CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
CNRS Le Journal n°236 septembre 2009
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°236 de septembre 2009

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : CNRS

  • Format : (215 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 3,0 Mo

  • Dans ce numéro : Qui sont vraiment les jeunes ?

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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26 L’ENQUÊTE > de façon informelle. D’où l’impression, répandue mais trompeuse, d’un rajeunissement de la délinquance. Ouvrir n’importe quel livre d’histoire, assure le même sociologue, « devrait pourtant suffire à nous prémunir contre les discours « décadentistes » et moralisateurs de type café du commerce qui mythifient un passé idyllique qui n’a, en réalité, jamais existé ». Exemple : le happy slapping, qui consiste à s’en prendre à une personne lambda en pleine rue, à l’humilier et à filmer la scène pour la diffuser ensuite sur Internet et les téléphones mobiles. Dans les années 1960 déjà, à l’époque des « blousons noirs », de jeunes crapules enregistraient leurs méfaits à l’aide des premiers magnétophones. violence des jeunes à des fins politiques fait toujours recette. Marteler, à destination de l’électorat, que « la société est peuplée d’adolescents criminels que les juges des enfants se contentent d’admonester gentiment avant de les renvoyer chez leurs parents, faire peur pour mieux s’ériger ensuite en garant du « retour à l’ordre » par la répression, a toujours été une rhétorique payante. Et force est de constater une homogénéisation progressive des discours des partis politiques, de droite comme de gauche, sur cette question ». Or, conclut Laurent Mucchielli, pour s’attaquer à la délinquance juvénile, il existe d’autres moyens « que la matraque et la contention, même si ces dernières sont parfois nécessaires. La répression, qui se limite fatalement à délinquance des jeunes et son traitement. Depuis 2002, six textes de loi et un décret ad hoc ont été adoptés en France, une production endiablée qui « place notre pays dans une position exceptionnelle en Europe et dans le monde, les autres pays prenant, en général, beaucoup de temps pour procéder à des réformes de la justice des mineurs », fait observer Francis Bailleau, du Cesdip. LES LIMITES DE LA PÉNALISATION Autre originalité de l’Hexagone : alors que la plupart des législations européennes, depuis les années 1980, tendent à réduire le rôle et l’impact de la privation de liberté des mineurs en réponse à la délinquance des jeunes, la France a choisi la désigner des coupables (les jeunes et leurs parents), stratégie inverse. En effet, les modifications n’est qu’une façon de gérer l’urgence. Seule la prévention est une véritable politique au sens où vernements à l’ordonnance apportées par les derniers gou- elle cherche à préparer l’avenir ». pénale du 2 février 1945 4 Qui dit mobilisation sécuritaire dit aussi vont en effet dans le sens réformes législatives à répétition sur la IDÉES FAUSSES SUR LA VIOLENCE Si le phénomène des « bandes », dénoncé depuis plusieurs siècles, continue bel et bien de sévir, en particulier dans les quartiers « très ghettoïsés » des grandes agglomérations, aucune donnée fiable n’autorise à conclure qu’il est en hausse. Lors d’une recherche conduite par le Cesdip en 2007-2008 au tribunal de Versailles, sur 557 affaires d’infractions à caractère violent commises par des mineurs, 78% concernent un mineur ayant agi seul, 18,3% un petit groupe de 2 ou 3 personnes, 3,4% un groupe de 4 ou 5 personnes et… 0,4% un groupe de plus de 5 personnes, lequel « pourrait effectivement ressembler à l’image que l’on se fait d’une « bande » », dit Laurent Mucchielli. Comment expliquer, alors, que les idées reçues sur l’hyperviolence prétendument nouvelle et croissante de la jeunesse rencontrent un tel crédit dans l’opinion ? « Nos sociétés sont rendues amnésiques par des médias en quête de nouveauté et de sensationnalisme, et qui se complaisent dans le traitement des faits divers au point de décupler les peurs et de faire naître de véritables paniques morales », argumente le même sociologue. D’autre part, l’exploitation du thème de la 0,4% des infractions violentes commises par des mineurs, jugées au tribunal de Versailles, concernent un groupe de plus de 5 personnes Le journal du CNRS n°236 septembre 2009 En 2008 161000 mineurs d’une remise en question du statut de mineur. Elles dénotent « une banalisation de l’intervenont été poursuivis par la justice © M. Dorigny/SIGNATURES
que de l’éducabilité » (la prise en compte du contexte social du jeune et la volonté de privilégier sa réhabilitation), qui a prévalu jusqu’aux années 1980, regagne du terrain. Certes, quelques acteurs de ce secteur essaient d’inventer des réponses éducatives pour remettre les jeunes déviants sur les rails de la citoyenneté, mais ces innovations « sont très rarement valorisées ». « Le pragmatisme, dit Philip Milburn, ne suggérerait-il pas de s’inspirer des dispositifs transversaux mis en place en Angleterre comme dans d’autres pays d’Europe du Nord, et dans lesquels des professionnels de tous horizons (police, justice, santé, éducation sociale…), travaillant en étroite collaboration, diagnostiquent précocement les problèmes spécifiques à un jeune délinquant et le suivent collectivement sur le long terme ? » Philippe Testard-Vaillant 1. Laboratoire CNRS/Université Strasbourg-II. 2. En 2001, une étude de l’Inserm, menée auprès de jeunes de 11 à 19 ans qui fréquentaient régulièrement l’infirmerie de leur établissement scolaire, avait apporté cette indication : 11,3% des filles et 6,6% des garçons interrogés reconnaissaient s’être volontairement fait mal au moins une fois, au cours des douze derniers mois. Mais ce chiffre n’est pas révélateur du phénomène en général. 3. Centre CNRS/Ministère de la Justice/Université Versailles-St-Quentin. 4. Cette ordonnance, promulguée pour faire face à une délinquance grave des mineurs comme des majeurs liée au déroulement de la Seconde Guerre mondiale (circulation « libre » des armes de guerre, marché noir et pénurie), repose sur le principe que les jeunes sont des personnes en voie d’intégration dans un statut d’adulte qu’il faut protéger et soutenir grâce à des politiques éducatives. 5. Laboratoire CNRS/Université Versailles-Saint-Quentin. Les garçons seraient © N.Tavernier/REA 2x tion pénale vis-à-vis de la jeunesse, analyse Francis Bailleau. La volonté de considérer l’enfant comme un « adulte en miniature », et de juger de plus en plus fréquemment les mineurs comme des majeurs (notamment les jeunes de seize à dix-huit ans pour lesquels l’excuse de minorité devient l’exception plutôt que la règle), est unique en Europe occidentale ». Le choix français peut-il s’avérer « rentable » à long terme ? La prudence est de règle, mais « l’histoire nous enseigne que les politiques d’ordre et la répression pénale n’ont jamais permis d’endiguer la délinquance juvénile, si ce n’est durant un court temps, sans s’attaquer réellement à ses origines », plaide l’expert. Face à cette judiciarisation galopante des déviances juvéniles, comment les acteurs de terrain, responsables au quotidien de la prise en charge des jeunes délinquants (policiers, magistrats, éducateurs, psychologues…), s’adaptent-ils ? Dans la réalité de la relation avec les enfants difficiles, « la pédagogie de la sanction, qui ne cesse de se renforcer, fonctionne très mal, constate Philip Milburn, du laboratoire « Professions, institutions, temporalités » (Printemps) 5, sur la base de ses recherches menées depuis une dizaine d’années sur la question, et de travaux en cours de publication. Les professionnels sont plongés actuellement dans le désarroi : les magistrats sont sommés de ne s’intéresser qu’au prononcé des peines et pas aux moyens de leur exécution, et les policiers de faire de plus en plus de gardes à vue. Quand un jeune placé dans un centre éducatif fermé quitte ce foyer sans autorisation, ce n’est pas une fugue, mais un délit passible d’une peine, y compris de prison. Comment doit réagir l’éducateur qui souhaite malgré tout préserver la relation éducative avec ce jeune ? En signalant le délit ? Et s’il ne s’y résout pas, qu’en est-il de sa responsabilité professionnelle ? » Et de souhaiter que la « logiplus nombreux que les filles à adopter des conduites à risques POUR EN SAVOIR PLUS L’ENQUÊTE 27 À LIRE > Les adolescents, de Michel Fize, éd. du Cavalier Bleu, 2009 Du même auteur : > Manuel illustré à l’usage des adolescents qui ont des parents difficiles, éd. du Temps, 2009 > Antimanuel d’adolescence, toute la vérité, rien que la vérité sur les adolescents, éd. de l’Homme, 2009 > Les adonaissants, de François de Singly, éd. Armand Colin, 2006. Du même auteur : > Comment aider l’enfant à devenir luimême ?, Les éditions de l’Homme, 2009 > Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ?, de Olivier Galland, éd. Armand Colin, 2009 > Devenir adulte, Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, de Cécile Van de Velde, éd. PUF, 2008 > En souffrance, Adolescence et entrée dans la vie, de David Le Breton, éd. Métaillé, 2007. > La violence des jeunes en question, de Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou, Champ social éditions, 2009 > Quelle justice pour les mineurs ? Entre enfance menacée et adolescence menaçante, de Philip Milburn, éd. Érès, 2009 À VOIR > Dans la tête des filles (2001, 22 min), de Laure Delesalle et Michèle Chouchan, produit par Amorce films et CNRS Images/media – à visionner en ligne sur : http:Ilvideotheque.cnrs.fr/index.php ? urlactio n=doc&id_doc=915 > Rites de passage (2004, 27 min), de Jean- Pierre Mirouze, produit par Flight Movie et CNRS Images – à visionner en ligne sur : http:Ilvideotheque.cnrs.fr/index.php ? urlactio n=doc&id_doc=1193 Contact : Véronique Goret (Ventes), CNRS Images – Vidéothèque Tél. : 01 45 07 59 69 – videotheque.vente@cnrs-bellevue.fr CONTACTS ➔ David Le Breton dav.le.breton@orange.fr ➔ Meryem Sellami meryem_sellami@yahoo.fr ➔ Laurent Mucchielli mucchielli@cesdip.fr ➔ Francis Bailleau bailleau@msh-paris.fr ➔ Philip Milburn, milburn@neuf.fr Le journal du CNRS n°236 septembre 2009



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