CNRS Le Journal n°238 novembre 2009
CNRS Le Journal n°238 novembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°238 de novembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3 Mo

  • Dans ce numéro : Cancer, la recherche durcit le combat

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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24 © G.Cavalli > L’ENQUÊTE tains gènes en se fixant dessus. En travaillant chez la drosophile, Anne-Marie Martinez et d’autres membres de l’équipe de Giacomo Cavalli à l’Institut de génétique humaine de Montpellier 10 ont mis en évidence l’action antitumorale de l’une de ces protéines. « En provoquant la mutation de cette protéine dans un œil de mouche, on s’aperçoit que les cellules perdent leur capacité de différenciation et prolifèrent de manière incontrôlée. Le tissu devient amorphe, envahit les organes voisins et finit par tuer l’hôte… Or ce sont DES VIRUS SANS GÊNE Aux côtés du tabac, des facteurs héréditaires, des ultraviolets et autres, il est une cause de cancer que l’on oublie parfois : les agents infectieux, responsables de près de 20% des cancers. Pour ne citer que les plus fréquents, Helicobacter pylori est à l’origine de 50% des cancers gastriques, les virus de l’hépatite B et C à l’origine de 80% des cancers du foie, et le virus du papillome humain de 95% des cancers du col de l’utérus. Le mode d’action de ces micro-organismes ? Il est très varié. Certains introduisent directement des oncogènes (voir infographie p. 23) au sein de la cellule hôte, d’autres ont une action détournée. « Par exemple, explique Jean- François Delfraissy, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le Sida et les hépatites virales (ANRS), certains pathogènes augmentent les risques de cancer en provoquant la suppression des réactions immunitaires ou bien une inflammation chronique, comme c’est le cas avec le virus de l’hépatite B ou Helicobacter. » La suppression des défenses immunitaires favorise en effet l’action d’autres virus cancérigènes et les tissus inflammés procurent un environnement idéal pour la croissance des cellules cancéreuses. Depuis plus de 10 ans, l’équipe Oncoprotéines de l’Institut de recherche de l’école supérieure de biotechnologie de Strasbourg 1 s’intéresse au virus du papillome humain qui provoque le cancer du col de l’utérus en exprimant deux petites protéines nommées E6 et E7 dans les cellules hôtes. Les chercheurs savaient que la protéine virale E6 cible et dégrade la protéine p53, bien connue des biologistes qui l’ont baptisée « le gardien du génome ». En s’appuyant Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 À gauche, un œil de drosophile normale. À droite, celui d’une drosophile dont on a muté une protéine qui empêche d’ordinaire la prolifération cellulaire. On voit alors une nette surcroissance due à la division anarchique des cellules. des caractéristiques typiques des tumeurs », explique Giacomo Cavalli. Les chercheurs ont ensuite décortiqué le mécanisme : la protéine Polycombempêche la prolifération et la formation des tumeurs en se fixant sur le gène Notch, régulateur bien connu du cycle cellulaire chez l’humain. Lorsque la fameuse protéine est mutée, le gène est déverrouillé et la machinerie s’emballe. Mais pour contrôler le développement cellulaire, les gènes et leurs régulateurs interviennent très souvent de concert. C’est pourquoi de plus en plus de scientifiques s’intéressent aux réseaux de sur la structure 3D de la protéine, ils ont donc décidé de modifier la surface de la protéine E6, et ont obtenu une forme mutante inopérante. « En exprimant ce mutant dans des cellules cancéreuses du col de l’utérus, on empêche la dégradation de p53 et on déclenche la sénescence des cellules, c’est-à-dire qu’elles arrêtent de se diviser, relate Murielle Masson, chargée de recherche dans l’équipe Oncoprotéines. Ces travaux démontrent que l’on peut arrêter la prolifération des cellules cancéreuses et donc les éliminer. » À travers tous ces travaux, les biologistes espèrent trouver de nouvelles voies thérapeutiques complémentaires de la vaccination préventive. « Les vaccins contre le papillomavirus et l’hépatite B sont les deux grands succès de la vaccination préventive, réagit Jean-François Delfraissy. De nombreuses équipes travaillent actuellement à la mise au point d’un vaccin contre l’hépatite C et Helicobacter. » Laurianne Geffroy 1. Institut CNRS/Université Strasbourg. Contacts : Jean-François Delfraissy, jf.delfraissy@anrs.fr Murielle Masson, murielle.masson@unistra.fr © M.Masson & G.Trave gènes et de facteurs épigénétiques. Un exemple avec les récents travaux de Laurent Journot, directeur de recherche à l’Institut de génomique fonctionnelle 11. « Certains ensembles de gènes sont soumis à empreinte génomique : dans leur cas, c’est toujours l’allèle 12 maternel qui est exprimé et l’allèle paternel qui est réprimé, ou l’inverse. Et jusqu’à très récemment, on ne voyait pas de lien fonctionnel entre ces gènes, expose le chercheur. Finalement, nous avons montré qu’ils sont impliqués dans le contrôle de la croissance normale mais aussi dans la croissance tumorale lorsqu’ils sont altérés. » Une approche qui permet de pointer du doigt les gènes impliqués dans les mécanismes de contrôle et qu’il serait bon de surveiller de près. Pour comprendre le cancer dans son ensemble, l’une des clés de la réussite réside sans aucun doute dans l’échange d’informations entre chercheurs. Car, résolument, comme l’affirme Laurent Journot : « La biologie cellulaire, ce n’est pas compliqué, c’est complexe ! Les mécanismes sont relativement simples à décrire mais les scénarios possibles innombrables. » Laurianne Geffroy Modèle en trois dimensions de la protéine E6, impliquée dans le cancer du col de l’utérus. 1. Unité CNRS/Inserm/Université Paris-VI. 2. Substance étrangère à l’organisme susceptible de déclencher une réponse immunitaire. 3. Institut CNRS/Universités Montpellier-I et -II. 4. Laboratoire CEA/Inserm/Paris-VI. 5. Unité CNRS/Inserm/Institut Curie/Université Paris-VI. 6. Intermédiaire entre l’ADN et la fabrication des protéines. 7. Unité CNRS/Université de Nice. 8. Fédération de recherche CNRS. 9. La plateforme automatisée Pari est hébergée par l’Institut André-Lwoff « Biologie intégrée de la cellule, virus et cancer ». Institut fédératif de recherche CNRS/Inserm/Université Paris-XI/Assistance publique-Hôpitaux de Paris. 10. Unité CNRS/Universités Montpellier-I et -II. 11. Unité CNRS/Inserm/Universités Montpellier-I et -II. 12. Les allèles sont les différentes versions d’un gène. CONTACTS ➔ Giacomo Cavalli, giacomo.cavalli@igh.cnrs.fr ➔ Annick Harel-Bellan, ahbellan@vjf.cnrs.fr ➔ Jean-René Huynh, jean-rene.huynh@curie.fr ➔ Laurent Journot, laurent.journot@igf.cnrs.fr ➔ David Klatzmann, david.klatzmann@upmc.fr ➔ Stéphane Noselli, noselli@unice.fr ➔ Ellen Van Obberghen-Schilling, vanobber@unice.fr ➔ Paul-Henri Roméo, paul-henri.romeo@cea.fr ➔ Marc Sitbon, marc.sitbon@igmm.cnrs.fr
© A. Hovanessian Conçue par des chercheurs du CNRS, la molécule HB-19 (en rouge et jaune) est capable de se fixer sur certaines cellules cancéreuses (en vert) et d’empêcher leur prolifération. Vers des traitements plus ciblés Grossières et non exemptes d’effets secondaires. Ainsi pourraient parfois se résumer les armes traditionnelles anticancer que sont la chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie. Mais la relève arrive. À la fois plus précis en termes de quantités de médicaments administrés et de ciblage des cellules, de nouveaux traitements développés dans les labos du CNRS laissent entrevoir à plus ou moins long terme des suivis thérapeutiques adaptés aux patients et au type de cancer concerné. Mieux traiter le cancer, c’est d’abord mieux le diagnostiquer. Or le scanner à rayonsX, l’outil principal de diagnostic, exige un minimum de contraste de densité entre les tissus sains et tumoraux. Chez certaines femmes et pour certains cancers, ce seuil n’est pas atteint, rendant les images obtenues difficilement lisibles pour le radiologue. Dans le cas du cancer du sein, un nouveau type d’échographe, développé par Mathias Fink et son équipe de l’Institut Langevin « ondes et images » 1, devrait améliorer nettement le diagnostic et le dépistage précoce des tumeurs. Cet appareil est le premier échographe à observer la propagation d’ondes ignorées jusqu’à présent par les appareils : les ondes de cisaillement 2. Pour réaliser cet exploit, l’appareil envoie d’abord des ultrasons dans la région d’intérêt, où ceux-ci créent un micro-séisme qui déclenche l’émission d’ondes de cisaillement. Un processeur dit à retournement temporel analyse ensuite ces ondes et dresse à partir d’elles une carte quantitative, précise au millimètre près, de l’élasticité des tissus. Or cette dernière n’est ni plus ni moins ce que cherchent à mesurer les médecins lorsqu’ils établissent un diagnostic en palpant le sein. « Quand on marie cette image d’élasticité avec l’échographie standard, nous obtenons quatre-vingtdix-neuf pour cent de spécificité dans la détection des tumeurs du sein », se réjouit Mathias Fink. Autrement dit, la méthode ne donne presque jamais de faux positifs. Seule l’IRM est capable de rivaliser avec une telle précision, mais pour un coût d’équipement nettement supérieur. C’est la société Supersonic Imagine, spécialement créée pour l’occasion et dont le CNRS est actionnaire, qui commercialise l’échographe multi-ondes à retournement temporel 3. En moins d’un an, vingt-cinq appareils ont déjà été livrés dans le monde, et autant ont été commandés. L’autorisation de mise sur le marché américain, accordée en août, devrait accélérer le déploiement de l’instrument. En attendant, Supersonic Imagine travaille sur l’application du principe à d’autres régions du corps. UNE PROTÉINE ORACLE Mais pour établir un diagnostic complet de la tumeur et planifier le traitement adéquat, localiser les cellules cancéreuses ne suffit pas dans tous les cas. Car des tumeurs a priori similaires peuvent évoluer différemment d’un individu à un autre. Avec le résultat qu’une chimiothérapie légère puisse se révéler insuffisante en cours de traitement, ou, au contraire, qu’un patient subisse les désagréments d’une chimiothérapie lourde quand un traitement superficiel aurait suffi. Les travaux menés en ce moment par Geneviève Almouzni, chercheuse au laboratoire « Dynamique nucléaire et plasticité du génome » 4, laissent espérer dans un Les futures cellules cancéreuses du sein expriment la molécule HP1alpha bien avant leur dégénérescence. Cette découverte pourrait servir à mieux diagnostiquer ce cancer. L’ENQUÊTE 25 avenir proche une meilleure prédiction du développement du cancer, au moins celui du sein. Au départ de ces travaux, il y a une observation faite dans le laboratoire de Geneviève Almouzni sur des échantillons de la banque de tissus de l’Institut Curie : la protéine HP1alpha, ordinairement présente dans les cellules, est surreprésentée dans les cellules tumorales. Les échantillons avaient été prélevés en 1995 sur des patientes atteintes d’un cancer du sein, permettant des études futures de leurs tissus. Toutes les femmes qui ont développé par la suite des métastases se sont révélées posséder, sous l’œil du microscope de Geneviève Almouzni, un fort taux de HP1alpha dans les cellules du sein. Il existe donc un parallèle entre l’expression de cette protéine et l’évolution du cancer. Tourné d’une autre manière, la concentration en HP1alpha des cellules pourrait servir d’indice pour prédire l’apparition de métastases. « Cela va permettre de guider les médecins, qui sont en attente de meilleurs outils de diagnostic, s’enthousiasme Geneviève Almouzni. C’est un message d’espoir, même si nous devons d’abord affiner nos conclusions ». Une demande de brevet est en cours, pour des applications thérapeutiques pas attendues avant plusieurs années. Si un traitement mieux adapté à l’évolution de la maladie permettra de réduire les effets secondaires de la chimiothérapie, il n’éliminera pas totalement la chute des cheveux, nausées et autre fatigue. Et pour cause : la chimiothérapie, le traitement des cancers avec des molécules médicamenteuses, frappe sans discernement le corps tout entier, cellules tumorales comme cellules saines. D’où l’intérêt de la découverte de l’équipe d’Ara Hovanessian, du laboratoire « Régulation de la transcription et maladies génétiques » du CNRS, qui a mis au jour une voie chimique pour cibler spécifiquement les cellules cancéreuses, via une protéine membranaire des cellules tumorales, la nucléoline. Protéine non pathologique, la nucléoline joue un rôle dans la croissance des tissus. Présente en faible quantité sur les cellules saines, elle est fortement exprimée à la fois sur les cellules en multiplication rapide comme les cellules cancéreuses, et sur les cellules des vaisseaux sanguins accompagnant les tumeurs. En bloquant l’action de cette protéine, on pourrait stopper spécifiquement le développement des cellules tumorales et sanguines. Une stra- > Section 1 Section 2 Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 © Noak/Le Bar Floréal/L.de Koning/C.-G. Almouzni-C. Charré/UMR218 CNRS-Institut Curie



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