8 © B. Guillaume/CNRS VIEDESLABOS Actualités GÉOCHIMIE Sur les traces d’un charançon disparu Lorsqu’ils ont commencé à étudier le contenu de carottes sédimentaires prélevées à Crozet, un chapelet d’îles subantarctiques, Jean-David Chapelin-Viscardi et Philippe Ponel, de l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie (Imep) 1, à Aix-en-Provence, ne s’attendaient pas à ce qu’un coléoptère inconnu leur révèle une page d’histoire de l’archipel. Soit le témoignage d’un bouleversement écologique survenu à la fin du XVIII e siècle. Première surprise : les deux chercheurs observent, dans des sédiments datés entre 1400 et 1800, des restes par dizaines d’un charançon n’appartenant à aucune espèce connue. Or, comme le précise Philippe Ponel, « lorsque l’on travaille sur des fossiles récents d’insectes, la quasi-totalité des espèces observées dans les sédiments ont des représentants actuels ». En l’occurrence, non seulement l’espèce est nouvelle, mais aussi le genre ! Des chercheurs CNRS ont modélisé le soulèvement (en mètres) de la Patagonie il y a 14, 12, 6 et 3 millions d’années. Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 1 cm GÉOLOGIE Le soulèvement de la Patagonie Ces restes d’un charançon découverts à Crozet témoignent du bouleversement écologique survenu sur l’archipel au XVIII e siècle. © F. Guiter/IMEP/CNRS Pour en apprendre davantage, les deux entomologistes expédient les fragments de leur coléoptère, baptisé Pachnobium dreuxi, à Jean-François Voisin, au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Ce spécialiste des collections subantarctiques les compare alors avec l’innombrable matériel entomologique ramené de Crozet au cours du XX e siècle et dont une fraction importante n’a pas encore été étudiée de près. C’est la deuxième surprise : il exhume deux spécimens complets qui confirment que l’insecte n’a jusqu’alors jamais été décrit. « C’est extrêmement rare de faire une découverte dans ce sens. D’abord sous forme fossile et ensuite dans des collections entomologiques contemporaines », s’enthousiasme Philippe Ponel. Reste à comprendre comment un charançon dont les restes pullulent dans les sédiments récents a presque totalement disparu aujourd’hui (à deux spécimens près). Pour Philippe Ponel, « il faut probablement y voir la conséquence de l’arrivée de l’homme sur Crozet, à la fin du XVIII e siècle ». Découvert en 1772, l’archipel a en effet rapidement été occupé par des pêcheurs accompagnés d’un cortège d’animaux domestiques. Une hypothèse renforcée par le fait que les sédiments n’ont révélé aucune modification climatique durant cette période. Par ailleurs, Nathalie Van der Putten, au département de géographie de l’université de Gand, en Belgique, qui a extrait les sédiments, a montré que la disparition de Pachnobium dreuxi coïncide non seulement avec des changements considérables dans les populations d’autres espèces d’insectes, mais aussi avec la raréfaction de certaines plantes, comme le chou des Kerguelen. « C’est la parfaite illustration de l’extrême fragilité des écosystèmes insulaires qui, du fait de leur isolement, sont sensibles à la moindre modification », conclut Philippe Ponel. Mathieu Grousson 1. Institut CNRS/Universités Aix-Marseille- I et III/Université d’Avignon/IRD. CONTACT ➔ Philippe Ponel Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie (Imep), Aix-en-Provence philippe.ponel@univ-cezanne.fr La question taraudait les géologues depuis cent cinquante ans : pourquoi la Patagonie, cette région qui s’étend au Sud de l’Argentine et du Chili, se soulève-t-elle ? Darwin, le père de la théorie de l’évolution des espèces, également géologue, avait constaté ce mouvement étonnant après avoir trouvé d’anciennes plages de l’océan Atlantique perchées sur le relief argentin. Jusque-là, personne n’avait donné une explication pertinente à ce phénomène qui a débuté il y a plus de 10 millions d’années, et qui se poursuit encore à l’heure actuelle. Or des chercheurs du CNRS menés par le Toulousain Joseph Martinod, du laboratoire des mécanismes et transferts en géologie (LMTG) 1, viennent enfin de résoudre le mystère 2 : ils ont montré que le soulèvement est lié à la rencontre de trois plaques tectoniques au large du Chili : la plaque Nazca, qui couvre une partie de l’océan Pacifique, la plaque Antarctique, au pôle Sud, et la plaque continentale sud-américaine. Les deux premières glissent sous l’Amérique du Sud, tout en s’écartant l’une de l’autre. Leur frontière, que les spécialistes appellent « dorsale du Chili », plonge donc elle aussi sous le continent sud-américain. « Lorsque cette dorsale plonge sous l’Amérique du Sud, elle ouvre un passage dans le manteau, la couche intermédiaire entre le noyau planétaire et la croûte. Ce passage modifie les courants profonds de matière et entraîne des déplacements verticaux de la surface », explique Joseph Martinod. Le chercheur s’intéresse au soulèvement de la Patagonie depuis son premier voyage au Chili en 2002. |