16 PAROLED’EXPERT La plus grande enquête menée au sein de la population 2 et dédiée à la dépression en France vient d’être publiée par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Ce trouble est-il très répandu ? Xavier Briffault : Oui, puisque selon notre étude, près de 18% des Français ont présenté, au cours de leur vie, un « épisode dépressif majeur » (EDM), sévère pour 50% d’entre eux. Chaque année, environ 2 millions de Français connaissent un tel épisode. Et il ne s’agit pas d’ « un coup de blues ». La « dépression », telle qu’elle est définie dans notre enquête, se traduit soit par une tristesse et un désespoir profonds, soit par une perte totale d’intérêt et de plaisir. Et au minimum par quatre des symptômes suivants : fatigue extrême, ralentissement psychomoteur, perte ou prise de poids importantes, insomnies récurrentes, pensées morbides, idées suicidaires… Le tout durant au moins deux semaines, tous les jours, toute la journée. Elle entraîne aussi une perturbation des activités habituelles ou bien une souffrance cliniquement significative. Cela dit, il n’y a pas d’épidémie de dépression en France : ces chiffres n’ont guère varié depuis vingt ans, et s’avèrent sensiblement les mêmes dans tous les pays occidentaux. Quelles sont les personnes les plus touchées ? X.B. : Tout le monde, à tout âge, peut être concerné par un épisode dépressif… Mais il est vrai que les femmes sont deux fois plus souvent touchées que les hommes. La dépression est en effet liée à certains facteurs de risques : le fait d’avoir eu des parents en conflit, humiliants, peu aimants, ou encore incestueux, d’avoir été victime d’agression sexuelle ou de violence physique et morale, Le journal du CNRS n°237 octobre 2009 Xavier Briffault, chercheur en sociologie et épidémiologie de la santé mentale au Centre de recherche « Psychotropes, santé mentale, société » (Cesames) 1 La dépression en mal de thérapies d’avoir rencontré des difficultés d’accès aux études, de connaître le chômage ou la précarité professionnelle, la dépendance financière ou d’avoir à charge d’élever un grand nombre d’enfants. Or plus souvent que les hommes, les femmes sont exposées à nombre de ces risques. Elles seront donc 23% à vivre un EDM au cours de leur vie, contre 12% des hommes. Ces Français et Françaises qui souffrent de dépression ont-ils recours aux soins ? X.B. : Assez peu, et souvent pas de la façon la plus adéquate… Ainsi, un tiers de ceux qui ont vécu un épisode dépressif n’ont jamais consulté de professionnel « pour raison de santé mentale ». Ce sont les femmes ainsi que les personnes plus diplômées, de catégories sociales plus élevées, qui y ont davantage recours. Parmi ceux qui consultent, 31% vont uniquement voir un généraliste. Quant aux traitements, ce sont les médicaments (antidépresseurs, somnifères, anxiolytiques…) qui l’emportent (52% des cas) face à la psychothérapie (26%). Or, selon les recommandations internationales, celle-ci devrait être un traitement de base, particulièrement pour les dépressions peu sévères. C’est ainsi davantage le cas dans d’autres pays européens tels que les Pays-Bas, où la psychothérapie est mieux valorisée. Pourquoi cette réticence à aller voir un « psy » ? X.B. : D’abord, parce qu’une large majorité de personnes pensent qu’une thérapie s’avère longue et coûteuse. Et elles ont du mal à savoir qui fait quoi… La moitié des personnes interrogées déclare ne pas connaître « Il n’y a pas d’épidémie de dépression en France. » la différence entre un psychologue et un psychiatre 3. Ensuite, en raison des représentations qu’elles ont sur la dépression : certes, 85% d’enquêtés la considèrent bien comme une maladie. Mais pour un tiers des répondants – qui lui prêtent des causes biologiques – elle se soigne avant tout par antidépresseurs. Seulement un quart des répondants – qui la considèrent plutôt liée à des causes psycho-sociales – privilégieraient la psychothérapie. Enfin, moins d’un quart pensent qu’on peut s’en sortir tout seul. En quoi cette enquête peut-elle faire évoluer la situation ? X.B. : Nous avons, grâce à cette consultation et notamment à son volet sur les représentations de la population sur la dépression, conçu la première campagne française d’information sur le thème 4 en novembre 2007. Un livret grand public met ainsi l’accent sur l’efficacité de la psychothérapie. Par ailleurs, notre travail montre qu’il faut adapter les « soins » à chaque individu, en instaurant des stratégies thérapeutiques médico-psychologiques bien sûr, mais aussi sociales, notamment sur le terrain professionnel. Et tenter, en amont, d’améliorer les conditions de vie, d’éducation, de travail ou de parentalité, pour faire en sorte que la dépression ne se déclenche pas. Car mieux vaut prévenir que (tenter de) guérir… Propos recueillis par Stéphanie Arc 1. Centre CNRS/Inserm/Université Paris-V. 2. Xavier Briffault a codirigé, avec Béatrice Lamboy, de l’Inpes, l’enquête menée de 2005 à 2008 sur 6 500 personnes qui a donné lieu à l’ouvrage intitulé La dépression en France: enquête Anadep 2005, éd. Inpes, coll. Études santé. 3. Le premier possède une formation universitaire spécialisée en psychologie (niveau bac + 5), le second est un médecin spécialisé. 4. www.info-depression.fr. CONTACT ➔ Xavier Briffault Centre de recherche « Psychotropes, santé mentale, société » (Cesames), Paris xavier.briffault@wanadoo.fr |