CNRS Le Journal n°239 décembre 2009
CNRS Le Journal n°239 décembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°239 de décembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 2,7 Mo

  • Dans ce numéro : Climat, les enjeux de Copenhague

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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6 © Photos : B. Rajau/CNRS Photothèque VIEDESLABOS Reportage PHYSIQUE La caverne aux particules Du neutrino à la matière noire en passant par l’environnement ou les grands vins, le Laboratoire souterrain de Modane (LSM) 1 accueille des expériences qui explorent les propriétés de l’infiniment petit. Visite de cet espace caché dans les entrailles de la Terre… L’accès au laboratoire souterrain de Modane se fait par l’abri antiincendie n°6, situé exactement au centre du tunnel, selon des procédures strictes. Le nouveau bâtiment du LSM à Modane intègre un lieu d’exposition à destination du grand public. Le journal du CNRS n°239 décembre 2009 Mettez ce gilet jaune. À mon signal, vous traversez d’un pas franc, sans courir mais sans traîner. » Au LSM, on ne badine pas avec la sécurité. Et pour cause: pour y accéder, il faut traverser la route à pied en plein milieu du tunnel de Fréjus, en évitant les véhicules qui empruntent le boyau de 13 kilomètres de long entre la France et l’Italie. « Les jours où la circulation est dense, il arrive qu’on doive attendre un certain temps avant de pouvoir accéder au labo », lance, dans le vrombissement des voitures, son directeur Fabrice Piquemal, également chercheur au Centre d’études nucléaires de Bordeaux Gradignan (CENBG) 2. L’objectif : une lourde porte coupe-feu marquée du chiffre6, de l’autre côté de la chaussée. « Le laboratoire se situe derrière le 6 e abri anti-incendie du tunnel », explique Fabrice Piquemal. Après le passage dans l’abri proprement dit et une sorte d’antichambre, le visiteur découvre enfin le laboratoire souterrain : une grande caverne creusée à coups d’explosifs sous la montagne. En tout, 1800 mètres de roche s’élèvent au-dessus. Une chaleur étouffante y règne ; chaleur que le personnel n’a heureusement pas à subir à longueur de journée. Ici les expériences sont pilotées à distance et les bureaux sont situés en contrebas dans la vallée, dans un bâtiment qui vient tout juste d’être inauguré. Nemo 3 est constitué de plus de 8000 détecteurs de particules répartis en 20 segments et protégés par une enceinte. SOUS TERRE, PAS DE PARASITE Quelles sortes de recherches peuvent bien nécessiter de s’enterrer ainsi ? « Des rumeurs disent que nous menons des expériences secrètes, sourit Fabrice Piquemal. En fait, nous sommes enterrés… pour observer l’Univers. » Du moins certains de ses constituants les plus élémentaires. Le laboratoire accueille en effet plusieurs expériences internationales de physique des particules. Ici, les chercheurs veulent étudier les neutrinos – particules réputées insaisissables – pour déterminer certaines de leurs propriétés physiques. En particulier pour savoir s’ils sont leurs propres antiparticules 3, comme l’a suggéré Ettore Majorana, physicien de génie disparu dans de mystérieuses circonstances à la fin des années 1930, ou encore pour calculer leur masse. Ils traquent aussi les Wimps 4, des particules massives prédites par certaines théories, qui composeraient la fameuse matière noire, une forme de matière invisible mais dont un quart de l’Univers serait constitué. Et pour avoir la chance de détecter ces infimes objets, il faut le moins de parasites possible, donc se cacher des rayons cosmiques qui arrosent la planète. Pour cela, rien de tel qu’une montagne. « Des 8 à 10millions de particules cosmiques par mètre carré et par jour qui atteignent la surface de la Terre, seules 4 par mètre carré et par jour parviennent jusqu’au laboratoire ! », précise Fabrice Piquemal. Les instruments les plus sensibles sont donc installés dans la caverne, sans risque de brouillage.
UN PEU D’HISTOIRE DES INSTRUMENTS GÉANTS L’un d’eux y tient une bonne place. Avec ses 5 mètres de hauteur et ses 4 mètres de diamètre, Nemo 3 5 est un mastodonte. Son blindage est composé de plus de 200 tonnes de plomb, d’eau et de bois. À l’intérieur, des instruments de mesure attendent que des noyaux de molybdène 100 émettent deux électrons d’une énergie bien précise. « Ces deux électrons seraient le signe d’un des phénomènes les plus rares qui existent dans l’Univers : une forme de radioactivité appelée double désintégration bêta sans neutrino », souligne Fabrice Piquemal. Cette double désintégration bêta sans neutrino, si elle existe, serait la preuve expérimentale que le neutrino est en fait sa propre antiparticule. Par ailleurs, sa période 6, qui excéderait des milliers de milliards de milliards d’années, peut renseigner sur la masse du neutrino. Évidemment, les chercheurs ne vont pas observer un noyau de molybdène 100 et attendre des milliards de milliards d’années qu’il se transforme par radioactivité double bêta. « Pour réduire le temps, il faut un très grand nombre de noyaux, donc une importante quantité de molybdène100 », précise Fabrice Piquemal. Le LSM en détient 7 kilos, enrichi à 99,9% (il n’est enrichi qu’à 10% dans la nature). Il y a aussi dans ce détecteur d’autres sources radioactives double bêta – très rares – comme le sélénium82, le tellure130… « Nous possédons 8grammes de calcium48, indique le chercheur. C’est la moitié du stock mondial ! » Les résultats finaux de Nemo 3 devraient être connus l’année prochaine. Derrière le géant se cache un autre instrument, Edelweiss 2 7, un piège à particules de matière noire. Bien moins gros que Nemo 3, il est enfermé dans une pièce qui surplombe un impressionnant dispositif de réfrigération. Car pour avoir une chance de capter les Wimps –particules susceptibles de constituer la matière noire– le détecteur constitué d’une trentaine de bolomètres 8 en germanium, doit être refroidi à –273,13 °C soit presque jusqu’au zéro absolu. C’est l’infime élévation de température provoquée par l’éventuel choc entre une Wimp et le germanium que les chercheurs espèrent. Résultats attendus dans quelques mois. Les détecteurs au germanium sont d’ailleurs une spécialité du LSM. Pia Loaiza, physicienne attitrée du laboratoire, dirige leur développement, en partenariat avec la société Canberra, le CENBG et le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) 9. « Nous mettons au point des spectromètres gamma dits « bas bruit de fond » qui permettent de mesurer de très faibles doses de radioactivité », explique-t-elle. Mesures effectuées dans bien d’autres domaines que la physique fondamentale. Ainsi, le LSM a étendu ses activités et loue ses services pour des recherches en environnement, en contrôle sanitaire, ou encore dans le nucléaire. « Nous hébergeons plusieurs spectromètres du Département analyse, surveillance et environnement (Dase) du CEA, du LSCE, et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) », précise Fabrice Piquemal. Le laboratoire participe même à des expertises pour le compte de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Par exemple, une technique inventée par l’ancien directeur du LSM et membre du CENBG, Philippe Hubert, basée sur la mesure du césium 137, permet de dater les millésimes de vin sans ouvrir les bouteilles. Nemo 3, Edelweiss, les spectromètres et bien d’autres encore. Les machines sous la montagne requièrent évidemment des soins quotidiens. Les équipes scientifiques qui les utilisent étant dispersées partout en France et dans le monde, 5 techniciens du LSM aident au montage et à la maintenance. « Les expériences tournent 24 heures sur 24, explique l’un d’eux, Jean-Lou Margueron. Nous sommes donc d’astreinte chacun notre tour et pendant une semaine, jour et nuit même le week-end, pour pouvoir intervenir rapidement en cas d’incident. » Michel Zampaolo, directeur technique et administratif du LSM, tient d’ailleurs à souligner « l’extrême compétence » de ces techniciens qui, pour la plupart, se sont formés « sur le tas » à l’instrumentation scientifique. Des compétences qui pourront également être mises à profit dans le futur pour le démontage progressif des expériences. Car, à terme, la caverne sera vidée au profit d’une extension du laboratoire dont l’accès se fera par la galerie de sécurité parallèle au tunnel qui est en cours de construction. Baptisée Ulisse, elle sera 10 à 20 fois plus grande que la cavité actuelle et pourra accueillir de nouvelles expériences comme SuperNemo, le descendant de Nemo 3. « La décision de réaliser cette extension doit être prise avant la fin de l’année 2011, lorsque les deux tunneliers qui creusent la galerie de sécurité vont se rejoindre, conclut Fabrice Piquemal. Le nouveau laboratoire pourrait alors être opérationnel dès 2013. » Fabrice Demarthon 1. Laboratoire CNRS/CEA. 2. Laboratoire CNRS/Université Bordeaux-I. 3. Les antiparticules forment l’antimatière, l’opposée de la matière. 4. Weakly interacting massive particle (particule massive interagissant faiblement). 5. L’expérience Nemo est une collaboration impliquant 10 pays. 6. La période d’un élément radioactif est le temps nécessaire pour que la moitié d’une quantité donnée perde sa radioactivité. 7. L’expérience Edelweiss est une collaboration entre la France, l’Allemagne et la Russie. 8. Un bolomètre détecte et mesure un rayonnement par la chaleur que celui-ci induit. Ceux d’Edelweiss mesurent aussi la charge. 9.Unité CNRS/CEA/Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. VIEDESLABOS 7 L’idée de construire un laboratoire sous les Alpes est née à la fin des années 1970, lorsque la décision a été prise de percer un tunnel entre Modane, en France, et Bardoneccia, en Italie. À l’époque, un groupe de physiciens français et allemands cherche à s’affranchir du rayonnement cosmique afin de déterminer certaines propriétés du proton. C’est l’expérience « tau_P », qui sera menée jusqu’en 1988. Viendront ensuite Nemo 1 et, 2 et Edelweiss 1. De 3 membres permanents à son ouverture, le Laboratoire souterrain de Modane est passé à 10 membres aujourd’hui. F.D. Altitude 1228 m Pointe de Fréjus Altitude 2932m FRANCE ITALIE Puits de ventilation Usine A Usine B Usine C Usine D Distance 0 m 6210 m 12868 m TUNNEL ROUTIER DE FRÉJUS Les échantillons à analyser sont disposés sur les détecteurs au germanium dans des cuves blindées au cuivre et au plomb. Les chercheurs utilisent un très vieux plombromain du V e siècle, qui a ainsi perdu sa radioactivité naturelle. Alt. 1298 m Le LSM dispose de spectromètres gamma au germanium afin de mesurer les très faibles doses de radioactivité. CONTACTS Laboratoire souterrain de Modane ➔ Fabrice Piquemal piquemal@cenbg.in2p3.fr ➔ Michel Zampaolo michel.zampaolo@lsm.in2p3.fr ➔ Pia Loaiza pia.loaiza@lsm.in2p3.fr DR Le journal du CNRS n°239 décembre 2009



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