8 VIEDESLABOS Actualités MÉDECINE Creutzfeldt-Jakob est bien un agent double Milieu des années 1990 : apparition d’une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, sans doute causée par une contamination par l’agent de la maladie de la vache folle. Liée à l’accumulation d’une forme anormale d’un prion, molécule produite naturellement chez l’humain, qui entraîne la dégénérescence des neurones, elle a fait à ce jour plus de 180 victimes dans le monde, dont 23 en France 1. Jusqu’ici, on suspectait cette pathologie apparue dans l’Hexagone et au Royaume-Uni de provenir du même agent dans les deux pays… mais sans que cela ne soit jamais montré. Des travaux récemment publiés 2 ont enfin permis d’apporter des preuves à ces soupçons. En comparant les données cliniques de patients des deux côtés de la Manche, Stéphane Haïk et Jean-Philippe Brandel, neurologues au Centre de recherche de l’institut du cerveau et de la moelle épinière (CRICM) 3 de la Salpêtrière, et leurs collègues britanniques de l’unité nationale de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont montré que Britanniques et Français sont bien touchés par la même maladie, probablement provoquée par la même souche de prion de carcasses bovines britanniques. Pour cela, l’équipe a étudié les 23 cas français ainsi que les 162 cas anglais. « Notre étude consistait en une comparaison des données cliniques des patients (leurs symptômes, les résultats de leur IRM, etc.), une analyse COGNITION Notre œil voit d’abord en gros Lorsque l’on voit un être vivant ou un objet, le reconnaît-on d’abord finement en tant que chien, voiture ou table pour ensuite le mettre dans une catégorie plus large – animal, véhicule, meuble – ou inversement ? Depuis 1976 et les travaux de la psychologue américaine Eleanor Rosch, il était admis qu’un objet était d’abord catégorisé au niveau de base comme « chien », « voiture » ou « table » avant qu’un concept plus abstrait « animal », « véhicule » ou « meuble » ne puisse se former. Cette capacité d’abstraction était même considérée comme spécifique de l’humain, l’animal n’ayant pas accès à ce type de concept. Or, surprise, dans une étude récemment publiée 1 des chercheurs du Centre de recherche cerveau et cognition (Cerco) 2, à Toulouse, ont montré qu’en fait… c’est l’inverse ! « Nos données montrent que celles de 1976 ont été trop vite généralisées au système visuel », souligne Michèle Fabre- Thorpe, directrice du Cerco et co-auteur de l’étude. C’est que les résultats de l’équipe d’Eleanor Rosch et de ceux qui les ont reproduits ensuite ont été obtenus lors de tests où des volontaires devaient Le journal du CNRS n°237 octobre 2009 © S. Haïk/CNRS/UPMC Les victimes anglaises et françaises de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob présentent des lésions cérébrales similaires. du gène codant pour la protéine prion, une étude des lésions cérébrales et une analyse fine des propriétés biochimiques de la protéine prion pathologique », précise Stéphane Haïk. La conclusion : les patients britanniques et français présentaient bien des données cliniques, épidémiologiques, biochimiques et génétiques similaires. Cette proximité suggère qu’ils ont été infectés par la même souche de prion. Ce résultat pourrait se voir confirmé, et même étendu à l’Europe, par une autre recherche menée actuellement à partir d’extraits de lésions contenant la souche impliquée, prélevés chez les patients des différents pays européens touchés. Quoi qu’il en soit, l’étude francobritannique a aussi confirmé un autre point. Tous les patients étudiés, et donc touchés par la maladie, désigner des objets par leur nom. Or ces expériences où l’accès au vocabulaire, et donc au système du langage, était crucial pouvaient masquer le fonctionnement du seul système visuel. Les chercheurs du CNRS ont placé dix-huit volontaires dans des conditions où ils devaient, non pas répondre oralement, mais réagir le plus vite possible avec le doigt en relâchant un bouton quand ils voyaient une image contenant la cible qu’on leur demandait de chercher (un chien, un oiseau, un animal, etc.). Les images n’étaient affichées que pendant 26millisecondes (ms) pour les encourager à agir encore plus vite, le seuil de perception des humains étant de près de 25 ms. Résultat ? Les volontaires ont été en moyenne plus rapides d’une quarantaine de millisecondes à relâcher le bouton lors de la recherche d’une présentent une portion identique du codon 129, fragment de gène codant pour la protéine prion. Pour le moment, il est impossible de savoir si un profil génétique pour ce codon pourrait protéger totalement de la maladie ou seulement allonger la durée d’incubation. Dans ce dernier cas, le nombre de malades pourrait se révéler plus élevé que prévu dans les années à venir. Kheira Bettayeb 1. La nouvelle variante s’attaque à des personnes plus jeunes que les formes classiques de la maladie (29 ans en moyenne, contre 65 ans). 2. Annals of Neurology, mars 2009, vol. 65, n°3,pp. 233-235. 3. Centre CNRS/Inserm/Université Paris-VI. CONTACTS Centre de recherche de l’institut du cerveau et de la moelle épinière de la Salpêtrière, Paris ➔ Stéphane Haïk Stephane.haik@upmc.fr ➔ Jean-Philippe Brandel jean-philippe.brandel@psl.aphp.fr Expérience menée pour savoir si notre œil perçoit en premier un chien ou un animal. Les volontaires devaient relâcher très vite le bouton s’ils voyaient un chien. © M.Fabre-Thorpe |