38 GUIDE Livres 3 questions à… Jean-Gabriel Ganascia Voir et pouvoir : qui nous surveille ? Éd. Le Pommier, coll. « Les essais du pommier », octobre 2009, 264 p. – 20 € Professeur à l’université Paris-VI, Jean-Gabriel Ganascia est membre du Laboratoire d’informatique de Paris-VI (Unité CNRS/Université Paris-VI). « Quelque chose d’inédit se passe sous nos yeux : l’apparition d’un quatrième pouvoir, celui de la « sousveillance » – après l’exécutif, le législatif et le judiciaire. » Qu’entendez-vous par ce terme ? Ma double formation de spécialiste de l’intelligence artificielle et de philosophe m’a poussé à réfléchir aux transformations considérables de nos sociétés dues au développement des technologies de l’information. Les dispositifs matériels permettent, aujourd’hui, en effet, à tout le monde d’enregistrer des images et des sons et de les diffuser à la planète entière. Il en résulte une sousveillance où le regard ne vient plus seulement d’en haut, de ceux qui ont le pouvoir (qui surveillent) mais d’en Le journal du CNRS n°239 décembre 2009 bas (des surveillés). Ce qui donne « au bas » un nouveau et véritable pouvoir car, désormais, le haut est perçu et analysé comme n’importe qui, en miroir : tout le monde communique avec tout le monde et tout le monde voit tout le monde ! J’ai voulu analyser la structure politique de ce nouveau monde, cette infosphère où chacun se trouve à équidistance de l’autre dans une apparente égalité pour tous. Atlas de New York Renaud Le Goix, cartographie Cyrille Suss, éd. Autrement, coll. « Atlas Mégapoles », septembre 2009, 80 p. – 20 € Atlas de Shanghai Thierry Sanjuan, cartographie Madeleine Benoit-Guyod, éd. Autrement, coll. « Atlas Mégapoles », septembre 2009, 80 p. – 20 € Aux éditions Autrement dans la collection consacrée aux atlas des mégapoles, deux ouvrages présentent deux villes comme illustrations des différents points centraux de la globalisation actuelle. New York, première mégapole du monde dans les années 1950, qui tend à perdre le monopole de la modernité face à Tokyo ou Mexico mais reste à la croisée des réseaux économiques et culturels ; et Shanghai, archétype de la ville asiatique, qui, à la fois moderne et lourde de ses traditions et contradictions, est un modèle de globalisation sous contrainte. Une vraie démocratie alors ? Non, car du fait de cette sousveillance construite sur le regard, apparaissent toutes sortes de stratégies de monopolisation de l’attention. On parle d’ailleurs aujourd’hui d’économie de l’attention, illustrée par exemple par les techniques dites de référencement abusif (ou spamdexing) qui biaisent les résultats d’une requête sur un moteur de recherche en faveur d’un individu ou d’un groupe. Tandis que dans la logique ancienne « voir donnait le pouvoir », maintenant, c’est « être vu » qui confère cette puissance. Et, comme nous nous trouvons tous à égale distance les uns des autres, nous avons l’impression qu’il existe moins d’iniquité. Or, dans le but de se renforcer, de nouveaux pouvoirs instrumentalisent les nouvelles techniques (le récent site www.nosdeputes.fr, qui pointe l’activité de tous les députés, un à un) d’où l’émergence de nouvelles formes politiques qui transforment le principe représentatif sur lequel se fonde la démocratie. Par exemple, la notion de « Government 2.0 » promue par le Président Obama depuis son élection 1. Le péril orwellien est-il derrière nous ? Pas si simple ! Ignorant le pouvoir de sousveillance dont ils participent, beaucoup de gens s’inquiètent uniquement de la surveillance et voient donc les dangers des technologies sous l’angle d’Orwell. Or, on constate un fait nouveau : la coexistence conflictuelle des deux logiques de sousveillance et de surveillance, ce qui fait craindre, en dépit du principe d’égalité revendiqué par la sousveillance, un monde à venir plus injuste et plus inégalitaire que n’est l’actuel du fait des oubliés du système. C’est pourquoi existe aujourd’hui une éthique de l’infosphère. Nous savons, de surcroît, que l’humain, pour se construire, a besoin de se retirer, d’échapper à l’exigence de transparence totale continue. Je dirais que, aujourd’hui, il nous faut trouver la place de ce que nie en permanence la logique de notre société de communication : la part du secret. Propos recueillis par A.L. 1. Celle-ci consiste à utiliser Internet et les nouvelles technologies pour, entre autres, donner plus de transparence à l’action gouvernementale et faciliter le débat avec la population. Darwin en tête ! L’évolution et les sciences cognitives Jean-Baptiste Van der Henst et Hugo Mercier, éd. Presses universitaires de Grenoble, coll. « Sciences cognitives », septembre 2009, 372 p. – 28 € Comment l’esprit a-t-il évolué ? Quelles fonctions biologiques remplissent les mécanismes psychologiques ? Pourquoi certaines de nos pensées se diffusentelles plus facilement que d’autres ? Ces questions sont envisagées aujourd’hui sous l’angle de la théorie darwinienne, ce qui est nouveau. Dirigée par deux chercheurs en sciences cognitives, cette première synthèse interdisciplinaire sur l’évolution de l’esprit met en évidence (grâce, entre autre, à divers scénarios sur la façon dont les mécanismes mentaux ont pu émerger) l’apport de cette théorie dans des domaines jusqu’ici restés hors de son point de vue : apparition de la moralité, relations sociales, maladies mentales et évolution culturelles. Un ouvrage ambitieux. |