20 > L’ENQUÊTE œuvre dans toutes sortes de produits finaux commercialisables », rappelle Claude Weisbuch, du Laboratoire de Physique de la matière condensée (PMC) 3. Pour créer du nano, il existe deux recettes : il y a d’abord l’approche descendante qui consiste à réduire de manière progressive la taille des objets pour pénétrer in fine dans la zone se situant en dessous de 100 nm. Et l’approche inverse qui consiste à manipuler la matière atome par atome pour construire des nano-objets. Pour les « puristes » comme Christian Joachim, du Centre d’élaboration des matériaux et d’études structurales (Cemes) du CNRS, les nanotechnologies se limitent d’ailleurs à cette dernière voie : « Leur définition est devenue beaucoup trop élastique et 95% de ce qui se dit nano relève de l’abus de langage. » Aux experts de vider cette querelle… Toujours est-il que, s’agissant des constructions atome par atome ou des expériences avec une seule molécule, les prouesses se sont multipliées en cinq ans grâce aux microscopes à effet tunnel (STM) et à force atomique (AFM) 4. « Très récemment, s’enthousiasme Christian Joachim, des chercheurs du centre de recherche d’IBM Research à Zurich sont parvenus à cartographier les liaisons chimiques à l’intérieur même d’une molécule de pentacène. » Un peu comme une radio permet de voir à l’intérieur du corps humain. Les avancées les plus fascinantes concernent toutefois la mécanique. « Nous savons fabriquer des molécules-moteurs, des molécules-engrenages, des molécules-brouettes, etc., dont les dimensions font 1 à 2 nanomètres. Il y a même en ce moment un petit concours sur la planète pour construire la première molécule-voiture équipée de quatre roues et d’un moteur ! Personne ne peut dire à quelles applications pourraient servir ces molécules-machines. Mais ces travaux nous apprennent déjà les règles de conception de machineries ou de circuits dans une seule molécule. » Incubation de nanomédicaments avec des cellules cancéreuses de souris. L’objectif de cette recherche est la découverte d'un nouveau médicament anticancéreux. Le journal du CNRS n°237 octobre 2009 Déjà, une dizaine de nanomédicaments, concernant notamment le traitement du cancer (Endorem, Caelyx, Doxil…) et de mycoses profondes (Ambisome), sont sur le marché. Ces nanoparticules soixante-dix fois plus petites qu’un globule rouge et biodégradables peuvent délivrer leurs principes actifs à un organe, un tissu ou une cellule malade. Celles de première génération sont reconnues par l’organisme comme des corps étrangers et donc éliminées via le foie. Elles s’avèrent donc très utiles, mais uniquement pour les pathologies hépatiques. La deuxième génération, dite furtive parce que recouverte de polymères hydrophiles et flexibles la rendant invisible au système immunitaire, a pu étendre les indications. Séjournant beaucoup plus longtemps dans la circulation sanguine générale, ces nanovecteurs peuvent traiter d’autres pathologies comme les maladies dégénératives cérébrales. LA FRANCE, PLUS NANOSCIENCES QUE NANOTECHNOLOGIE La place de la France dans la compétition internationale très agressive que se livrent les principaux acteurs du secteur ? Avec quelque 3500 publications sur le thème par an, l’Hexagone décroche une très honorable cinquième place derrière les États-Unis, le Japon, la Chine et l’Allemagne. Du côté de la recherche technologique, l’élève tricolore occupe en revanche un rang bien plus modeste (moins de 2% des brevets mondiaux). Dans ce domaine, « notre pays figure dans la catégorie des tours d’ivoire, dit Alain Costes, du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (Laas) du CNRS. Cela signifie que nous avons des difficultés à transformer les résultats de notre recherche scientifique en innovations techniques porteuses de croissance économique, via DES MÉDICAMENTS de précision L’heure est aux vecteurs de troisième génération. Leur avantage ? « On peut équiper ces nanotransporteurs de « têtes chercheuses » (vitamines, hormones, anticorps, peptides…) qui vont reconnaître de manière sélective les cellules pathologiques cibles », se félicite Patrick Couvreur, directeur du laboratoire « Physicochimie, pharmacotechnie, biopharmacie » 1. Autre avantage de ces missiles hyperminiaturisés : en y intégrant des nanoparticules métalliques, la libération du médicament, au lieu d’intervenir de manière passive, au fil du temps, peut être activée à volonté par des ultrasons ou par chauffage radiofréquence. Une autre application des nanovecteurs semble très prometteuse. Il ne s’agirait plus de délivrer aux cellules des substances médicamenteuses mais des portions d’ADN. « Remplacer entièrement un gène défectueux ou absent reste toujours extrêmement problématique, dit Patrick Couvreur. En revanche, les nanovecteurs pourront acheminer de petits fragments d’acides nucléiques afin d’inhiber l’expression d’un gène cancéreux ou viral. » Les liposomes, des vésicules de quelques dizaines à quelques centaines de nanomètres, constituent d’excellents nanovecteurs de médicaments. © H. Raguet/CNRS Photothèque 1. Laboratoire CNRS/Université Paris-XI. ➔ Patrick Couvreur patrick.couvreur@u-psud.fr © F. Caillaud/CNRS Photothèque/SAGASCIENCE |