zones d’ombres entre ses cases. Ainsi, le lecteur lit à son rythme et recrée les éléments manquants. Il reconstruit ainsi l’espace, le mouvement et le temps du récit. Il réinvente sa bande dessinée. C’est ce jeu entre l’histoire d’un autre et sa propre histoire qui est à l’origine du plaisir. De la BD d’humour grand public à l’œuvre exigeante, la multiplication des genres fait-elle la force de cet art ? É.D. : Comme pour le cinéma ou la littérature, offrir un large éventail de titres, une panoplie de sensations et de niveaux d’exigences, permet de séduire le plus de gens possible. Des personnes qui n’avaient jamais lu de BD, ou qui avaient cessé d’en lire, s’y plongent avec plaisir. Elles commencent par s’intéresser à des ouvrages grand public tels que XIII ou Titeuf avant de se diriger vers des bandes dessinées dites d’auteurs, comme Persepolis. La bande dessinée est traversée par cette tension, qui touche tous les arts, entre une approche très élitiste et avant-gardiste nécessaire pour renouveler le genre et une approche très industrielle et plus grand public. En créant des passerelles entre les deux, la bande dessinée a atteint sa pleine maturité. Ce succès populaire se retrouve-t-il sur le plan économique ? É.D. : Oui. Le secteur ne s’est jamais aussi bien porté. En 2008, son chiffre d’affaires global représentait 6,5% du chiffre d’affaires de l’édition. La même année, 4 746 bandes dessinées sont publiées (dont 3 592 strictes nouveautés), soit une progression, par rapport à 2007, de 10,04% 1. Une centaine de séries, tirées à plus de 50 000 exemplaires, dynamisent l’ensemble du marché. Ces quinze dernières années, la bande dessinée s’est beaucoup renouvelée avec de nouveaux genres comme la BD de reportage, le journal intime... Et l’ouverture vers d’autres horizons, le Japon notamment, a aussi contribué à cette réussite. Les mangas ont fait fureur auprès des adolescents qui ont pu, grâce à ceux-ci, se démarquer des BD de leurs parents. Pourtant, des voix discordantes parlent d’un effondrement probable du secteur, voire de la mort prochaine de la BD… É.D. : Il y a toujours des dangers lorsqu’on veut vendre en grande quantité. Les éditeurs publient tous les styles, tous les genres et dans tous les formats. Ils allongent certaines séries pour maintenir le lecteur en appétit, mais en stoppent d’autres avant la fin pour cause d’impératifs économiques. Plus ils produisent, plus il y a de chances pour que certains titres ne fonctionnent pas, et que la qualité des albums en pâtisse. Cela a des répercussions sur le lecteur qui se lasse ou se sent perdu, et sur le travail des libraires qui n’arrivent plus à tout découvrir. Toutefois, la fin de la BD n’est pas d’actualité : la créativité et le renouvellement sont encore au rendez-vous, et le développement d’une énorme activité secondaire ou dérivée (films, dessins animés, jeux vidéo, blogs...) en stimule plus que jamais la consommation. Propos recueillis par Géraldine Véron ➔ À lire La bande dessinée : art reconnu, média méconnu, Éric Dacheux en collaboration avec Jérôme Dutel et Sandrine Lepontois, Hermès n°54, CNRS Éditions, août 2009, 250 p. 1. Sources : Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD). CONTACT ➔ Éric Dacheux Communication et politique, Paris eric.dacheux@univ-bpclermont.fr
Georges Chapouthier Neurobiologiste Passion double Entre biologie et philosophie, Georges Chapouthier n’a pas voulu choisir. Neurobiologiste, directeur de recherche CNRS au Centre émotion-remédiation et réalité virtuelle 1, spécialiste des liens entre anxiété et mémoire, l’homme est aussi auteur d’essais sur l’animalité, le droit de l’animal, et l’éthique de nos relations à la nature. Paru chez Belin en 2009, l’un de ses derniers ouvrages, Kant et le chimpanzé, traite de la continuité entre animal et être humain, et des racines « naturelles » de concepts aussi évolués que l’art et la morale. Le débit est rapide, les idées fusent, précises : Georges Chapouthier n’est pas homme à perdre de temps. C’est qu’il a dû optimiser son agenda pour mener de front ses deux carrières ! « Après mes journées au laboratoire, la philosophie occupe le plus clair de mon temps libre. Mais en fait, j’y pense continuellement, avoue-t-il. D’ailleurs, je vois mal comment j’aurais pu avoir ce parcours sans cette passion pour ces deux disciplines ! » Ce double attrait ne date pas d’hier. « Nous sommes tous conditionnés par notre enfance », estimet-il. La sienne fut marquée par une double influence. Son côté littéraire, un appétit pour les livres qu’il dévore depuis son plus jeune âge, il le doit à son père, archéologue et professeur de grec à la Sorbonne, et à sa mère qui enseignait les lettres classiques dans un lycée. Son intérêt pour les sciences est, lui, un avatar de « cette appétence pour les animaux qui, pour des raisons mystérieuses, touche certaines personnes ». Enfant, il se réjouissait de retrouver les animaux de la ferme de son grand-père, en Charente, connaissait par leur nom tous les chiens du village, passait des heures avec les chats. « Cet amour des bêtes est à l’origine de ma volonté de comprendre leur comportement », analyse-t-il rétrospectivement. En terminale, le jeune homme doit bien faire un choix. Il opte pour les sciences. « J’aimais les lettres, mais pas le latin », justifie-t-il. S’ensuit une classe préparatoire en biologie, puis l’École normale supérieure. C’est avec son sujet de thèse de troisième cycle, sur l’apprentissage des vers plats, qu’il entame sa carrière d’explorateur de la mémoire. Une exploration fructueuse. Dans les années 1980, avec Jean Rossier, au laboratoire de physiologie nerveuse du CNRS, à Gif-sur-Yvette, il montre qu’à dose très faible, une molécule, la β-CCM, facilite l’apprentissage chez la souris, tandis qu’à dose plus forte, elle le perturbe et provoque l’anxiété. Ces travaux, qui suggèrent qu’anxiété et mémoire reposent sur un même mécanisme, lui valent deux publications, coup sur coup, dans la revue Nature. En 1989, il rejoint le groupe de génétique du comportement de Pierre Roubertoux à la faculté de médecine de Paris. Et c’est là qu’il met en évidence certains facteurs génétiques conditionnant la sensibilité à l’anxiété, en produisant deux lignées de souris dont l’une est sensible, et l’autre est résistante à la β-CCM. Enfin, en 1995, il intègre son unité actuelle, le laboratoire de Roland Jouvent, afin de poursuivre ses recherches sur l’action des molécules sur l’anxiété et la mémoire des rongeurs. © S. Godefroy/CNRS Photothèque RENCONTREAVEC 17 « Après mes journées au laboratoire, la philosophie occupe le plus clair de mon temps libre. » Beaucoup se seraient contentés de cette carrière bien remplie de biologiste. Mais à peine l’avait-il entamée que le littéraire en lui souffrait déjà d’être délaissé. Goût pour les études oblige (encore un coup du conditionnement familial), il entreprend, juste après sa nomination au CNRS, un cursus complet en philosophie, parallèlement à son activité de jeune chercheur. « Je me disais que mes futurs travaux de philosophe pourraient se nourrir de mes recherches en biologie. » Ce spécialiste de la mémoire soutiendra donc une thèse de troisième cycle en philosophie sur le concept d’information. Plus tard, il explorera l’apparent paradoxe qu’il y a à expérimenter sur les animaux, quand on est depuis toujours défenseur de leur cause, dans sa thèse d’État sur le respect de l’animal. Publié en 1990 aux éditions Denoël sous le titre « Au bon vouloir de l’homme, l’animal », ce travail est devenu une référence en matière d’éthique et de droit de l’animal. À deux ans de la retraite, Georges Chapouthier n’est pas prêt de se retirer du monde des idées. Côté sciences, il entame un nouveau chapitre de ses recherches pour étudier, sous la direction du professeur Jouvent, les rapports entre anxiété et mémoire chez l’être humain, sans oublier des projets de livres sur le cerveau. Ensuite, il aimerait se consacrer pleinement aux lettres, voire à la littérature. « J’aimerais m’essayer à la sciencefiction », confie-t-il. Et, peut-être, se retirer à la campagne, avec des compagnons à quatre pattes. Marie Lescroart 1. Unité CNRS/APHP Pitié-Salpêtrière/Université Paris-VI. CONTACT ➔ Georges Chapouthier Centre émotion-remédiation et réalité virtuelle, Paris georges.chapouthier@upmc.fr Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010



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