10 VIEDESLABOS Actualités ÉLECTRONIQUE Au secours des mémoires qui flanchent Les performances des mémoires de nos outils technologiques laissent parfois à désirer. Électroniciens et chercheurs en matériaux se sont penchés sur cet épineux problème. Et ont récemment trouvé des solutions prometteuses. Avec l’essor des téléphones portables, des baladeurs numériques et autres appareils nomades, l’industrie électronique est confrontée à un incroyable défi : mettre au point des mémoires informatiques non volatiles – c’est-à-dire capables de conserver les données quand l’appareil est éteint –, qui soient à la fois solides, fiables et faiblement consommatrices d’énergie ! Or ce casse-tête pourrait avoir trouvé un début de solution grâce aux travaux de scientifiques français et britanniques. L’équipe d’Agnès Barthélémy, de l’Unité mixte de physique CNRS- Thalès 1, s’est intéressée à une technologie encore peu connue du grand public : celle des mémoires dites ferroélectriques, réputées notamment pour leur rapidité. Elles souffraient d’un handicap majeur : l’information qu’elles contiennent disparaît lorsqu’on la lit. Banco : les chercheurs se sont affranchis de cet obstacle 2 qui limitait ce type de mémoire au secteur des jeux vidéo. Le principe ? Les données sont contenues dans un matériau ferroélectrique : à l’intérieur de celui-ci, les charges ont la propriété d’être polarisées, c’està-dire organisées pour former des dipôles dirigés dans un même sens, un peu à la manière de petites boussoles indiquant toutes le nord. Comme cette polarisation peut-être inversée localement par l’application d’un champ électrique extérieur et qu’elle perdure ensuite, les physiciens ont ainsi imaginé d’utiliser ces solides pour stocker de l’information en associant aux orientations « haut » et « bas » les valeurs « 0 » et « 1 » de l’informatique binaire. Problème: pour identifier la « valeur » du dipôle, les électroniciens n’avaient jusqu’ici d’autres choix que d’appliquer un second champ LE CHIFFRE Le journal du CNRS n°237 octobre 2009 50% Lophelia pertusa, un corail d’eau froide très répandu en Europe, vers l’an 2100, à cause de l’acidification des océans. Cela pourrait menacer l’existence des récifs d’eaux froides, selon des travaux publiés dans la revue Biogeosciences par une équipe du Laboratoire d’océanographie de Villefranche. > www2.cnrs.fr/presse/communique/1660.htm © V. Garcia, S. Fusil, K. Bouzehouane/Unité Mixte de Physique CNRS/Thales Les chercheurs ont réussi à observer les domaines de polarisations opposées (carrés concentriques verts et violets) de cet échantillon sans les modifier ! C’est la perte de vitesse de croissance que devrait subir UNE GRANDE FAMILLE Dans la grande famille des mémoires informatiques, il y a d’une part les mémoires « volatiles », comme les Ram des ordinateurs par exemple, qui stockent les données tant qu’elles sont alimentées en électricité. Et d’autre part les mémoires « non volatiles », qui les conservent après l’extinction des appareils. Bien que leur usage soit largement répandu, ces derniers composants présentent des inconvénients aux yeux des industriels. Une technologie comme celle des « disques durs » est, en effet, bon marché et fiable. Mais elle n’est pas adaptée à toutes les applications en raison de sa fragilité. Quant aux systèmes « flashs » qui équipent les clés USB, les baladeurs numériques et les téléphones portables, ils ont l’avantage de la robustesse. Par contre, ils consomment beaucoup d’énergie au cours des phases de lecture et d’écriture et leur durée de vie est limitée. D’importants efforts de recherche et développement sont donc actuellement menés à travers le monde pour tenter de découvrir d’autres solutions. électrique. Ce qui, explique Manuel Bibes, chargé de recherche au CNRS, « revient à modifier, une fois sur deux, son état et donc à faire disparaître les données au fur et à mesure qu’on les lit ! » Agnès Barthélémy, Manuel Bibes et leurs collègues sont les premiers à avoir découvert une solution alternative. Pour y parvenir, l’équipe a procédé en trois temps. En premier lieu, elle a produit de minces couches de un à deux millionièmes de millimètre d’épaisseur d’un matériau appelé titanate de baryum dont (et c’est une découverte en soi) elle avait établi au préalable la ferroélectricité à température ambiante. Dans la seconde phase, elle a disposé ces échantillons entre une électrode et la pointe d’un microscope à force atomique 3. Avant, enfin, d’y faire circuler du courant par « effet tunnel ». Ce curieux phénomène quantique – qui permet à un électron de traverser un matériau isolant dès lors que son épaisseur est réduite à quelques atomes – a été astucieusement mis à profit par ces chercheurs pour identifier l’état de polarisation du titanate de baryum… sans le modifier ! Et donc pour lire les données cryptées dans cette mémoire ferroélectrique en évitant de les détruire. Cette avancée majeure pourrait se traduire un jour par la présence de ce type de mémoire dans nos appareils de poche. Vahé Ter Minassian 1. Unité associée à l’université Paris-XI. 2. Nature, n°460 (7251), du 2 juillet 2009,pp. 81-84. 3. L’utilisation d’un microscope à force atomique permet l’étude des surfaces de matériaux. CONTACT ➔ Manuel Bibes Unité mixte de physique CNRS/Thalès, Palaiseau manuel.bibes@thalesgroup.com |