CNRS Le Journal n°238 novembre 2009
CNRS Le Journal n°238 novembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°238 de novembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3 Mo

  • Dans ce numéro : Cancer, la recherche durcit le combat

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

Dans ce numéro...
< Pages précédentes
Pages : 6 - 7  |  Aller à la page   OK
Pages suivantes >
6 7
© B. Rajau/CNRS Photothèque/LPS 6 VIEDESLABOS Reportage MATIÈRE CONDENSÉE Les électrons, c’est du solide Le Laboratoire de physique des solides 1 fête ce mois-ci son 50 e anniversaire. Mais ici, pas de crise de la cinquantaine : à côté d’expériences fascinantes, les découvertes de taille s’enchaînent toujours, notamment en ce qui concerne les intrigantes propriétés électroniques de la matière... Deux ordinateurs. À gauche, une armoire pleine d’écrans et de boutons de contrôle. Des tuyaux, des câbles électriques qui courent du sol au plafond. Sur le côté, un petit établi où traînent quelques outils, un fer à souder. Et derrière la vitre qui sépare la salle de commande de l’expérience, l’une des dernières acquisitions du Laboratoire de physique des solides (LPS), à Orsay : un aimant surpuissant de 14teslas 2 à vous arracher vos clés de la poche. Aimant dont les chercheurs attendent des merveilles pour révéler d’inédites propriétés quantiques de la matière, dans des expériences de résonance magnétique nucléaire (RMN), une technique visant à déterminer les propriétés de chaque électron d’un échantillon. « Nous avons terminé l’aménagement de cette nouvelle pièce de manip il y a deux mois », précise Julien Bobroff, expérimentateur au laboratoire. Et de poursuivre : « cryostat, spectromètre, logiciels informatiques… à l’exception de l’aimant, tout est fait maison. Et grâce à un contrôle à distance, l’expérience tourne 24 heures sur 24 ! » Comme l’explique Jean-Paul Pouget, directeur du laboratoire, « le développement d’une instrumentation originale est l’une de nos marques de fabrique. À laquelle s’ajoute la volonté de prendre en compte tous les aspects de la physique des solides, depuis l’étude de leur structure à celle de leurs propriétés électroniques, le tout à travers un fort couplage entre théorie et expérience. » Cet esprit, le LPS le cultive depuis sa création, il y a tout juste 50 ans. Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 Et il a fait ses preuves, puisque le laboratoire peut s’enorgueillir d’avoir abrité sous son toit deux des quatre derniers prix Nobel de physique français : Pierre-Gilles de Gennes en 1991, et Albert Fert, en 2007. À cette évocation, Jean-Paul Pouget sourit. Mais préfère focaliser la discussion sur le présent du LPS. AIMANTER OU CONDUIRE, PLUS BESOIN DE CHOISIR De l’électronique aux nanotechnologies en passant par la biologie, la physique du solide se porte à merveille. Le renouveau de la physique des électrons dans les matériaux en est la parfaite illustration. Confortablement installé dans la cafétéria du LPS, connue des physiciens français pour avoir été financée par deux importants prix scientifiques obtenus en 1966 par Raimond Casting et, en 1967, par André Guinier, Jacques Friedel et Pierre-Gilles de Gennes, Julien Bobroff explique : « La thématique générale est l’étude de matériaux de synthèse, dans lesquels les électrons, parce qu’ils sont contraints dans une ou deux dimensions, et donc se gênent les uns les autres, ont du mal à se déplacer. Naïvement, ces matériaux devraient être de mauvais conducteurs de l’électricité et ne pas être intéressants. Or paradoxalement, c’est dans ces matériaux que l’on a observé, ces dernières années, les propriétés les plus étonnantes. » Archétype de ces nouveaux états de la matière dont le LPS s’est fait une spécialité : la supraconductivité à haute température critique, observée dans des matériaux composés d’un millefeuille d’oxyde de cuivre (cuprates) ou plus récemment de fer (pnictide), et d’autres éléments. Un nom barbare derrière lequel se cache l’un des plus grands mystères de la physique actuelle. Dans les métaux, la supraconductivité est bien connue des physiciens. Elle survient lorsque la température avoisine le zéro absolu (– 273,15 °C), et se manifeste par une disparition de la résistance au passage d’un courant électrique. Les physiciens savent depuis les années 1960 qu’elle est le fruit de l’interaction entre les électrons et les vibrations de la matrice cristalline où elle circule. © B. Rajau/CNRS Photothèque/LPS Pour révéler les propriétés quantiques des supraconducteurs, les physiciens du LPS réalisent des expériences à très basse température. Grâce à leur nouvel aimant, les chercheurs vont étudier avec une précision inégalée les propriétés électroniques de différents matériaux.
L’état supraconducteur de cet oxyde (en noir) est mis en évidence dans une expérience de lévitation d’un aimant. En effet, la supraconduction se caractérise par l’expulsion hors de l’échantillon de tout champ magnétique. C’est l’effet Meissner. Cet appareil utilisé sur le synchrotron Soleil illustre la capacité du labo à réaliser une instrumentation originale. © F. Restagno, J. Bobroff/CNRS Photothèque Dans le cas des oxydes, la supraconductivité survient à bien plus haute température, avec un record à –135°C observé dans l’un d’entre eux. C’est encore très froid, mais beaucoup moins que dans le cas des métaux. Au point de faire rêver à des matériaux permettant d’acheminer de l’électricité sur de longues distances sans aucune perte à température ambiante. Sauf que jusqu’à aujourd’hui, personne n’a encore élucidé l’origine de la supraconductivité des oxydes. « Elle est d’autant plus mystérieuse qu’il suffit de modifier d’un rien la composition chimique d’un oxyde pour que dans un cas il soit supraconducteur et, dans l’autre, un matériau magnétique et isolant », détaille Julien Bobroff. Récemment, le physicien et son équipe ont obtenu un résultat étonnant. Dans une expérience de RMN, les chercheurs ont en effet découvert que tous les électrons présentaient du magnétisme 3 et, en même temps, la propriété de supraconduction. « C’est fascinant, s’exclame l’expérimentateur. Car en principe magnétisme et supraconduction ont plutôt tendance à s’exclure l’un l’autre. Or nos résultats suggèrent qu’ils pourraient avoir une origine commune dans le cas des pnictides. » Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs du LPS ont profité d’une étroite collaboration avec des physiciens et des chimistes du Service de physique de l’état condensée du CEA, à Saclay. Comme le précise Jean-Paul Pouget, « avec le CEA, l’université d’Orsay et les différents laboratoires de Palaiseau, le LPS jouit d’un environnement scientifique extraordinaire. Pour le mettre à profit, nous avons initié en 2006 un Réseau thématique de recherche avancée intitulé le « Triangle d’or de la physique » qui permet le financement de projets communs aux différents laboratoires associés. » De son côté, Véronique Brouet, autre spécialiste de la supraconduction à haute température critique au LPS, se prépare à profiter d’un autre voisinage. Celui de la source nationale de rayonnement synchrotron 4 Soleil, pour des expériences dites de photoémission. « Le laboratoire est à l’origine de plusieurs appareillages équipant certaines lignes de Soleil, en particulier la ligne de photoémission, explique la physicienne. Cette technique permet d’avoir accès à la relation entre l’énergie d’un électron et la direction dans laquelle il se propage au sein LE LABORATOIRE DE PHYSIQUE DES SOLIDES EN CHIFFRES Comptant parmi les plus importantes unités nationales en matière condensée, le LPS accueille entre 200 et 250 personnes au quotidien. Dont 61 chercheurs CNRS, 35 enseignants-chercheurs, 50 ingénieurs, techniciens et personnels administratifs et 35 doctorants. 18 équipes de recherche sont regroupées en trois axes : « Nouveaux états électroniques de la matière », « Phénomènes physiques aux dimensions réduites », « Matière molle et interface physique/biologie ». Les thèmes de recherche s’étendent donc des supraconducteurs aux tissus vivants, en passant par les cristaux liquides et les nano-objets. Entre 2005 et 2008, le LPS a produit 650 publications, dont 500 articles dans des revues internationales à comité de lecture. © V. Brouet Représentation schématique des moments magnétiques (ou spins) d’atomes de cuivre au sein d’un échantillon d’oxyde appelé échelle de spins. VIEDESLABOS 7 d’un matériau. C’est donc une technique complémentaire de la RMN qui, elle, donne des informations sur leur répartition spatiale. » UNE DÉSORGANISATION QUI MET DE L’ORDRE Grâce à la RMN, les chercheurs du LPS ont aussi obtenu des résultats remarquables sur des matériaux appelés échelles de spins, où le réseau cristallin forme les barreaux d’une échelle à l’extrémité desquels se positionnent les électrons. Dans un matériau standard, à très basse température, les spins de tous les électrons s’orientent soit tous dans la même direction, soit tête-bêche. On dit alors que le matériau présente un ordre magnétique. Inversement, dans une échelle de spins, les électrons s’orientent dans n’importe quelle direction. Le matériau est donc magnétiquement désordonné. « Or nous avons montré, en collaboration avec Nicolas Laflorencie, un jeune théoricien du laboratoire, qu’en retirant aléatoirement un atome magnétique sur 100, le système jusqu’alors désordonné, s’ordonnait ! », s’enthousiasme Julien Bobroff. Le résultat a en effet de quoi surprendre puisque c’est un peu comme si déplacer au hasard quelques livres d’une bibliothèque suffisait à positionner par ordre alphabétique tous les autres ! Gourmandise de spécialistes des bizarreries quantique ? Peut-être. Mais c’est aussi au LPS que le Prix Nobel Albert Fert a découvert en 1988 une autre étrange propriété de la matière condensée appelée magnétorésistance, à l’origine d’une nouvelle électronique fondée sur le magnétisme, la spintronique. « L’important est de faire en sorte que le laboratoire ne soit pas une tour d’ivoire, précise Jean-Paul Pouget. Ainsi nous encourageons les collaborations avec d’autres entités, avec des industriels et même entre les différents axes de recherches de nos équipes. Car c’est à l’interface entre les disciplines existantes qu’en apparaissent de nouvelles. » Les chercheurs du LPS sont donc sur tous les fronts de la matière condensée. Et grâce à leur nouvel aimant dédié à la RMN, probable que les spécialistes des électrons ne seront pas en reste. Mathieu Grousson 1. Unité CNRS/Université Paris-XI. 2. Le tesla est l’unité de mesure des champs magnétiques. En comparaison, celui de la Terre est de l’ordre de 50 microteslas. 3. C’est-à-dire que leur spin (aimantation interne) s’oriente dans une direction privilégiée. 4. Le rayonnement synchrotron est un rayonnement électromagnétique émis par des électrons en mouvement. CONTACTS ➔ Jean-Paul Pouget, pouget@lps.u-psud.fr ➔ Julien Bobroff, bobroff@lps.u-psud.fr ➔ Véronique Brouet, brouet@lps.u-psud.fr Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 © J. Bobroff



Autres parutions de ce magazine  voir tous les numéros


Liens vers cette page
Couverture seule :


Couverture avec texte parution au-dessus :


Couverture avec texte parution en dessous :