CNRS Le Journal n°238 novembre 2009
CNRS Le Journal n°238 novembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°238 de novembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3 Mo

  • Dans ce numéro : Cancer, la recherche durcit le combat

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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12 VIEDESLABOS Actualités ANTHROPOLOGIE Les adolescents bien dans leurs assiettes Pour connaître les vraies habitudes alimentaires des adolescents, des scientifiques les ont observés dans leur quotidien. Et leurs premières conclusions vont contre bien des idées reçues. Certains chercheurs du CNRS 1 et enseignants-chercheurs 2 des universités de Marseille et de Strasbourg ont de bien curieuses manières. En effet, depuis deux ans déjà, quinze d’entre eux squattent fermement la cuisine d’honnêtes citoyens, passent avec eux leurs fêtes de famille, s’invitent à la cantine du petit, se servent même généreusement et sans vergogne une jolie part de bûche le jour de Noël. Ne riez pas, cela pourrait aussi vous arriver. Car la vaste enquête sur l’alimentation adolescente qui a déjà mené ces sociologues, ethnologues et bio-anthropologues chez plus de cinq cents familles n’est pas encore bouclée. Il reste un an de travail et de terrain avant le grand colloque international prévu en 2010 qui devrait se tenir au siège du CNRS. Heureusement, les chercheurs du programme Ocha (Observatoire Cniel 3 des habitudes alimentaires), impatients, nous ont déjà livré leurs premiers résultats les 12 et 13 octobre derniers, lors du colloque AlimAdos à Paris. Et ils sont déconcertants. Première chose observée : aucun péril jeune sur la fameuse malbouffe, souvent décriée. Certes, les adolescents consomment des hamburgers, des sodas et des pizzas. Mais en famille, ils aiment la bonne cuisine, diversifiée, celle qu’on prend ensemble. Et ils font même souvent l’éloge de la cuisine de leur grandmère. Deuxième chose, « la nourriture leur permet de se construire une identité, décrypte Gilles Boëtsch, directeur de recherche et président du Conseil scientifique du CNRS. Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es. Aujourd’hui, l’aliment renvoie aux pratiques alimentaires, à la religion, à la mode, aux régimes, à une convivialité intergénérationnelle et entre pairs. Mais aussi à la différence entre filles et garçons. » Ces derniers mangent des aliments énergétiques, de la viande, des sandwichs, des pâtes, pour être plus forts. Tandis que les filles tiennent compte de leur ligne à partir Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 de 12 ans et achètent des salades toutes faites et des fruits. Si les garçons se soucient aussi de leurs corps, ils le sculptent plus avec le sport qu’en ayant recours aux restrictions alimentaires. Autre chose importante, « il n’y a pas de véritable risque sur l’obésité ou l’anorexie, martèle Gilles Boëtsch. En réalité, les adolescents sont plutôt saturés de messages nutritionnels, type « cinq fruits et légumes par jour ». » Mais ceux-ci sont souvent contradictoires : il leur faudrait surveiller leur alimentation en se faisant plaisir, et le tout en restant mince. La culpabilité qui en découle fait tanguer certains ados entre des comportements raisonnables la plupart du temps et des après-midi de tentations où ils ingèrent barres chocolatées, bonbons et sodas. Enfin, il y a le discours sur le sain, le malsain. Les aliments mous, bouillis ou gélatineux jugés écœurants, et ceux, crus et frais, avec une belle couleur, à adopter. « L’aspect prime sur le goût, ils doivent pouvoir reconnaître ce qui est dans leur Contrairement aux garçons, les adolescentes s’orientent très tôt vers les salades et les fruits. © ZIR/SIGNATURES assiette », retient Véronique Pardo, anthropologue à l’Ocha et coordinatrice du programme ANR AlimAdos. Reste une question, de taille. Comment un chercheur en vient-il à passer ses journées pendu aux basques d’un adolescent et à tenter l’aventure insolite de se fondre dans la masse de son groupe d’amis ? « Les chercheurs disposaient de grandes tendances sociologiques et d’indicateurs, sur l’alimentation adolescente, mais d’aucun résultat qui soit basé sur les pratiques alimentaires réelles », explique Véronique Pardo. Pour comprendre la relation des adolescents à leur corps et à leur alimentation, et connaître leurs habitudes et leurs ressentis, « il nous fallait privilégier une approche ethnographicoanthropologique, la seule capable de prendre en compte la diversité de la population française à travers la richesse de nombreux parcours migratoires, mais aussi d’horizons culturels, religieux ou socioéconomiques différents. » Le programme Ocha a donc construit son projet avec deux laboratoires CNRS, l’un tourné vers la Méditerranée et l’autre vers le monde germanique, avec chaque fois, une culture alimentaire régionale forte et des populations d’origines différentes. Enfin grâce au financement du Cniel et de l’ANR, cette méthodologie du « vivre avec » a pu voir le jour. « Pour approcher les adolescents, le soutien de l’Éducation nationale, des collèges, lycées et académies a été déterminant. Après les premiers contacts concluants, il ne nous restait plus qu’à les suivre de la maison à la cantine, en passant par les centres commerciaux, sociaux, les locaux associatifs, les parcs et les rues. » Ajoutez-y beaucoup d’entretiens (à ce jour 1 500) et, entre autres, des carnets confiés aux adolescents qui y ont consigné leurs repas pendant la semaine, vous obtenez la recette avec laquelle les chercheurs vont continuer à nous concocter de nouvelles surprises sur l’alimentation des adolescents. Camille Lamotte 1. Unité Anthropologie bioculturelle (CNRS/Université de la Méditerranée/Établissement français du sang Alpes- Méditéranée). 2. Cultures et sociétés en Europe (CNRS/Université de Strasbourg). 3. Centre national interprofessionnel de l’économie laitière. CONTACTS ➔ Gilles Boëtsch Anthropologie bioculturelle, Marseille gilles.boetsch@univmed.fr ➔ Véronique Pardo Observatoire Cniel des habitudes alimentaires, Paris vpardo@cniel.com
ARCHÉOLOGIE Les peintures du désert vont enfin parler En novembre, des archéologues français et algériens vont s’installer sur le plateau du Tassili, dans le Sahara. Leur but : enfin dater les somptueuses peintures rupestres de la région. Dans un décor grandiose fait de roches et de sable ocres, une immense caravane progresse lentement le long d’un chemin escarpé. Ânes et chameaux portent les outils et les vivres, accompagnant un groupe d’une dizaine de personnes sous un soleil de plomb. L’image pourrait sortir tout droit d’un récit d’anciens explorateurs. C’est pourtant bien ainsi que les membres de la mission archéologique franco-algérienne Tassili vont rejoindre, le 20 novembre prochain et pour un mois, leur lieu de fouilles dans le Sahara algérien. « L’accès au site est très difficile et même un peu dangereux, indique Jean-Loïc Le Quellec, directeur de recherche CNRS au Centre d’études des mondes africains 1 qui codirige la mission avec Malika Hachid, du Centre national de recherches en préhistoire, anthropologie et histoire d’Alger (CNRPAH) 2. Il faut déjà quatre heures pour grimper sur le plateau du Tassili, à plus de 1000 mètres d’altitude, et il reste encore à rejoindre le site proprement dit, à Sefar. Ce n’est pas vraiment une promenade de santé. » Pourquoi tant d’efforts ? Les archéologues ont un objectif : analyser et dater les peintures rupestres de Tassili. Des peintures célèbres pour leur beauté et leur nombre –il en existe des centaines de milliers dans toute la région– mais que les préhistoriens ont été incapables de dater précisément jusque-là. « C’est l’archéologue français Henri Lhote [ndlr : alors chargé de recherche au CNRS] qui les a fait connaître au grand public dans les années 1950 », raconte Jean-Loïc Le Quellec. À l’époque, ces grandes fresques, peintes à l’air libre sous des abris rocheux, fascinent. Il s’agit d’un véritable « documentaire en images », comme l’appelle Jean-Loïc Le Quellec, sur les populations qui vivaient dans la région lorsqu’elle était encore luxuriante. On y voit des animaux –éléphants, girafes, hippopotames...– qui ont depuis longtemps fui le désert. Sont croquées des scènes de la vie quotidienne, comme ces bœufs montés par des hommes. À Sefar, là où l’équipe a décidé d’installer son campement, une peinture haute de trois mètres représente une figure anthropomorphe. Les spécialistes l’appellent le « grand dieu de Sefar » mais d’autres, plus facétieux, aiment y voir un martien. « Les animaux sont représentés de manière si réaliste que ceux qui les ont dessinés les ont forcément vus, estime Jean- Loïc Le Quellec. Or nous savons que ces espèces vivaient bel et bien dans le Sahara alors qu’il était encore vert mais qu’elles l’ont quitté lors de la désertification, environ 2000 ou 3000 ans avant notre ère. » Voilà qui donne une limite à l’âge de ces peintures. Mais ont-elles été réalisées il y a cinq mille ans ? Dix mille ans ? « Bien qu’elles soient de toute beauté, sans leur âge exact, elles perdent de leur intérêt. Après avoir soulevé l’enthousiasme des préhistoriens, elles sont peu à peu tombées dans l’oubli. Seuls les historiens de l’art et les touristes ont continué à s’en soucier », admet Jean-Loïc Le Quellec. Aujourd’hui, la donne a changé. Les archéologues disposent de nouvelles techniques bien plus performantes pour dater les vestiges. D’où cette nouvelle expédition, qui va permettre à la fois de prélever des échantillons de peintures, qui seront ensuite analysés dans les laboratoires partenaires, et d’explorer le sol, à la recherche d’indices sur les techniques de peinture. « Grâce aux techniques de datation au carbone 14, explique l’archéologue, nous allons essayer de donner un âge au liant qui a servi à fixer les pigments, lesquels seront aussi analysés afin d’en déterminer la nature exacte. » La thermoluminescence, qui permet de dater le moment où des matériaux siliceux ont été exposés au jour pour la dernière fois, devrait dater le sable de remblais, au pied des fresques. C’est également là que les scientifiques vont creuser, Les sites des peintures de Tassili ne sont pas faciles d’accès (à droite). Mais celles-ci constituent un formidable témoignage de la vie au Sahara avant sa désertification (ci–dessous). Mission VIEDESLABOS 13 à la recherche d’objets laissés par les peintres : pinceaux, colorants, godets à peinture. Des relevés photographiques – tant en lumière visible qu’en infrarouge et en ultraviolet – seront aussi effectués. « Évidemment, nous allons devoir confronter nos résultats à d’autres sites », indique Jean- Loïc Le Quellec. Il espère ainsi mettre en place deux campagnes annuelles pendant trois ou quatre ans et étudier les fresques de l’Ahaggar et de l’Atlas saharien. C’est à ce prix que les peintures rupestres du Sahara deviendront des témoignages utiles de l’histoire du peuplement du continent africain. Fabrice Demarthon 1. Unité CNRS/École pratique des hautes études de Paris/Université Aix-Marseille-I/Université Paris-I. 2. Le projet associe le Centre de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (Ministère de la Culture algérien), l’office du Parc national du Tassili à Djanet, le Laboratoire du centre de recherche et de restauration des musées de France (CNRS/Ministère de la Culture et de la Communication), le Laboratoire de mesure du carbone 14 (CNRS/CEA/IRD/IRSN/Ministère de la Culture et de la Communication) et le Centre de recherche en physique appliquée à l’archéologie (CNRS/Université de Bordeaux). CONTACT ➔ Jean-Loïc Le Quellec Centre d’études des mondes africains, Paris jllq@rupestre.on-rev.com Le journal du CNRS n°238 novembre 2009 © Photos : D.Vigears/Projet de datation des peintures du Sahara



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