22 L’ENQUÊTE COMMENT SE FORME UNE TUMEUR Cette mutation supplémentaire affranchit encore plus la cellule du contrôle exercé par son environnement. La prolifération s’accroît et donne naissance à des cellules filles qui cumulent les deux mutations. Jusqu’à ce qu’une nouvelle mutation touche l’une d’elles (cellule la plus foncée). VAISSEAUX SANGUINS Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 Le cancer commence par l’apparition d’une cellule mutante, une seule parmi les quelque 60000milliards qui constituent le corps humain et dont certaines se renouvellent chaque jour. Elle a subi une modification dans l’ADN de son noyau : une mutation. Cette mutation lui fait ignorer certains des signaux qui normalement limitent sa prolifération. Elle se divise trop vite. Et les cellules filles issues de ces divisions héritent elles aussi de la mutation. Et puis, des mois ou des années plus tard, l’une des cellules filles subit une mutation supplémentaire (cellule la plus foncée sur le dessin). Les cellules mutantes s’entassent les unes sur les autres et commencent à former une TUMEUR. Celleci peut rester confinée dans son tissu d’origine. Ou bien, l’une des cellules tumorales peut subir une mutation de plus…(cellule la plus foncée). > virus comme nouveaux marqueurs métaboliques. » Les chercheurs espèrent ainsi utiliser les transporteurs pour repérer les cellules cancéreuses, et en déduire s’il faut alléger ou intensifier les traitements en fonction du nombre de transporteurs et donc du stade de développement. Et pourquoi pas, un jour, réussir à bloquer ces transporteurs pour couper les vivres aux cellules tumorales. DES SOUCHES RÉCALCITRANTES Autre piste qui revient en force actuellement : les cellules souches cancéreuses. « De nombreux travaux ont permis d’établir la présence de tels éléments cellulaires, minoritaires (de l’ordre de quelques pour cent de cellules de la tumeur), au sein de lésions cancéreuses du sein, du côlon, de la prostate, du cerveau, confirme Daniel Louvard, directeur du Centre de recherche de l’Institut Curie. On soupçonne ces cellules d’être directement à l’origine de la prolifération cancéreuse. Si ce concept est validé, il va bouleverser la lecture que l’on a pu faire jusqu’ici des processus cancéreux. » Si on ignore encore précisément leur rôle, on sait en revanche qu’elles se comportent comme des cellules souches classiques : elles se multiplient indéfiniment et peuvent ensuite se différencier pour donner différentes cellules tumorales. Ces petits groupes de cellules posent un gros problème : « Beaucoup de médicaments ciblent les cellules qui prolifèrent. Or les cellules souches cancéreuses, comme les cellules souches normales, peuvent très bien rester sans se multiplier pendant des mois, voire des années. Si elles sont en quiescence, le traitement n’a aucun effet sur elles », explique Paul-Henri Roméo, directeur du Laboratoire de recherche sur la réparation et la transcription dans les cellules souches 4. Les scientifiques tentent aujourd’hui d’isoler ces cellules récalcitrantes afin de les étudier, l’objectif final étant d’élaborer de nouveaux traitements capables de les détruire tout en préservant les cellules souches normales. « Il y a peutêtre différents types de cellules souches cancéreuses à l’intérieur d’une même tumeur. Donc réussir à caractériser parfaitement une cellule souche ne signifie pas forcément que TUMEUR EN FORMATION …qui lui permet de se glisser au travers des VAISSEAUX SANGUINS. Ceux-ci deviennent d’ailleurs de plus en plus ramifiés au voisinage de la tumeur. Ils alimentent les cellules cancéreuses, gourmandes en glucose, et leur intense prolifération. l’on pourra éradiquer complètement cette population, tempère Paul-Henri Roméo. Mais ce sera déjà un grand pas en avant ! » Mais les avancées viendront peut-être aussi des recherches sur les cellules souches normales. C’est en tout cas ce que laissent penser les récents travaux de l’équipe de Jean-René Huynh du laboratoire Génétique et biologie du développement 5 : ceux-ci ont révélé l’un des mécanismes qui régule l’équilibre entre prolifération et différenciation. « On a montré qu’au moment où la cellule souche se divise, les protéines qui servent à faire des ribosomes –les composants de la cellule chargés de synthétiser les protéines en décodant l’information contenue dans l’ARN messager 6 – se répartissent de manière inégale entre les deux cellules filles, relate Jean-René Huynh. S’il n’y a pas assez de ribosomes dans la cellule qui doit redevenir cellule souche, celle-ci se différencie. Et s’il y en a trop dans la cellule qui doit se différencier, elle continue à se diviser, ce qui va engendrer l’apparition de tumeurs. » Une découverte de taille. CES CELLULES QUI MIGRENT Autre terrain de recherche, le microenvironnement dans lequel baignent les cellules tumorales et qui subit de multiples transformations à mesure de la progression de la maladie. Et notamment celle de la matrice extracellulaire, qui assure la cohésion et l’organisation des tissus. « L’importance de la matrice a longtemps été sousestimée, relate Ellen Van Obberghen-Schilling, de l’Institut de signalisation, biologie du développement et cancer (IBDC) 7. Pourtant, les cellules tumorales et celles présentes autour de la tumeur lui envoient des signaux pour la remanier. Et la matrice modifiée exerce ensuite une influence majeure sur la prolifération et la dispersion des métastases. » Son équipe s’intéresse justement à ces échanges de signaux et plus particulièrement aux intégrines, des protéines qui permettent à la cellule tumorale de s’ancrer dans son environnement et de communiquer avec lui. « Les intégrines recrutent des protéines comme la protéine ILK pour transformer les signaux en action. Nous avons ainsi démontré qu’ILK jouait un rôle clé dans l’assemblage de différentes protéines qui vont former des sortes de rails : ces derniers favorisent le déplacement (la MÉTASTASES TUMEUR |