CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
CNRS Le Journal n°240-241 jan/fév 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°240-241 de jan/fév 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,4 Mo

  • Dans ce numéro : Les secouristes de la nature

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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12 © O. van der Velde/Université Polytechnique de Catalogne/et S. Soula/Laboratoire d'Aérologie/Observatoire Midi-Pyrénées/Université de Toulouse VIEDESLABOS Actualités BIOINGÉNIERIE Les virus, rois du détournement Incapables de se reproduire seuls, les virus sont passés maîtres dans l’art de détourner à leurs propres fins la machinerie des cellules qu’ils infectent. En étudiant le génome de virus s’attaquant à des cyanobactéries marines, une équipe du laboratoire Adaptation et diversité en milieu marin 1, à Roscoff en Bretagne, en collaboration avec des scientifiques israéliens et américains, vient encore d’illustrer cette capacité d’une manière éclatante. Avec leurs travaux parus dans la revue Nature, les chercheurs ont montré que non seulement ces virus, appelés cyanophages, ont intégré dans leur génome des gènes spécifiques des cyanobactéries, mais que cette information génétique a été profondément modifiée, ce qui l’aurait rendue plus efficace. Des chercheurs américains avaient déjà observé, chez les cyanophages, des gènes associés à un groupement de molécules chargées de la photosynthèse 2, le photosystème II (PSII), similaire à celui des cyanobactéries AÉROLOGIE Immenses flashs sur l’Europe Dans la nuit du 1er au 2 septembre, alors qu’un gros orage venu d’Espagne se déchaînait sur le golfe du Lion, d’étranges lueurs sont apparues dans le ciel. Serge Soula, physicien au Laboratoire d’aérologie 1 et ses collègues de l’université de Catalogne, armés de leur caméra très sensible installée à l’observatoire du Pic-du-Midi et Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010 pilotée par internet, les ont enregistrées. Ce sont bel et bien des sylphes qui ont embrasé le ciel cette nuit-là. Découverts par hasard en 1989, les sylphes (ou sprites en anglais) sont d’immenses flashs de couleur rouge qui se forment la nuit sur plusieurs dizaines de kilomètres de hauteur, entre le sommet d’un orage et la base de l’ionosphère à 90 kilomètres d’altitude. D’une durée de quelques millièmes de secondes et donc invisibles à l’œil nu, ces lueurs, associées à certains types d’éclairs, dits positifs, entre les nuages et le sol, et à des En septembre, sur le Pic-du-Midi, des chercheurs ont saisi l'image infrarouge de grands sylphes, dont certains se développaient sur plus de 70 km de haut et 90 km de large. marines. « Cela permet aux virus, alors que leur bactérie hôte ne parvient plus à exprimer sa propre information génétique et commence donc à défaillir, de la forcer à maintenir une activité photosynthétique jusqu’au terme de leur cycle de reproduction », précise Frédéric Partensky de la Station biologique de Roscoff. Et d’après les tout derniers travaux auxquels a participé ce chercheur, certains cyanophages de la famille des Myoviridae vont encore plus loin. Ils possèdent en effet sept gènes codant pour un autre photosystème, le photosystème I (PSI). Avec la particularité qu’un de ces gènes résulte de la fusion de deux gènes normalement associés à ce complexe chez la cyanobactérie. « En conséquence, la protéine associée à ce nouveau gène présente une importante modification de structure par rapport à l’original, explique le biologiste. Cela reste encore à vérifier explicitement, mais il est probable que cette modification force la cyanobactérie hôte à produire de l’énergie non seulement par photosynthèse, ce qu’elle fait normalement, mais aussi en utilisant d’autres sources d’énergie, comme la respiration. » Les chercheurs sont enchantés par la découverte de ce remarquable exemple de bioingénierie naturelle. Pour lui-même. Mais aussi du fait de son potentiel d’applications. En effet, comme l’indique Frédéric Partensky : « Dans ce cas particulier, la nature nous montre comment, par la fusion de deux gènes, il est possible de simplifier le codage génétique d’un photosystème. Ce qui indique des voies intéressantes pour la synthèse de cyanobactéries totalement artificielles. » De quoi détourner à notre profit l’inventivité des virus ! Mathieu Grousson 1. Unité CNRS/Université Paris-VI. 2. Processus par lequel les plantes et certaines bactéries synthétisent de la matière organique en exploitant la lumière du Soleil. CONTACT ➔ Frédéric Partensky Station biologique de Roscoff partensk@sb-roscoff.fr © Photos : A. Burens - CNRS Samuel Guillemin, de l’Insa, prépare le scanner laser Photon. L’appareil restera dans cette position pendant sept minutes durant lesquelles il enregistrera la position exacte de quelque 42 millions de points. orages très étalés, seraient causés par une brusque variation du champ électrique dans l’atmosphère audessus du nuage. Les particules chargées qui s’y trouvent accélèreraient et entreraient alors en collision avec des molécules présentes dans l’air, créant cette étrange lumière sépulcrale. Initialement, les scientifiques pensaient que les conditions météorologiques nécessaires à la génération du phénomène n’étaient réunies que dans le centre des États-Unis. Mais des observations réalisées par une équipe danoise, également depuis l’observatoire du Pic-du-Midi, ont démontré en 2000 que l’Europe pouvait, elle aussi, être le siège de ces curieuses manifestations de la nature. Ce que confirment les nouvelles observations, qui pourront peut-être permettre de résoudre certains mystères que recèlent encore les sylphes, comme leur rôle dans la chimie atmosphérique. L’équipe de Serge Soula traque ces flashs sur le Vieux Continent depuis 2006, dans le cadre du réseau européen Eurosprite. Après avoir testé des stations mobiles, elle a décidé de se fixer cet été sur le site du Pic-du- Midi. Bonne pioche : certains des sylphes détectés ont illuminé le ciel sur 70 kilomètres, une hauteur rarement observée. Vahé Ter Minassian 1. Unité CNRS/Université Toulouse-III. CONTACT ➔ Serge Soula Laboratoire d’aérologie, Toulouse serge.soula@aero.obs-mip.fr
ARCHÉOLOGIE Une grotte à immortaliser Début février, des scientifiques vont poursuivre la numérisation 3D de la grotte des Fraux, l’un des plus beaux sites de l’âge du bronze en Europe. Un scanner dernier cri sera transporté sous terre pour modéliser des vestiges et ornements pariétaux vieux de 3000 ans. Les lampes frontales s’éteignent. Dans le noir absolu, la numérisation peut commencer. Pendant sept minutes, sous le contrôle attentif de Pierre Grussenmeyer, spécialiste en modélisation à l’Institut national de sciences appliquées de Strasbourg, un appareil cyclopéen note l’emplacement exact de quelque 42 millions de points. Nous sommes au cœur de la grotte des Fraux, dans le Périgord Vert. Cette caverne ornée de l’âge du bronze (autour de 1 300 ans avant notre ère) va être entièrement reconstituée en trois dimensions. L’opération, démarrée fin 2008, se poursuivra lors d’une mission organisée début février. Parmi les apprentis spéléologues, Albane Burens, du laboratoire « Archéologie des sociétés méditerranéennes » de Lattes 1 et coresponsable de la fouille avec Laurent Carozza, du laboratoire Géographie de l’environnement 2. Elle sera accompagnée d’un ingénieur chargé du fonctionnement du scanner et de trois spécialistes en modélisation de l’équipe « Photogrammétrie et géomatique » de l’Insa de Strasbourg. La mission est importante car ce site exceptionnel menace de s’effondrer. Un risque lié à la singulière histoire de sa découverte. Un matin de 1989, Edmond Goineaud, agriculteur du Périgord, a vu se vider le lac artificiel qu’il avait creusé quelques années plus tôt. La cause ? Une étroite ouverture au fond de la cuvette : le plafond d’une grotte venait de céder, donnant accès à un réseau de galeries souter- © B. Cazalet Grotte de Fraux : vue panoramique de la salle dite du pilier. Reconstitution au millimètre près des parois de la « Galerie des foyers ». Les textures des parois seront réalisées à partir de photos numériques. raines obstrué depuis près de 3 000 ans. Il est à parier que les premiers chanceux ayant foulé ces sols ont eu le sentiment de faire un saut dans le temps. « L’état de conservation de la grotte est exceptionnel, raconte Albane Burens. Un éboulement a bloqué tout échange avec l’extérieur et l’argile des parois sur lesquelles des humains ont dessiné il y a plus de trois millénaires est toujours fraîche. Les céramiques ne sont pas recouvertes de poussière, on a même le sentiment qu’en soufflant sur les foyers, des braises vont rougir de nouveau ! » Bien plus récente que ses consœurs de Lascaux et Chauvet, la grotte des Fraux est un témoignage unique de l’âge du bronze en Europe, pour ses œuvres schématiques et abstraites gravées dans les parois Mission VIEDESLABOS 13 mais aussi pour les traces de vie domestiques parfaitement conservées. Chaque matin, pendant une semaine, l’équipe descendra dans l’atmosphère humide et fraîche de la grotte après avoir enfilé des chaussons en néoprène pour limiter les traces au sol. L’évolution n’y sera pas de tout repos. « Certains passages sont très étroits, or il faut avancer sans toucher les parois au risque d’effacer les dessins aux doigts et autres incisions réalisés par les anciens occupants », avertit la coresponsable de la fouille. Et de reconnaître que « les conditions de travail sont physiquement éprouvantes, mais sous terre les heures défilent comme des minutes et l’ambiance est si sereine qu’elle permet une concentration à toute épreuve ». C’est grâce à un partenariat avec la société Faro, spécialisée dans les systèmes de mesure 3D, que tous les détails de la grotte vont être numérisés. La société fournit la machine, le laser scanner Photon, qui peut reconstituer des objets volumineux au millimètre près. Une précision suffisante pour enregistrer les dessins en relief des parois. La première étape de numérisation d’une galerie consistera à disposer un peu partout des petites sphères qui serviront de points de référence. Une fois installé, l’appareil enregistrera la position d’un nuage de points pendant sept minutes. Il sera ensuite déplacé pour un nouveau relevé. Et ainsi de suite… Les sphères de référence sont indispensables pour relier entre eux les différents nuages de points captés à chaque station du laser scanner. La modélisation tridimensionnelle permettra aux scientifiques de continuer l’étude de la grotte même si elle s’effondre un jour, « car cette technique permet d’agréger toutes les données sur un même support », résume l’archéologue. Et puisque ce site d’exception ne sera jamais ouvert aux visites, le grand public pourra tout de même presque s’y promener… à travers un écran. Caroline Dangléant ➔ En ligne : le blog de la grotte des Fraux http:Ilchampslibres.hypotheses.org 1. Laboratoire CNRS/Université Montpellier-III/Ministère de la Culture et de la Communication/Inrap. 2. Laboratoire CNRS/Université Toulouse-II. CONTACTS ➔ Albane Burens Archéologie des sociétés méditerranéennes, Lattes albane.burens@montp.cnrs.fr ➔ Laurent Carozza Géographie de l’environnement, Toulouse laurent.carozza@univ-tlse2.fr ➔ Pierre Grussenmeyer Laboratoire des sciences de l’image, de l’informatique et de la télédétection, Strasbourg pierre.grussenmeyer@insa-strasbourg.fr Le journal du CNRS n°240-241 janvier-février 2010



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