16 PAROLED’EXPERT Du 26 au 28 novembre, à Paris, s’est tenu le 4 e colloque international du Groupe de recherches et d’études sur la radio (Grer), consacré cette année à l’impact de la numérisation sur la radiodiffusion. Que signifie pour ce média l’entrée dans l’ère du numérique ? Hervé Glevarec : Elle est avant tout synonyme de plus de liberté pour l’auditeur. Primo, elle offre de nouveaux dispositifs d’écoute très souples : les webradios, radios diffusées sur le net, que l’on peut écouter sur son ordinateur et sur les téléphones portables récents grâce au streaming [la lecture en continu], ou encore sur un lecteur MP3 grâce aux podcasts [fichiers en téléchargement libre]. Deuxio, le numérique a permis de démultiplier les contenus : les webradios, pour la plupart spécialisées (dans un style musical, ou un thème comme le cinéma…), émanent aussi désormais de grands groupes radios (Europe 1, RTL, RMC, NRJ, Radio France), voire de groupes de presse (Télérama) ou audiovisuels (Arte). Le champ musical s’est enfin considérablement ouvert : les auditeurs peuvent se connecter à des smart radios [radio à la demande], tel le site Deezer, qui offrent en continu des playlists [sélections de morceaux]. Une multitude de possibilités s’offrent donc aujourd’hui aux auditeurs… H.G. : Oui. Le numérique a pour effet de créer un environnement concurrentiel. Au point que les trois principaux atouts de la radio classique sont quelque peu mis au défi. Le premier s’incarne dans un processus d’identification fort des auditeurs à ce média : ils sont très fidèles à la station qu’ils écoutent. Pour preuve, ils zappent rarement (seulement Le journal du CNRS n°239 décembre 2009 Hervé Glevarec 1, sociologue au laboratoire « Communication et politique » du CNRS, spécialiste des pratiques culturelles et des médias La radio à l’heure du numérique quatre fois en moyenne en 21 jours). Mais Internet leur propose de nouveaux objets d’identification, comme les blogs ou les réseaux sociaux. Deuxième atout historique, la programmation musicale. Or elle s’avère concurrencée, elle aussi, par les smart radios qui créent des playlists illimitées et adaptées à vos goûts. Dernier rôle, traditionnellement dévolu à la radio, la diffusion des nouveautés. Les auditeurs qui s’orientaient jusqu’à présent vers la radio pour découvrir les titres récents ou les nouveaux artistes n’ont plus qu’à se connecter au web pour les trouver avant l’heure. « La radio a en France un public vaste, fidèle, et elle est appréciée par toutes les catégories socioprofesionnelles. » La radio aurait-elle déjà perdu une partie de son audience ? H.G. : On aurait tort de croire que le public français délaisse massivement son poste à transistors pour son clavier d’ordinateur ! Mais on dénote tout de même une baisse de fréquence et de durée d’écoute globale : les Français allument leur radio moins longtemps et moins quotidiennement. Cette baisse est spectaculaire chez les jeunes, puisqu’en dix ans, ils l’écoutent 10 minutes de moins par jour. En outre, tandis que 71% des 15-24 ans étaient auditeurs en 1997, ils sont 56% en 2008 2. Doit-on s’en inquiéter ? H.G. : Je ne le crois pas, car la radio a en France un public vaste, fidèle, et elle est appréciée par toutes les catégories socioprofessionnelles. Contrairement à la télévision, qui suscite chez certains une téléphobie, notamment parmi les personnes les plus diplômées, la radio éveille un attrait général, en partie grâce à la diversité de ses contenus. Ce sont aujourd’hui les radios privées musicales (Skyrock, NRJ, Génération 88.2…) qui rassemblent le plus d’auditeurs français (60%) , devant les radios publiques généralistes (France Inter, France Culture, etc.), auparavant les plus écoutées. De plus, la manière dont ce public est structuré s’avère stable. Il se scinde essentiellement en deux groupes, d’un côté, le plus important numériquement (bien qu’en diminution) : celui des jeunes de moins de 25 ans, adeptes des radios musicales ; de l’autre, celui des personnes de 50 ans et plus (en augmentation), plutôt auditeurs des radios généralistes. Ne peut-on pas voir aussi la numérisation comme un élément positif ? H.G. : Bien sûr, elle s’avère un enrichissement ! D’autant que nous n’en sommes qu’au début, et que nous ne savons pas comment les choses vont évoluer. C’était d’ailleurs l’objet de ce colloque prospectif qui réunissait universitaires, chercheurs et professionnels pour s’interroger sur ce qu’est la « postradio ». Nous pouvons d’ores et déjà dire que le numérique offre, outre de nouveaux supports plus mobiles, des fonctions inédites pour les radios parlées, telle la « radiothèque » que les usagers peuvent consulter en différé via les podcasts. L’ouverture du champ musical des auditeurs grâce à Internet pousse enfin les programmateurs radio à élargir leur playlists pour compenser leur perte de monopole. La concurrence entraîne l’émulation ! Propos recueillis pas Stéphanie Arc 1. Il est, entre autres, coauteur avec Michel Pinet de La radio et ses publics, sociologie d’une fragmentation (coédition Irma/Mélanie Séteun, mai 2009). 2. Sur ce sujet, lire Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, Olivier Donnat, coédition La Découverte/Ministère de la Culture et de la Communication, octobre 2009. CONTACT ➔ Hervé Glevarec Communication et politique, Paris herve.glevarec@lcp.cnrs.fr |