14 INNOVATION Entretien SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES Dialogue avec les entreprises Depuis 18 ans, l’Association nationale de valorisation interdisciplinaire des sciences humaines et sociales auprès des entreprises (Anvie) éclaire les décisions des cadres supérieurs de grands groupes français. Antoine Rebiscoul, son nouveau délégué général, décrypte comment l’Anvie a réussi ce pari osé. L’Anvie est un organisme incontournable en matière de valorisation de la recherche en sciences humaines et sociales auprès des entreprises. Quelles sont les recettes de ce succès ? Antoine Rebiscoul : Nous essayons de comprendre quels sont les enjeux humains, sociaux et sociétaux des entreprises. Car leurs performances et leur productivité en dépendent. Pour cela, l’Anvie se met à l’écoute à la fois du monde économique et des dernières avancées de la recherche en sciences humaines et sociales. Ce travail de veille et d’analyse prospective permet de concevoir et de proposer aux grandes entreprises françaises une quarantaine d’opérations annuelles sur des questions à la pointe de leurs préoccupations. « Le comportement du consommateur en magasin », « la gestion du stress et du bien-être au travail » sont des exemples de thématiques abordées. Ces actions menées sous forme d’ateliers, de groupes de travail interentreprises ou bien de séminaires internes, assurent la médiation et la collaboration entre la recherche et les firmes. Elles mobilisent environ 300 chercheurs et 1000 cadres d’entreprise. Plus concrètement, comment se déroulent ces opérations ? A. R. : Ensemble, chercheurs et cadres supérieurs réfléchissent, comparent, échangent leurs connaissances et leurs expériences pour réussir à concevoir des actions innovantes. Lors d’un groupe de travail sur le développement de la précarité 1, par exemple, GDF Suez et d’autres sociétés souhaitaient construire une réflexion autour de la mise LE CNRS ET L’ANVIE : UNE ÉTROITE COLLABORATION Le CNRS est fortement impliqué dans cette association depuis sa création en 1991. Aux côtés de plusieurs institutions de recherche (Maison des sciences de l’homme, École des hautes études en sciences sociales), de grandes entreprises (Danone, Lafarge, Pechiney, L’Oréal, Caisse d’Epargne, Elf) et des pouvoirs publics, le CNRS a manifesté la nécessité de rapprocher la recherche en sciences humaines et sociales des enjeux concrets des entreprises. Aujourd’hui encore, avec son vivier d’experts en sciences humaines et sociales, il participe grandement aux actions organisées par l’Anvie. G. V. Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 en œuvre de nouvelles actions préventives pour lutter contre la précarité. Grâce à l’éclairage d’intervenants tel que Serge Paugam, sociologue et directeur de recherche CNRS au Centre Maurice- Halbwachs 2, elles ont pu en comprendre les composantes et identifier les processus qui y conduisent. Ces échanges ont donné des pistes aux établissements pour maintenir leur activité tout en essayant de permettre l’accès à leurs services au plus grand nombre (mise en place de tarifs préférentiels par exemple). La RATP, Sanofi Aventis, la SNCF… Plus d’une trentaine d’entreprises ont adhéré à l’Anvie et plus d’une centaine participent à ses actions. Qu’est-ce qui les pousse à vouloir engager ces réflexions ? A. R. : Alors que les entreprises raisonnent de façon économique, les sciences humaines et sociales s’intéressent davantage à la société dans son intégralité : ses usages, ses catégories socioprofessionnelles, etc. Elles abordent l’impact des faits de société sur l’activité économique et industrielle sous l’angle de la sociologie, la démographie, l’économie, la psychologie ou encore l’ethnologie. La multiplication des disciplines donne une vision stratégique complète aux entreprises pour être plus performantes et compé- titives. C’est pourquoi, nous ne souhaitons pas, lors de nos opérations, valoriser une discipline au détriment d’une autre. Les sciences humaines et sociales sont devenues pour les entreprises un enjeu d’innovation et de développement. Auriez-vous un exemple ? A. R. : Les résultats d’une étude sociologique 3 sur l’analyse de la mobilité et son évolution – aussi bien celle des personnes que celle des objets, des services ou des informations – ont pu montrer que la voiture en ville aujourd’hui n’avait de sens que si elle était facilement accessible, pouvait circuler et se poser là où on le souhaitait. Les normes sociétales, les contraintes économiques (prix de l’essence élevé, coût du stationnement, crise du pouvoir d’achat…) et environnementales se sont modifiées. Pour répondre à ces nouvelles préoccupations, la SNCF a par exemple répondu à l’appel d’offres pour la mise en place de voitures électriques en libre service (Autolib’). Son objectif ? Faire venir les voyageurs dans ses trains et donc jusqu’à la gare. En tant que nouveau délégué général de l’Anvie, quelles évolutions souhaitez-vous concernant ces échanges entre la recherche en sciences humaines et sociales et l’entreprise ? A. R. : L’Anvie fonctionne essentiellement sous la forme de moments ponctuels d’échanges et de concertation. Ces derniers ont pu servir d’amorces à la formulation de projets concernant par exemple la diversité dans le corps social de l’entreprise, les politiques de motivation des collaborateurs… Or, notre ambition est d’accompa- DR |