24 © G.Cavalli > L’ENQUÊTE tains gènes en se fixant dessus. En travaillant chez la drosophile, Anne-Marie Martinez et d’autres membres de l’équipe de Giacomo Cavalli à l’Institut de génétique humaine de Montpellier 10 ont mis en évidence l’action antitumorale de l’une de ces protéines. « En provoquant la mutation de cette protéine dans un œil de mouche, on s’aperçoit que les cellules perdent leur capacité de différenciation et prolifèrent de manière incontrôlée. Le tissu devient amorphe, envahit les organes voisins et finit par tuer l’hôte… Or ce sont DES VIRUS SANS GÊNE Aux côtés du tabac, des facteurs héréditaires, des ultraviolets et autres, il est une cause de cancer que l’on oublie parfois : les agents infectieux, responsables de près de 20% des cancers. Pour ne citer que les plus fréquents, Helicobacter pylori est à l’origine de 50% des cancers gastriques, les virus de l’hépatite B et C à l’origine de 80% des cancers du foie, et le virus du papillome humain de 95% des cancers du col de l’utérus. Le mode d’action de ces micro-organismes ? Il est très varié. Certains introduisent directement des oncogènes (voir infographie p. 23) au sein de la cellule hôte, d’autres ont une action détournée. « Par exemple, explique Jean- François Delfraissy, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le Sida et les hépatites virales (ANRS), certains pathogènes augmentent les risques de cancer en provoquant la suppression des réactions immunitaires ou bien une inflammation chronique, comme c’est le cas avec le virus de l’hépatite B ou Helicobacter. » La suppression des défenses immunitaires favorise en effet l’action d’autres virus cancérigènes et les tissus inflammés procurent un environnement idéal pour la croissance des cellules cancéreuses. Depuis plus de 10 ans, l’équipe Oncoprotéines de l’Institut de recherche de l’école supérieure de biotechnologie de Strasbourg 1 s’intéresse au virus du papillome humain qui provoque le cancer du col de l’utérus en exprimant deux petites protéines nommées E6 et E7 dans les cellules hôtes. Les chercheurs savaient que la protéine virale E6 cible et dégrade la protéine p53, bien connue des biologistes qui l’ont baptisée « le gardien du génome ». En s’appuyant Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 À gauche, un œil de drosophile normale. À droite, celui d’une drosophile dont on a muté une protéine qui empêche d’ordinaire la prolifération cellulaire. On voit alors une nette surcroissance due à la division anarchique des cellules. des caractéristiques typiques des tumeurs », explique Giacomo Cavalli. Les chercheurs ont ensuite décortiqué le mécanisme : la protéine Polycombempêche la prolifération et la formation des tumeurs en se fixant sur le gène Notch, régulateur bien connu du cycle cellulaire chez l’humain. Lorsque la fameuse protéine est mutée, le gène est déverrouillé et la machinerie s’emballe. Mais pour contrôler le développement cellulaire, les gènes et leurs régulateurs interviennent très souvent de concert. C’est pourquoi de plus en plus de scientifiques s’intéressent aux réseaux de sur la structure 3D de la protéine, ils ont donc décidé de modifier la surface de la protéine E6, et ont obtenu une forme mutante inopérante. « En exprimant ce mutant dans des cellules cancéreuses du col de l’utérus, on empêche la dégradation de p53 et on déclenche la sénescence des cellules, c’est-à-dire qu’elles arrêtent de se diviser, relate Murielle Masson, chargée de recherche dans l’équipe Oncoprotéines. Ces travaux démontrent que l’on peut arrêter la prolifération des cellules cancéreuses et donc les éliminer. » À travers tous ces travaux, les biologistes espèrent trouver de nouvelles voies thérapeutiques complémentaires de la vaccination préventive. « Les vaccins contre le papillomavirus et l’hépatite B sont les deux grands succès de la vaccination préventive, réagit Jean-François Delfraissy. De nombreuses équipes travaillent actuellement à la mise au point d’un vaccin contre l’hépatite C et Helicobacter. » Laurianne Geffroy 1. Institut CNRS/Université Strasbourg. Contacts : Jean-François Delfraissy, jf.delfraissy@anrs.fr Murielle Masson, murielle.masson@unistra.fr © M.Masson & G.Trave gènes et de facteurs épigénétiques. Un exemple avec les récents travaux de Laurent Journot, directeur de recherche à l’Institut de génomique fonctionnelle 11. « Certains ensembles de gènes sont soumis à empreinte génomique : dans leur cas, c’est toujours l’allèle 12 maternel qui est exprimé et l’allèle paternel qui est réprimé, ou l’inverse. Et jusqu’à très récemment, on ne voyait pas de lien fonctionnel entre ces gènes, expose le chercheur. Finalement, nous avons montré qu’ils sont impliqués dans le contrôle de la croissance normale mais aussi dans la croissance tumorale lorsqu’ils sont altérés. » Une approche qui permet de pointer du doigt les gènes impliqués dans les mécanismes de contrôle et qu’il serait bon de surveiller de près. Pour comprendre le cancer dans son ensemble, l’une des clés de la réussite réside sans aucun doute dans l’échange d’informations entre chercheurs. Car, résolument, comme l’affirme Laurent Journot : « La biologie cellulaire, ce n’est pas compliqué, c’est complexe ! Les mécanismes sont relativement simples à décrire mais les scénarios possibles innombrables. » Laurianne Geffroy Modèle en trois dimensions de la protéine E6, impliquée dans le cancer du col de l’utérus. 1. Unité CNRS/Inserm/Université Paris-VI. 2. Substance étrangère à l’organisme susceptible de déclencher une réponse immunitaire. 3. Institut CNRS/Universités Montpellier-I et -II. 4. Laboratoire CEA/Inserm/Paris-VI. 5. Unité CNRS/Inserm/Institut Curie/Université Paris-VI. 6. Intermédiaire entre l’ADN et la fabrication des protéines. 7. Unité CNRS/Université de Nice. 8. Fédération de recherche CNRS. 9. La plateforme automatisée Pari est hébergée par l’Institut André-Lwoff « Biologie intégrée de la cellule, virus et cancer ». Institut fédératif de recherche CNRS/Inserm/Université Paris-XI/Assistance publique-Hôpitaux de Paris. 10. Unité CNRS/Universités Montpellier-I et -II. 11. Unité CNRS/Inserm/Universités Montpellier-I et -II. 12. Les allèles sont les différentes versions d’un gène. CONTACTS ➔ Giacomo Cavalli, giacomo.cavalli@igh.cnrs.fr ➔ Annick Harel-Bellan, ahbellan@vjf.cnrs.fr ➔ Jean-René Huynh, jean-rene.huynh@curie.fr ➔ Laurent Journot, laurent.journot@igf.cnrs.fr ➔ David Klatzmann, david.klatzmann@upmc.fr ➔ Stéphane Noselli, noselli@unice.fr ➔ Ellen Van Obberghen-Schilling, vanobber@unice.fr ➔ Paul-Henri Roméo, paul-henri.romeo@cea.fr ➔ Marc Sitbon, marc.sitbon@igmm.cnrs.fr |