16 PAROLED’EXPERT La campagne de vaccination contre la grippe A, dont on redoute une pandémie, a commencé. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le virus H1N1 responsable de cette grippe ? Brigitte Autran : C’est un virus de type influenza A, le plus fréquemment impliqué dans les grippes humaines. Mais il s’agit d’un variant d’origine porcine avec lequel l’homme n’avait jamais été en contact. Son hémagglutinine 2 (H) est de type 1, d’où le nom du virus. Elle fait partie de l’arsenal utilisé par celui-ci pour se fixer aux récepteurs des cellules de nos muqueuses et les infecter. Ces récepteurs sont très similaires à ceux du porc, c’est pourquoi le virus a facilement été transmis à l’humain. De plus, nos récepteurs du nez, de la gorge et de la trachée sont très sensibles à l’hémagglutinine en question. La contamination par voie aérienne, quand on parle, on éternue, etc., est donc très forte. Mais un tel virus provoque surtout des infections bénignes. Au contraire du fameux H5N1, dont on parlait tant l’an dernier, qui touche surtout les récepteurs de l’arbre respiratoire bas (bronches et bronchioles), qui se répand donc moins facilement dans la population, mais provoque plus de pneumonies graves voire mortelles. Alors pourquoi ce branle-bas de combat autour du H1N1 ? B. A. : Nous avons presque tous gardé en mémoire dans notre système immunitaire des réponses au virus de la grippe ordinaire dont les variants circulent annuellement dans l’humanité. Mais le variant H1N1 est différent. Notre système immunitaire est naïf face à lui. Plus d’individus seront donc infectés. Par ailleurs, une grippe ordinaire, même si elle est en général bénigne, provoque toujours un petit pourcentage de formes graves. Si le nombre total de cas augmente, celui des formes graves nécessitant une hospitalisation aussi. La responsabilité des pouvoirs publics est donc certes de limiter la propagation Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 Brigitte Autran, professeur d’immunologie à la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie, co-directrice de l’Institut fédératif de recherche Immunité-cancer-infection 1, à Paris Grippe A : le point sur le vaccin du virus, mais surtout d’en limiter la gravité en recommandant à la population de se faire vacciner. C’est une question de santé publique. Qui sera prioritaire pour être vacciné ? B. A. : Nous encourageons d’abord les personnes les plus exposées aux risques d’infection et au développement d’une forme grave : femmes enceintes et enfants en bas âge. Puis les personnes ayant des facteurs de risques (système immunitaire affaibli, insuffisances cardiaques ou respiratoires, etc.) : jeunes d’abord, adultes et personnes âgées ensuite. Pourquoi les jeunes avant les autres ? Parce qu’en réalité tout le monde n’est pas aussi naïf face à ce virus. Selon une récente étude américaine 3, environ 30% des plus de 60 ans ont gardé en mémoire une réponse immunitaire car ils ont été en contact avec un cousin de ce virus qui a sévit jusqu’en 1957. Vous menez actuellement des études sur le « Les études menées actuellement permettront de tirer des leçons de cet épisode pandémique. » vaccin. N’ont-elles pas déjà été réalisées par les industriels avant d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché ? B. A. : Les industriels réalisent leurs essais cliniques sur des sujets sains. C’est la procédure habituelle requise par les agences sanitaires de tous les pays. Côté chercheurs, nous avons lancé des études sur la réponse immunitaire induite par le vaccin chez des populations de femmes enceintes, de patients infectés par le VIH et de personnes transplantées. Ces populations, très circonscrites, sont habituellement vaccinées sans qu’on dispose de résultats d’essais cliniques. Cela ne veut pas dire que le vaccin actuel présente plus de risques pour elles que pour les autres, mais que nous voulons vérifier l’immunogénicité 4 du vaccin dans ces populations. D’ailleurs, il est peu différent de celui de la grippe ordinaire, en dehors du fait qu’il contient un adjuvant, substance qui accélère et amplifie la réponse immunitaire. Dans le cas présent, il s’agit d’un adjuvant huileux déjà utilisé pour la grippe depuis plus de cinq ans 5 aux États-Unis sans effets néfastes. D’autres projets de recherche ont-ils été lancés en France ? B. A. : Oui, une quinzaine. Parmi eux, citons les recherches visant à développer les systèmes de diagnostic précis adaptés aux études épidémiologiques. Les méthodes actuelles réclament en effet un matériel de pointe qu’on ne peut solliciter pour chaque cas. Citons également la recherche de facteurs génétiques associés aux formes graves de la maladie. Et bien sûr, des recherches fondamentales sur le virus lui-même. L’ensemble de ces études nous permettra de tirer des leçons de cet épisode pandémique. Elles serviront peut-être vis-à-vis de futurs virus de ce type, issus des différentes espèces chez lesquelles ils ont séjourné. Ils ont toujours existé et nous devrons à l’avenir leur livrer bien d’autres batailles. Propos recueillis par Charlie Zeitguer 1. Unité CNRS/Université Paris-VI/Inserm/Assistance publique hôpitaux de Paris. 2. Protéine particulière présente à la surface du virus de la grippe. 3. New England Journal of Medicine, publié en ligne le 10 septembre 2009. 4. Capacité à induire une réaction immunitaire. 5. Vaccin Gripguard de la firme Chiron-Novartis. CONTACT ➔ Brigitte Autran Institut « Immunité-cancer-infection », Paris brigitte.autran@psl.aphp.fr |